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Pétrole : les capacités de raffinage risquent d’atteindre leurs limites fin 2005

lundi 28 mars 2005, par Hassiba

L’explosion dans une unité de la raffinerie BP de Texas City (Etats-Unis), qui a fait 15 morts et plus de 100 blessés, mercredi 23 mars, est venue rappeler au monde que l’approvisionnement en essence, en gazole et en fioul restait à la merci d’un accident.

Il a suffi de cette annonce pour que les marchés s’inquiètent et que le baril de brut gagne un dollar à New York. Cette fois, il était difficile d’incriminer l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), souvent accusée de faire grimper le prix de l’or noir.

La réalité est plus complexe."La consommation pétrolière a rattrapé les capacités installées de production et de raffinage", constate Nicolas Sarkis dans la dernière livraison de la revue qu’il dirige, Pétrole et gaz arabes, citant le rapport mensuel de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) de mars. Entre 1999 et 2002, la consommation mondiale s’était accrue de 660 000 barils par jour en moyenne (un baril contient 159 litres). Cette hausse a été de 2,3 millions de barils par jour en moyenne en 2003 et de 2,6 millions en 2004, alors que le surcroît de capacités de raffinage était quatre fois moindre (700 000 barils). A ce rythme, on risque d’arriver au plafond des capacités de raffinage à la fin de l’année.

Les analyses divergent sur l’influence de ces goulets d’étranglement, en aval du cycle pétrolier, sur les prix du brut. Au lendemain de sa réunion ministérielle, le 16 mars à Ispahan (Iran), l’OPEP a rendu l’insuffisance des capacités de raffinage partiellement responsable de l’envolée des prix. Certains experts jugent que ces goulets exercent surtout une pression sur les produits raffinés.

DOUBLE CONTRAINTE
Tout le monde s’accorde au moins pour reconnaître le sous-investissement chronique dans le secteur pétrolier, en dépit des bénéfices dégagés par les majors (ExxonMobil, BP...) ou les compagnies nationales des pays producteurs depuis quelques années. Dans le raffinage, les capacités n’ont augmenté que de 0,5 % en 2003. Le marché paye aujourd’hui la politique des années 1990, où le prix du baril d’or noir (entre 10 et 25 dollars) avait dissuadé les compagnies d’investir dans l’amont (exploration-production) et l’aval (raffinage). Elles restent très attentives à la volatilité des cours du brut et de leurs marges de raffinage. "Si elles ont été très élevées en 2004 (30 euros par tonne), elle tombe à 18,5 euros si l’on prend la moyenne des 15 dernières années", note l’Union française des industries pétrolières (UFIP).

Des prix oscillant entre 45 et 55 dollars le baril rendront-t-ils plus audacieuses les grandes compagnies ? "Les acteurs ne sont pas encore convaincus du caractère durable de la structure de prix actuelle, notait le président de l’Institut français du pétrole (IFP), Olivier Appert, le 3 février, lors d’un colloque. Pour lui, les pétroliers "restent prudents dans leurs investissements au-delà de ceux rendus nécessaires par la seule réglementation sur la qualité des produits."

La tension sur le raffinage risque donc de "persister", au moment même où ce secteur doit s’adapter à une double contrainte : l’application de normes environnementales plus strictes (carburants moins soufrés...) ; la transformation de la consommation, avec le besoin d’hydrocarbures légers et le développement spectaculaire du gazole dans des pays comme la Chine et l’Inde. C’est le sens de l’investissement de 500 millions d’euros de Total dans sa raffinerie de Gonfreville-l’Orcher (Seine-Maritime).

Selon l’AIE, pour faire face à la croissance de la consommation de produits pétroliers, l’ensemble de l’industrie devrait investir plus de 400 milliards de dollars (310 milliards d’euros) dans les seules activités de raffinage d’ici à 2030. Mais les compagnies, sous l’oeil des investisseurs, restent prudentes. Le raffinage a toujours été moins rentable que l’exploration-production. Construire une nouvelle raffinerie est très coûteux, pour un retour sur investissement lointain et tributaire de multiples facteurs (économiques, géopolitiques, technologiques, environnementaux, etc.). Des projets sont en cours en Chine, au Vietnam, au Canada ou au Mexique.

Le vice-président américain Dick Cheney ­ ancien patron d’Halliburton ­ préconisait, en 2001, la construction de nouvelles raffineries, arrêtée depuis 1978 aux Etats-Unis. Aucun chantier n’a encore été ouvert.

Par Jean-Michel Bezat, lemonde.fr