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Sur les pentes du Djurdjura, la forêt de Yakouren massacrée

vendredi 3 septembre 2004, par Hassiba

Insalubre, polluée, saccagée, lugubre forêt... Bref les mots ne pourront peut-être suffire pour décrire l’état dans lequel se trouve actuellement l’antique magnifique forêt de Yakouren. Hier, forêt hégémonique, offrant l’image d’un luxuriant tapis végétal à plusieurs variantes d’arbres. Aujourd’hui, le décor est on ne peut plus macabre. C’est un véritable massacre qu’a subi la forêt.

De loin, celle-ci offre pourtant un paysage splendide. Mais de près, cela vous donne un goût de désolation. Ça vous coupe le souffle même. Pis, par endroits, le spectacle est accablant. Les monticules d’ordures, de véritables décharges, s’amoncellent aux abords de la route. Parfois, au fond de la forêt même.

Bref, la forêt de Yakouren a subi une dégradation totale de son environnement. Si elle a été jusque- là épargnée par d’autres formes de catastrophes naturelles, elle n’a pas échappé au feu. Elle n’a toutefois pas survécu à la bêtise humaine. L’homme l’« agresse », et elle meurt à petit feu. « C’est un sinistre », assène Dda Rezki, un quinquagénaire habitant la région. Si elle a été jusque- là épargnée par d’autres formes de catastrophes naturelles, elle n’a pas échappé au feu. Elle n’a, toutefois pas, survécu à la bêtise humaine. L’homme l’« agresse », et elle meurt à petit feu. « C’est un sinistre », assène Dda Rezki, un quinquagénaire habitant la région. Debout aux abords de la route, non loin de la place la plus fréquentée de la localité, en l’occurrence la fontaine fraîche (baptisée fontaine Touizi), en compagnie de ses filles avec lesquelles il a l’habitude de se promener en ces temps de grandes chaleurs, celui-ci promène un regard triste par-dessous les chênes qui dominent la forêt. L’insalubrité règne en maître dans cet endroit très convoité par les visiteurs. Il est 16h passées.

En ce mois d’août, la route menant vers la fontaine affiche une affluence inhabituelle. Une longue file de voitures, immatriculées de la plupart dans les wilayas du centre du pays, s’est formée le long de ce chemin qui monte. Peu de jours connaissent un si bon monde. Il est vrai que les week-ends affichent une affluence accrue en ce lieu de fraîcheur et d’oxygénation. Les visiteurs viennent de tous les endroits. Beaucoup plus du centre du pays. La forêt de Yakouren semble être alors la destination préférée pour certains, et notamment pour les Algérois et les émigrés. R.N, un émigré habitué de cette merveilleuse forêt, ne reconnaît plus la place qu’il a pour habitude de fréquenter quand il vient en vacances. Celui-ci, voulant choisir une place pour pique-niquer avec sa petite famille près de la fontaine, a eu du mal à trouver un endroit sain, épargné par la saleté. « C’est affreux, la saleté traîne partout, au point qu’il n’y a pas où se mettre ! », regrette-t-il. « Le pire est à l’intérieur », lui lance un homme qui se trouvait sur son chemin. En fait, ce vieil homme fait allusion à l’autre forme de dégradation qu’a subie et subit sans cesse la forêt. Celle-là pathétique aussi. Il s’agit alors de la coupe illicite du bois et l’extraction du liège. Confrontées à un chômage endémique, certaines personnes de la région n’hésitent pas à recourir, en effet, à l’abattage non autorisé des chênes, soit pour les revendre ou les utiliser comme bois de chauffage. La forêt disparaît !

« Elle est devenue un fragment de forêt », pour reprendre les propos d’un habitant de la région. On parle de disparition de près de 5% de cette forêt chaque année. Mais ce n’est pas tout ! La forêt est également polluée. Cette fois par des eaux usées. En fait, l’ovoïde de la ville pose un gros problème. Au lieu d’être achevé à temps, il pollue alors toute la forêt. Pour le maire de Yakouren, Smaïl Kessili, « celui-ci est un sectoriel, les moyens de l’APC ne permettent pas de l’achever ». Cela sans omettre de signaler que la mafia de la pierre écume la région. La pierre est extraite illicitement sans règles et sans autorisation, ce qui aggrave l’érosion du sol. Ce faisant, autrefois très riche en faune endémique, celle giboyeuse en particulier (sangliers, lièvres, étourneaux, grives), diverses variétés d’oiseaux de proie et autres tels l’aigle, l’épervier, le faucon, la perdrix, les piverts et les geais, il se trouve que la plupart de ces oiseaux ont brusquement diminué si ce n’est carrément une disparition pour certains.

Laxisme
Les plus en fait de la riche faune de cette forêt s’aperçoivent en fait que les perdrix et les piverts, par exemple, ont relativement diminué. « Le chardonneret a été carrément emprisonné », regrette-t-on. Même si l’attraction reste, sans doute, le magot Macacus sylvana très prolifique dans cette forêt dense composée de chênes, de lentisques et de cèdres. C’est dire que c’est toute la biosphère de la partie nord de la région de Kabylie qui est menacée de disparition. Le comble, c’est que face à ce véritable « massacre » de la nature, il y a comme une indifférence « consciente » des responsables concernés. Ceux-là mêmes qui sont censés protéger cet espace de vie. Les différentes parties, notamment les collectivités locales, les services des forêts et ceux de la protection de l’environnement et les écologistes, au lieu de se pencher sérieusement sur une véritable politique de gestion et de sauvegarde de ce biotope qui pourrait être alors d’un apport considérable sur le plan économique pour la région, perdent leur temps à échanger des accusations. Ils se renvoient la balle.

Catégoriques, les Yakourenois pointent un doigt accusateur vers leur président d’APC qui n’a, à leurs yeux, « rien fait pour protéger ce patrimoine ». Pour sa part, M. Kessili place la barre plus haut. « Les autorités n’ont pas pris conscience de cette manne importante pour pouvoir faire les aménagements nécessaires pour recevoir des touristes. » Pour ce qui est de l’abattage sauvage, « les services des forêts ne font pas leur travail ». Et en ce qui concerne l’exploitation sauvage de la pierre ? Pour M. Kessili, « le problème réside dans sa commercialisation sans aucune autorisation, ni impôt, ni même règles d’extraction ». Là aussi, comme c’est le cas de l’ovoïde qui pourrit la ville, il semble que le problème dépasse les capacités et les prérogatives du maire. M. Kessili avoue avoir sollicité à maintes reprises les services concernés, notamment les services des mines, en vain.

Du gaz de ville pour arrêter le massacre
Cela dit, l’approvisionnement de la ville de Yakouren en gaz de ville n’a pu faire cesser le massacre de leur forêt. C’est dans une large mesure que le froid de l’hiver pousse les Yakourenois à recourir à la déforestation forcée de leur forêt. Aujourd’hui, pour que cette population puisse se chauffer durant l’hiver souvent très glacial, une autre forme d’énergie s’impose pour arrêter ce massacre. Il est vrai qu’auparavant, la tâche de la section du bois mort revenait aux services des forêts. Depuis peu, une autorisation est délivrée aux personnes voulant couper du bois pour se chauffer. Certains, inconsciemment peut-être, pillent du bois frais. « J’ai à maintes reprises alerté les services des forêts, sans suite », a affirmé le maire. Il y a près d’un mois, un rapport a été remis par M. Kessili au ministre de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, un écrit dans lequel le maire fait un diagnostic de la menace qui pèse sur l’environnement à Yakouren. A son avis et selon toute la population à Yakouren, pour que le saccage de la forêt cesse, il faut un substitut énergétique, celui d’acheminer le gazoduc qui se trouve au niveau de l’hôpital de Azazga jusqu’à Yakouren pour l’approvisionnement en gaz.

Pour que la forêt soit classée parc national
Ainsi donc, avec ce constant fort alarmant, peut-on parler aujourd’hui de tourisme à Yakouren ? Pas si évident en fait. La raison ? L’espace tel qu’il est actuellement, sans aucun aménagement, sans infrastructures d’accueil ni même l’hygiène, n’offre pas cette opportunité. Aujourd’hui, peut-on se suffire d’un seul hôtel, le Tamgout qui n’a que 49 chambres pour parler de tourisme à Yakouren ? En fait, c’est tout simplement le tourisme de forêt qui constituait auparavant la fierté de la région qui est occulté avec l’abandon de la forêt de Yakouren. Pour M. Kessili, « les autorités n’ont pas conscience de cette manne importante pour pouvoir faire les aménagements nécessaires afin de recevoir les touristes ». Pourtant, le site offre la possibilité de développer des pôles touristiques. Et son exploitation donnera un coup de fouet à l’économie de Yakouren, de Azazga et même de toute la région. « La forêt de Yakouren recèle en effet des potentialités de tourisme, mais leur mise en valeur impose beaucoup de décisions courageuses », selon M. Kessili. Ce dernier préfère ne pas parler de tourisme au moment où « nous n’avons même pas de politique de traitement de déchets ». De plus, pour lui, « dans le cadre de la préparation de cet espace, il faut impérativement prendre en charge le problème de l’hygiène et la mise en valeur des atouts qui sont la faune et la flore ». Ce qui fera dire à tout un chacun qu’il est temps d’élever la forêt de Yakouren au rang de parc national pour la prémunir de toute agression.

Décharges improvisées ; Le maire : « Je l’ai fait exprès »
Confrontée à l’inexistence d’une décharge publique, la commune de Yakouren achemine ses ordures ménagères vers des endroits qu’elle a improvisés dans la forêt.

Le maire de cette municipalité, Smaïl Kessili, se dit conscient de cet état de fait. Il explique ce recours par l’inexistence d’une décharge. « J’ai déposé les ordures au bord de la route exprès pour inciter les autres parties, notamment les services des forêts et la daïra, à se pencher sur ce problème », a-t-il dit en substance. Il ajoute : « Ils sont restés sourds à la création d’une décharge. » M. Kessili compte ainsi sur les services des forêts pour lui trouver un espace où mettre ses ordures, cela après que l’ancienne décharge qui se trouvait sur la route d’Aït Bouhini lui a été interdite d’accès par des citoyens pendant les événements de Kabylie. Le maire regrette par ailleurs l’absence d’une politique de gestion des déchets qui ne relève pas uniquement de ses prérogatives. De plus, pour lui, il faut agir sur les comportements des citoyens. Contacté, un haut responsable des forêts à Tizi Ouzou dira : « Le maire veut qu’on lui légalise la décharge où il versera ses ordures. » Ce dernier affirme qu’« une mise en demeure lui a été déjà envoyée pour cesser le massacre qu’il cause à la forêt. » Pour ce responsable qui a préféré requérir l’anonymat, « le maire ne pense pas écologie, il pense à sa poche ».

L’association Afarez tire la sonnette d’alarme
Voyant que la détérioration de l’environnement à Yakouren ne fait que s’aggraver au fil du temps, des jeunes de la région se sont rassemblés en association écologiste pour la protection de leur forêt.

« L’absence des autorités nous a poussés à créer cette association dans le but de préserver la richesse du patrimoine de notre commune », a affirmé le président de cette structure. Les membres de cette association dénommée Afarez, du nom d’un arbre de la région, tirent déjà la sonnette d’alarme quant au danger qui guette sans cesse la forêt de Yakouren, et toute la biosphère de la région. C’est ainsi que pour marquer leur présence sur le terrain, les membres de cette association ont mis au point un riche programme d’action et de sensibilisation à travers les différents villages de la commune. L’application de ce programme s’est déjà soldée par une action de ramassage des ordures au niveau de la fontaine, l’un des endroits les plus fréquentés par les visiteurs. Comme autre action à promouvoir dans le futur, selon M. Seddiki, président d’Afarez, la programmation de tournées de sensibilisation des citoyens de la commune contre les décharges illicites. Il s’agit, entres autres, aussi d’organiser des campagnes de reboisement dans les villages et hameaux, de mener des campagnes de sensibilisation contre le pillage du bois, du liège et de la pierre, de préserver la forêt et la reconnaître comme réserve nationale, du développement de l’éducation environnementale en réalisant des clubs verts au sein des établissements scolaires

Par R. Beldjena, El Watan