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« Nous sommes tous des citoyens ! »

dimanche 8 août 2004, par Hassiba

Nous assistons depuis des années à une régression des pratiques politiques en Algérie, si tant est qu’elles n’aient jamais été volontairement promues ou même respectées.

L’avènement démocratique initié dans la tragédie, un 5 octobre 1988, nous laissait augurer des changements qui auraient dû permettre d’enclencher une politique plus saine, aux relations pacifiées, censée abattre la hogra, démocratiser les us politiques, moraliser les pratiques économiques et libérer les énergies créatrices dans le cadre d’un Etat de droit. La démocratisation des relations sociales par l’émergence de partis politiques, d’associations, de syndicats, de médias... allait certainement rehausser et revigorer un pays sclérosé par l’apathie et gangrené par l’appétit. Les objectifs de la nouvelle donne étaient, d’une part, de réhabiliter l’Etat algérien dans ses fonctions nobles, d’en assainir les pratiques et, d’autre part, de rétablir le citoyen algérien dans ses droits.

Les domaines d’intervention de l’Etat doivent être clarifiés. Il n’appartient pas à un wali, à un chef de brigade, à un ministre ou même à un chef d’Etat aussi respectables soient-ils d’interférer dans les rapports sociaux pour les brimer. Tous les citoyens sont égaux en droit, nul ne peut outrepasser ses droits sous quelque prétexte que ce soit. Le pouvoir est un instrument à confier à des responsables intègres, soucieux de l’intérêt et de l’unité nationale. Cet usage doit s’exercer dans le cadre des prérogatives légales. Son abus comme son instrumentalisation répréhensibles par le droit sont à condamner par tous les citoyens épris de justice et d’égalité. Le cadre légitime et légal de la loi doit être le seul habilité à juger des litiges ou des violations. Evidemment, cette question de principe n’a de sens que dans le cas d’une indépendance de la justice garantie. Il ne suffit pas de claironner à qui veut l’entendre une prétendue liberté de l’institution judiciaire, les citoyens ne sont pas dupes. Chaque Algérien connaît la nature réelle d’un régime expérimenté durant 40 ans. Il en a effectivement jaugé « les vertus » - dans ses droits lésés - dans sa chair meurtrie ou même dans sa vie anéantie. Les mémoires ne tarissent pas d’histoires à nous donner des vertiges. Il ne nous appartient pas de jeter l’anathème sur tous les dirigeants et responsables algériens dans une généralisation infondée, mais pour autant ne nions pas l’évidence : si l’Algérie est régie par des hommes, des femmes dignes et compétents, beaucoup d’autres trop nombreux sont animés d’une vision anachronique et destructrice pour ce pays.

Le régime a généré de véritables rapaces ayant à leur solde des rabatteurs cooptés et désignés pour mener à l’abattoir des libertés chèrement acquises. Ces groupes occultes ont prouvé leur indécence et leur cynisme durant des années. La corruption multiforme et l’incompétence caractérisent souvent les sbires d’un système disséminés dans tous les rouages des administrations. Une corruption érigée en modèle de gestion par un régime féodal par certains aspects. Soucieux de préserver leurs intérêts, certains n’hésitent pas à manigancer dans l’ombre les pires intrigues au mépris des intérêts suprêmes de la nation. Aujourd’hui, les journalistes et les mouvements citoyens ne sont-ils pas les victimes de ces infâmes manœuvres ? N’avons-nous pas eu un avant-goût des pratiques obscures de ces seigneurs avec l’assassinat du président patriote Mohamed Boudiaf ? N’a-t-il pas payé de sa vie les agissements de cette mafia politico-financière ?

Les citoyens algériens continuent à payer au prix cher l’incurie d’un régime aux abois. Des centaines de jeunes croupissent dans les geôles de la honte pour avoir manifesté leur mal-vivre. On ne peut faire mieux dans le mépris populaire. L’Etat de droit n’est pas un paravent. Il n’autorise pas le recours à l’instrumentalisation d’institutions pour y asseoir une notion du pouvoir désuète. Cette conception erronée, qui consiste à user et à abuser des pouvoirs délégués afin d’étouffer la liberté d’expression, est de nature à compromettre un Etat en proie à un déficit de crédibilité.

Du péril intégriste au péril totalitaire ?
N’était la violence terroriste menée par les groupes islamistes armés pour abattre l’ambition républicaine et démocratique de l’Algérie, nous n’aurions pas perdu ces centainse de miliers d’hommes, de femmes et d’enfants innocents, martyrs d’une Algérie voulue républicaine, démocratique, libre et moderne à l’image de ce slogan que scandaient, par millions, ces citoyens foulant les rues et avenues des villes algériennes. Les pertes humaines ont été une terrible saignée, une tragédie dont les dirigeants actuels ne mesurent toujours pas les implications en termes de responsabilités sociales, politiques et psychologiques. L’Etat n’a pas encore pris en compte l’immense obligation qui lui incombe. Il ne suffit pas seulement de se gargariser de bonnes intentions, il s’agit d’avoir un vrai sens du temps historique.

Aujourd’hui, les atteintes au droit de l’homme assombrissent l’horizon. Après la décennie noire, nous achevons une décennie rouge pour un nouveau cycle annonciateur de ténèbres. Certains responsables croient à tort que la stratégie du verrouillage et du tout-répressif va leur offrir la possibilité de pérenniser un système inique tout en bénéficiant d’une embellie économique fragile, sans réelle assise économique viable. Le bricolage local et le mime sis de recettes étrangères ne font pas une politique économique. Cette vision à courte vue n’est pas nouvelle, elle a toujours été l’une des caractéristiques : intrinsèques de ce système. Ces gens vivent en vase clos dans un monde parallèle, la réalité sociale n’existe pas pour eux, d’où leur mépris pour les mouvements citoyens, les partis, les syndicats, les journalistes, les intellectuels... Ils prospèrent dans le vide. Cette perception hors champ a fait ses preuves, car elle ne peut mener l’Algérie qu’à un autre fiasco à même de fragmenter et de fragiliser davantage une société algérienne exsangue. Le risque d’annihiler tout espoir de réconciliation entre gouvernant et gouverné est sur le point d’être consommé au regard d’une élection qui, malgré ses ratés, laissait présager naïvement une ère nouvelle. Tout système en mal de crédibilité et de reconnaissance ne peut s’enorgueillir d’une respectabilité toute illusoire, en humiliant, en torturant des citoyens, en incarcérant des représentants de la société civile et des journalistes. Le pouvoir n’a pas compris qu’on ne peut embastiller la liberté de conscience.

Vers une ambition démocratique ?
Le constat est accablant en ce début de mandat. Il appartient au président de la République Abdelaziz Bouteflika, dont l’étoffe d’homme de décision ne fait aucun doute, d’habiliter l’Algérie au respect des libertés fondamentales en ordonnant la libération des citoyens algériens emprisonnés pour délit d’opinion. Entrons dans la course par la porte grande ouverte de la démocratie et laissons entrer la lumière du soleil. Souhaitons que ce vœu patriotique se réalise pour le bonheur commun. L’Algérie était sur le point de sortir du tunnel de l’obscurantisme, nous voilà à nouveau confrontés aux fracas de la répression à faire frémir d’effroi nos martyrs, nos montagnes, nos plaines et... nos murs.

On veut bâillonner la presse mais même les murs de l’Algérie ont depuis longtemps brisé le silence. Lors de la visite du président français Jacques Chirac, des milliers de jeunes scandaient aux oreilles de nos représentants accompagnant le chef d’Etat français : « Visa ! Visa ! » Ce message, car c’en est un, s’adressait d’abord à ceux qui nous gouvernent. Ils ont feint de ne pas comprendre que la jeunesse était lasse du système d’exclusion et d’oppression de la société civile. Les retards accumulés sont flagrants et la faille tellement béante que toutes les mesurettes prises par les responsables aux affaires, et c’est un euphémisme, révèlent l’absence d’un projet cohérent de grande envergure à même de permettre d’une part la refonte d’un Etat de droit empreint des valeurs démocratiques dans le cadre du respect de l’intérêt national et d’autre part soucieux de la cohésion sociale à même de restaurer la confiance. La polémique est salutaire et le débat de rigueur dans un pays où hélas de facto cynisme, arbitraire, incompétence et corruption ne présagent pas un avenir florissant pour nos concitoyens. Non pas que cette terre n’ait pas d’élites honnêtes et compétentes que nenni, bien au contraire, elle en regorge à faire envier de jalousie les nations les plus avancées.

Les Algériens et les Algériennes sont aptes à faire de l’Algérie un pôle de développement susceptible de rivaliser à moyen terme avec les pays de l’Europe du Sud... (l’Espagne, l’Italie, le Portugal, la Grèce ne sont-elles pas des démocraties pacifiées et où en sont l’Afghanistan, le Soudan et l’Irak ?... N’épiloguons pas sur ces pays). En cela, le défi algérien ne peut être que républicain, démocratique et social. Ce triptyque certes perfectible n’est pas négociable. Le déficit démocratique, au risque d’accentuer la crise algérienne, anéantira pour des décennies toute velléité de développement si les forces antidémocratiques animées par l’appât du pouvoir ne sont pas contrecarrées par des mouvements pacifiques, salutaires, patriotiques et démocratiques.

Il est vital de réunir autour d’un pôle démocratique et citoyen les forces vives à même de mobiliser les énergies. Encore une fois, il est nécessaire de comprendre enfin que le pétrole n’est pas la panacée du développement... comme beaucoup le croient. L’Etat serait dans ces prérogatives s’il s’attelait déjà à réduire les disparités par la mise en œuvre d’un projet national où les soucis d’insertion, de formation, de création d’entreprises, d’éducation, de libéralisation de l’espace médiatique, d’effervescences culturelles..., seraient considérés et promus.

Par le professeur A. Meddah,
Diplômé en communication, El Watan