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Retour des cadres exilés : « Mes illusions et désillusions »

dimanche 4 avril 2004, par Hassiba

Monsieur le président, cette histoire est similaire à celles de milliers d’Algériens, la seule différence est que je saisis l’opportunité de liberté d’expression dont jouit chaque Algérien aujourd’hui et que j’espère durable.

L’objet de ce courrier est de dénoncer la déliquescence, l’absence de pragmatisme et l’inertie du système algérien. Je suis un Algérien « exilé » ou plutôt poussé à l’exil parmi tant d’autres. Je vis en France depuis bientôt 10 ans. En 1994, j’ai bénéficié d’une bourse de coopération algéro-française pour préparer un doctorat en aéronautique, obtenue à l’issue d’un concours national.

Pour quoi faire d’ailleurs ? L’Algérie a-t-elle besoin de chercheurs ou d’autres choses ? Une recherche fiable travaille en étroite collaboration avec des entreprises industrielles. Pour qu’il y ait recherche et innovation, il faut qu’il y ait production et industrialisation d’abord. J’ai été formé par l’école algérienne. J’ai fait partie de la première promotion qui a « subi » l’arabisation, les cobayes. Au primaire, j’ai eu une formation bilingue. Au collège, il y a eu la « Révolution » de l’éducation nationale : l’a r a b i s a t i o n. Jusqu’à la première année universitaire du tronc commun technologie, j’ai suivi mes études en langue arabe. La deuxième année universitaire, bouleversement total de la situation. Tous les modules en français La planification a-t-elle déjà existé en Algérie ? Incroyable mais vrai. Certes, une nation ne peut se développer qu’avec sa propre langue, mais faut-il se donner les moyens et le temps nécessaire.

J’ai passé ensuite un concours national et j’ai intégré en 1991 l’école d’ingénieurs en aéronautique à Blida. Dès l’obtention de mon diplôme et de ma bourse de mérite pour la formation postgraduée à l’étranger, j’ai essayé de prendre contact avec l’Armée nationale populaire afin de lui proposer mes services dans un domaine appliqué ou bien dans un centre de recherche. Persuadé qu’une formation à l’étranger sera bénéfique à titre individuel uniquement. Aucune réponse, Le classique. Notre chère armée qui, certes, a su sauvegarder l’unité du pays dans une période cruciale n’a jamais su ou pu considérer ses propres enfants.

Pour mon 3e cycle en France, on m’a inscrit dans un laboratoire rattaché à l’école centrale de Nantes, spécialisée dans le naval. Les trois inscriptions proposées par la commission mixte algéro-française ne correspondaient en aucun cas aux choix que j’avais émis en cohérence avec ma formation initiale. Vu l’opacité de cette orientation, j’ai pris en main les démarches de mon inscription. J’ai réussi à obtenir une inscription à l’Ecole nationale supérieure d’ingénieurs en constructions aéronautiques à Toulouse, qui faisait partie de mes souhaits. Mais faute de bonne volonté de la part de mes compatriotes, je n’ai pu y accéder. Pourquoi ? Soit disant parce que le « monsieur » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, en charge de l’orientation des boursiers algériens à l’étranger, n’avait pas « le temps » de modifier le dossier, alors que cela nécessitait uniquement un changement d’affiliation entre le consulat de Nantes et celui de Toulouse.

Pour moi, il y avait des intérêts personnels, et le message était clair : pars et ne reviens plus, on n’a besoin ni de toi ni des autres d’ailleurs. Je me demande, est-ce qu’on bénéficie de bourses de coopération pour assurer le transfert technologique Nord-Sud ou bien pour aider des laboratoires étrangers à émerger et être opérationnels et, par conséquent, faire profiter de tierces personnes de certains « avantages » ?

Toujours motivé jusque-là, j’entame ma thèse de doctorat dans un laboratoire esclavagiste, comme d’ailleurs la majorité des laboratoires en France où on exploite la matière grise du tiers-monde. A l’approche de la fin de mon doctorat, en 1998, déterminé à servir mon pays, j’ai commencé à préparer mon retour en Algérie. Je me suis dirigé vers la mairie de Tlemcen, afin de retirer les documents administratifs nécessaires. Quelle cohue, on dirait qu’il y a un milliard d’habitants en Algérie.

Le guichetier faisait les 100 pas au lieu d’être à son poste au service des citoyens. A la surprise générale, une « femme » extravagante, d’une classe marginale, rentre dans le hall accompagnée d’un homme armé et se dirige directement dans les bureaux. Deux minutes plus tard, cette « femme » sort documents en main. Furieux, j’ai dit au guichetier : « C’est à cause de gens comme vous qu’il y a du terrorisme en Algérie. » Indifférent, il me répondit : « Organisez-vous et faites la queue correctement avant de parler. » Je suis rentré chez moi et j’ai juré de ne plus remettre les pieds dans mon pays.

Je suis retourné en France et je m’y suis installé « définitivement ». J’ai obtenu mon doctorat avec mention très honorable. J’ai fait entre temps un mastère en mécanique. Une formation appliquée très proche du monde industriel. D’ailleurs, j’adresse un appel aux responsables des boursiers algériens au ministère de l’Enseignement supérieur.

L’Algérie a-t-elle besoin de chercheurs pointus et d’enseignants universitaires ? L’Algérie a-t-elle besoin d’ingénieurs et de personnes formées d’une manière appliquée et pragmatique, capables de relever les défis et de donner un nouveau souffle à l’économie algérienne ? Ce type de formation m’a d’ailleurs permis de travailler en tant qu’ingénieur consultant chez les deux gros constructeurs automobile français jusqu’au jour d’aujourd’hui.

Je ne manque de rien à part ma famille et mon pays. Je mène une vie paisible sans problèmes. Comme tout le monde, je bénéficie de l’eau courante 24 h/24 h, j’ai un logement convenable et un salaire qui me permet de vivre décemment avec ma petite famille. Choses que je n’aurais jamais pu avoir en Algérie sans l’intervention de X ou de Y, et encore.

Mais malgré tout et comme beaucoup d’Algériens exilés, je vis un mal-être dû à certains « paramètres » qui ont poussé un million et demi de nos prédécesseurs à sacrifier leur vie, afin de nous épargner ce genre de sentiments insupportables et invivables.

Le lion et le mouton

Au fil du temps, l’espoir commence à renaître avec le président Bouteflika. Là, je me suis dit que l’Algérie est en train de se relever, tout Algérien doit y mettre du sien. Je me suis dit encore : mon pays m’a formé, il faut que je lui rapporte les fruits et les dividendes de cet investissement. Ayant appris pas mal de choses dans mon domaine, j’ai commencé dernièrement à mettre en place un projet spectaculaire pour le lancement à terme d’une industrie algérienne dans le secteur des transports, de l’étude jusqu’à la commercialisation.

En gros, ce projet porte sur quatre volets : former des enseignants et ingénieurs aux nouvelles méthodes d’ingénierie utilisées aujourd’hui ; monter une société d’ingénierie et de conseil afin de « forcer » le transfert technologique. En parallèle, mettre en place un groupe de réflexion multidisciplinaire responsable du lancement d’une industrie algérienne fiable et compétitive dans un délai de 6 ans environ. Car il ne faut pas céder à l’illusion que les investisseurs étrangers vont résoudre les maux de l’Algérie. Les investisseurs viennent pour gagner de l’argent. Ils délocalisent les tâches inintéressantes et nous réservent les sales besognes. Seuls les filles et les fils de l’Algérie peuvent apporter une vraie valeur ajoutée. Cela bien évidemment avec un partenariat renforcé et des échanges « intelligents » avec les pays développés.

Le projet consolidé, j’ai essayé donc de contacter le corps diplomatique algérien à Paris en mai 2003 afin de lui soumettre une synthèse. Premier barrage, un grand obstacle, la standardiste de l’ambassade algérienne en France. Pas aimable du tout, limite « répugnante ». Elle me dit : « La personne qui s’occupe de ça termine son service à 14 h, on est vendredi. » Je lui dis : « Vous ne travaillez pas le week-end, samedi, dimanche ? ». Elle me répond : « Pourquoi on travaillerait samedi-dimanche ? On est une administration. » Je lui dis : « Mais madame, j’appelle depuis 13 h et personne ne répond. » Elle me répond d’une manière hautaine : « Je n’ai pas de comptes à vous rendre, vous n’êtes pas mon chef de service. » Fou de rage, je lui dis : « Vous êtes payée avec l’argent des Algériens à ne rien faire », et j’ai raccroché. La standardiste me rappelle à mon domicile tout de suite après et me dit : « C’est impoli de raccrocher. De toute façon, ce numéro sera signalé à l’ambassade. » Intimidation et menaces à l’algérienne. Je lui fais comprendre que je n’ai rien à faire de ses menaces et qu’elle ne mérite pas son poste. Ce type de poste, du moins en France, devrait être occupé par des Algériens issus de la génération d’immigrés en France et qui ont le mérite de n’avoir jamais voulu demander la citoyenneté française. Alors qu’il suffisait d’une simple signature pour l’obtenir. Cette couche sociale est certainement plus adaptée à ce genre de poste que des personnes généralement parachutées et pistonnées dans le corps diplomatique algérien.

Pour me remotiver, je me suis dis : je ne vais pas baisser les bras à cause d’un « classique ». Après quelques tentatives, j’ai réussi à joindre monsieur L., l’attaché économique à l’ambassade algérienne en France (je pense). Je lui explique en gros le projet en lui précisant ma formation initiale, en pensant qu’il allait me recevoir (vu qu’il est payé pour cela).
Je lui fais comprendre qu’il va falloir qu’on se rencontre pour en discuter. Il me répond : « Laissez-moi vos coordonnées, je vous rappellerai dès que j’aurai un p’tit moment. » Quelle réactivité, quel dynamisme, quelle courtoisie. Cette grande inertie ne m’étonne nullement, vu que l’ambassade d’Algérie en France qui gère la plus grande communauté algérienne à l’étranger ne possède même pas un site Internet, contrairement à d’autres comme l’ambassade algérienne à Séoul, à Ottawa.

Je lui dis : « On peut fixer un RDV maintenant, si vous le souhaitez. » Il me répond : « Non, il faut que je regarde mon agenda » ; sans chercher à aller plus loin. Supposons que je sois en mesure de prendre en charge le projet techniquement et financièrement ; un projet engendrant une centaine de milliers d’emplois et des retombées économiques immenses pour l’Algérie. Car la personne en question ne savait rien de tout cela et ne voulait rien savoir.

Là, j’ai pensé aux propos d’un proche que j’ai eu au téléphone quelques jours auparavant, pour lui demander conseil sur la démarche, il m’a dit : « En Algérie, il y a tous les moyens requis pour redémarrer et réussir à en faire une vraie nation développée, mais c’est la volonté et la bonne foi qui font défaut. » J’interpelle à nouveau mon interlocuteur de l’ambassade à Paris : « Donc, Monsieur, en attendant votre appel, je peux me permettre d’envoyer mon projet aux différents ministères concernés. » (Autrement dit à quoi servez-vous ?). Indifférent, il me répond : « Vous faites comme vous voulez. » Je lui dis : « D’accord, bonne journée. » Normalement pour ce type de poste, la personne en question devrait elle-même prospecter et séduire les cadres algériens à l’étranger afin qu’ils apportent leur savoir-faire. Mais chez nous, c’est l’inverse qui se passe. Ce genre d’attitude est totalement contradictoire avec le discours tenu et répandu par les différents gouvernements qui n’arrêtent pas de se succéder.

Enfin... Mais encore et toujours au mois de mai 2003, le même scénario se déroule avec un chef de cabinet responsable de la réception des propositions émanant des cadres à l’étranger au « ministère délégué responsable de la communauté nationale à l’étranger ». Je lui soumets la synthèse du projet en question par courrier électronique. Cela en mettant en copie : le ministère de l’Industrie, le ministère de l’Enseignement supérieur et la présidence. N’ayant reçu aucun accusé de réception de la part des 4 organismes au bout de quelques semaines, j’ai essayé de prendre contact avec mon interlocuteur par téléphone. Je me présente au secrétariat et je demande à parler à monsieur B. La secrétaire me répond : « Monsieur B. ? » Je lui dis : « Oui monsieur B., le chef de cabinet de Madame Bouchemla (ex-ministre), je lui ai soumis un projet industriel, c’est pour connaître la suite qui lui sera réservée » Elle me répond : « Ah !, Docteur B. » Je lui dis : « Si vous voulez. » Elle me répond : « Il est en réunion pour le moment. Laissez-moi vos coordonnées et il vous rappellera. » Je lui dis : « Il a déjà mes coordonnées sur le dossier. Je lui laisse de nouveau mes coordonnées, sait-on jamais ? »

A ce jour, onze mois après, aucun signe de vie, ni de la part des 4 organismes sollicités ni de la part de l’attaché économique à l’ambassade (qui n’a toujours pas consulté son agenda apparemment), aucune réponse, même pas un accusé de réception (au XXIe siècle !).

Mohamed Nacim Maâtallah
Universitaire. Courbevoie

Source : El Watan