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Taux de chômage en Algérie : La polémique

jeudi 21 juillet 2005, par Bilal

Les données récentes sur l’évaluation du taux de chômage en Algérie (17,7 - 16,2 et 13% en 2004) ont suscité de nombreuses réactions. Au scepticisme des uns, probablement alimenté par l’intériorisation (sédimentation ?) sur plus d’une décennie d’un niveau de chômage flirtant avec 30%, s’oppose une analyse plus optimiste qui le considère comme ayant été et étant toujours surestimé.

Le chômage et les bas salaires ont souvent été à l’origine de manifestations contre l’ineptie du gouvernement en Algérie.

Une étude récente (1) vient relancer encore le débat sur la question du taux de chômage en Algérie. Sur la base d’une enquête auprès des ménages, l’auteur (M. S.Ighil Ahriz, responsable du bureau d’études Ecotechnics), estime le taux de chômage à près de 25% en 2004. L’argumentation utilisée me semblant sujette à certaines réserves, et compte tenu de la crédibilité naturelle qui peut se rattacher à cet organisme indépendant, il me paraît utile de marquer une réaction tout à fait personnelle sur ce résultat.

L’auteur, qui a fait une intéressante étude, a suivi en gros, la démarche suivante : s’appuyant sur l’agrégat population active (qui est la somme des personnes occupées et des personnes au chômage), il a d’abord tenté de démontrer qu’il (l’agrégat) est fortement biaisé (sous-estimé) par l’ONS, en utilisant comme repère essentiel une enquête sur la santé de la famille portant sur l’année 2002, réalisée... par l’ONS ! Les résultats de celle-ci sont ensuite utilisés pour corroborer, quelque peu, ceux obtenus par Ecotechnics.

Le recours à l’enquête sur la santé de la famille comme référence est justifié par le fait qu’elle ait été réalisée « auprès d’un échantillon d’environ 20.000 ménages, ce qui, en principe, devrait aboutir à des résultats plus précis que ceux des précédentes enquêtes-emplois réalisées, elles, auprès de 10.000 ménages, environ ».

Le grain de sable dans la démonstration d’Ecotechnics se situe précisément à ce niveau.

1- L’enquête sur la santé de la famille (EASF) a porté sur un échantillon de 10.200 ménages, seulement, et non sur 20.000 comme avancé. Un échantillon de 20.400 ménages a été effectivement enquêté mais uniquement pour les besoins du module « mortalité infantile » de l’enquête (2). En outre, il est connu et reconnu que les enquêtes qui traitent accessoirement de l’emploi et du chômage (ce qui est le cas de l’EASF) surestiment la population active et, notamment, sa composante chômage. Les meilleurs résultats s’obtiennent à travers des enquêtes spécialisées dans le domaine (ce qui est le cas des enquêtes de l’ONS et d’Ecotechnics).

2- Si l’on retient, avec Ecotechnics, la taille d’échantillon comme critère de précision des résultats (hypothèse acceptable), on devrait, pour 2004, considérer les résultats de l’enquête ONS (13.000 ménages enquêtés) comme plus précis que ceux d’Ecotechnics (5.000 ménages) !

Par ailleurs, si on peut partager avec Ecotechnics l’idée d’une sous-estimation de l’activité féminine par l’ONS (le taux d’activité féminin est l’un des plus faibles des pays arabes, alors que le développement humain, selon le genre au sens du PNUD, n’est pas le moins élevé pour l’Algérie), il n’est pas évident que l’origine de la sous-estimation soit essentiellement (à plus de 70%) dans la sous-évaluation du nombre de femmes qui sont au chômage, comme le suggère Ecotechnics dans le tableau ci-dessous (se rappeler que population active = population occupée + population au chômage).

L’explication avancée est « l’arrivée massive de femmes » sur le marché du travail, conséquence de l’augmentation de l’offre de travail induite notamment par la relance économique (3).

Celle-ci semble donc jouer plus dans le sens de l’augmentation du chômage que dans la création d’emplois, ce qui peut être paradoxal. Même si cela était le cas, on devrait plutôt s’attendre à un rétrécissement du chômage (découragement en raison de l’insuffisance de l’offre de travail). Du reste, l’explication de l’augmentation de l’activité féminine par celle de l’offre de travail et des autres facteurs (en particulier celui relatif au relèvement du niveau d’instruction des femmes) ne peut se rapporter à l’année 2004 seule, car leur impact date de plusieurs années.

Cet élément d’analyse (impact de l’offre de travail plus important sur le chômage que sur l’emploi) est confirmé dans l’activité masculine. En effet, Ecotechnics donne une estimation des occupés, inférieure à celle de l’ONS (77.000 occupés en moins), alors que le nombre de chômeurs est nettement plus élevé (plus de 340.000 chômeurs en plus). Ce résultat peut sembler incohérent avec le niveau de la croissance économique admis incontestablement (y compris par Ecotechnics) : 12,5% pour le PIB sur les deux années 2003 et 2004, mais 14, 12,2 et 23,4%, respectivement pour le BTP, les services et l’agriculture qui sont intensifs en emplois (excusez du peu !).

Ces écarts contrastés de l’emploi et du chômage incitent à penser que l’enquête d’Ecotechnics surestime le taux de chômage, probablement en ne classant pas suffisamment correctement les enquêtés entre chômeurs et occupés. Cela est d’autant plus plausible qu’il est indiqué dans l’étude « que la majorité des emplois qui se sont créés, ces dernières années, se localisent dans le secteur informel ». Les enquêtés auraient tendance à se déclarer chômeurs au regard de la précarité qui doit certainement caractériser la plupart des emplois occupés.

Conclusion de tout ce qui précède : il est difficile, à tout le moins, de se laisser convaincre par l’estimation de 25% du taux de chômage.

Un dernier élément d’appréciation sur le taux de chômage pour la route : les comparaisons internationales (technique universellement pratiquée). Dans le graphique qui suit, tiré d’un document établi par des services du FMI (4), on peut remarquer, pour reprendre une terminologie de statisticien que, dans la série affichée pour l’année 2003, le taux de chômage de l’Algérie (23,7%) constitue... un point aberrant ! Point besoin de commentaire savant : la surestimation est manifeste ! Que dire alors des 25% d’Ecotechnics, en 2004 ?

Puisse cette modeste contribution rendre quelques sceptiques un petit « chouïa » moins sceptiques : c’est tout le mal qu’on peut leur souhaiter, pour plus de bonheur pour l’Algérie.

Par Le Quotidien d’Oran