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Tissemsilt : Après l’amélioration du climat sécuritaire

mardi 19 octobre 2004, par Hassiba

Coincée » entre Aïn Defla et Chlef au nord, Tiaret et Djelfa au sud, Médéa à l’est et Relizane à l’ouest, la population de Tissemsilt a vécu, pendant près de dix ans, sous le diktat des groupes armés qui ont écumé les monts de l’Ouarsenis depuis 1992.

Personne n’a été épargné par la folie terroriste : les responsables locaux, les militaires et les paysans sans défense. Même les institutions et les champs de vigne, principale ressource de la population, ont subi les effets dévastateurs de la nébuleuse intégriste. Tout le monde s’en souvient. Le 11 janvier 1994 marquera à tout jamais l’esprit de la population et des responsables de Tissemsilt.

C’est entre la commune de Youçoufia et celle deTheniet El Had au détour d’un virage donnant sur un précipice qu’un cortège officiel tomba dans un traquenard. Prise en tenailles, la délégation a été décimée sous un déluge de feu. Une vingtaine de personnes ont été assassinées, dont le wali de Tissemsilt, le défunt Mohamed Bellal. Sur ce lieu dénommé Oued El Gharga, la stèle érigée à la mémoire des victimes, nous rappelle la tragédie. Cet attentat particulièrement meurtrier inaugurera une série macabre de tueries.

Au moment où nous lisons les noms des victimes gravés sur le marbre, un automobiliste, comme s’il avait deviné notre identité, s’est arrêté pour nous conter les circonstances du drame. Pour ce natif de Theniet El Had, ce sont surtout les haouchs jouxtant le maquis de Remka qui ont été particulièrement ciblés. « Allez du côté de Lardjem, Lekouassem, Sidi Lantri, Tadjdit, visitez les douars de Tagrara, Sidi Kacem, El Gouatria, et là-bas, on vous contera la tragédie », a-t-il suggéré en regrettant de ne pouvoir nous accompagner. Les terroristes ont laissé des empreintes rouges dans ces contrées montagneuses de l’extrême-ouest de Tissemsilt. Pourquoi la horde sauvage avait-elle élu domicile au cœur des monts de l’Ouarsenis ? Considérées comme une courroie de transmission entre les maquis du centre, de l’ouest et même du sud du pays, ces bourgades, situées non loin de Remka, un nom qui a donné une réputation sinistre à toute la région, furent dès la naissance du terrorisme des bases arrière pour les troupes du GIA et de l’AIS. De toutes les bourgades sus-citées, tout le monde s’accorde à dire ici que Lekouassem (commune de Lardjem) est celle qui a souffert le martyre. Pour rallier ce haouch situé à quelque 20 km à l’ouest de la daïra de Lardjem, laquelle est située à 30 km du chef-lieu de wilaya, il faudrait emprunter une route champêtre au milieu d’un relief abrupt.

En cours de route, un agriculteur labourant un lopin de terre à l’aide d’une charrue traditionnelle tirée par deux chevaux attira notre attention. Une telle image, cela soit dit en passant, pourrait, à elle seule, contredire les chantres des différents programmes de soutien à l’agriculture ! « Lekouassem, c’est à 10 km d’ici (...) Il y a quelques années, ce chemin fut interdit à toute circulation automobile. Il fut d’ailleurs coupé au niveau de Lazharia », dira notre interlocuteur en continuant de pousser inlassablement sa charrue. Au bout de quelques minutes, nous parvenons à Lekouassem.Trois petites écoles, des détachements de la garde communale et quelques maisonnettes annoncent un retour difficile à la vie dans cette contrée longtemps oubliée.

Cette bourgade, selon divers témoignages, n’avait pas résisté longtemps aux exactions des troupes intégristes. Pourtant, à en croire les dires de certains paysans, la population locale avait non seulement donné ses voix aux candidats du FIS, lors des municipales de 1990 et des législatives avortées de 1991, mais aussi et surtout prêté main forte aux premiers groupes terroristes qui ont été formés quelques mois plus tard. Les assassins du GIA et de l’AIS se déplaçaient et se ravitaillaient grâce à l’aide de la population qui, par une crédule conviction ou par crainte de représailles, avait accepté de servir, et même de loger chez elle ses futurs bourreaux. Elle a dû regretter plus d’une fois d’avoir réchauffé des vipères dans son lit.

Tout le monde connaît ici l’histoire récente et ô combien douloureuse de cette région ! Entre 1994 et 1995, la guerre faisait déjà rage entre les éléments de l’AIS et ceux du GIA, d’un côté, et entre ces deux groupes et les forces combinées de lutte contre le terrorisme, d’un autre côté. « La population était ainsi prise entre plusieurs mâchoires, et elle devait se méfier de tous les courants. El koul echek fel koul » (tout le monde soupçonne tout le monde), nous dira un vieux pasteur rencontré sur la route de Lekouassem. Ce paysan semble toujours garder ce sentiment de suspicion somme toute légitime. Même en déclinant notre identité, il a refusé de nous entretenir. « La paix est revenue. Pourquoi voulez-vous rallumer le feu ? », s’est-il écrié avec le ton de quelqu’un qui semble craindre la réapparition des vieux démons. Par contre, au chef-lieu de la daïra de Lardjem, les gens sont plus détendus. « Le divorce entre les terroristes et la population a commencé le jour de l’élection présidentielle du 16 novembre 1995, quand ils avaient soupçonné la population d’intelligence, voire de collaboration avec les militaires », témoignera un habitant de cette localité, apostrophé au siège de l’APC de Lardjem.

Notre interlocuteur se souvient de l’embuscade tendue par les forces de l’ANP au niveau de la commune voisine, en l’occurrence Lekouassem. Cette opération, se rappelle-t-il, s’est soldée par l’élimination d’une dizaine de criminels. « Quelque temps après, les terroristes ont décidé de se venger en ciblant des paysans sans défense », a-t-il souligné. Après les ravages de plusieurs hectares de vigne, les dépassements en tous genres et les rackets, vinrent les massacres collectifs. Pour fuir cet enfer, les paysans ont entassé balluchons et enfants sur des carrioles de fortune et quittèrent leurs chaumières rabougries pour s’installer dans des contrées autrement plus protégées. L’appel de l’errance était leur seul et unique salut. Cette population, qui s’est retrouvée dépossédée du jour au lendemain de ses biens, n’avait qu’un seul souhait : la survie. Et tant pis pour le peu de confort que leur procuraient leur cheptel et leur terre.

Certaines familles avaient élu domicile à Lardjem, d’autres à la périphérie de Tissemsilt et les plus aisées avaient carrément fui la wilaya. « Plus de 2000 personnes furent contraintes de quitter Lekouassem », précisera M. Kaddour Sehouane, premier vice-président de l’APC de Lardjem. Selon ce dernier, « la région est aujourd’hui sécurisée, grâce à l’important dispositif de sécurité mis en place dont plusieurs détachements de la garde communale ». Les pouvoirs publics, il faut le reconnaître, ont déployé d’énormes moyens pour « rapatrier » les paysans dans leur milieu rural. « Avec un montage financier conséquent, l’Etat a initié des opérations de repeuplement des haouchs abandonnés », soulignera M. Sahouane. Selon notre interlocuteur, cette opération n’a pas, par ailleurs, atteint les objectifs escomptés. « Malgré les moyens colossaux qui ont été mobilisés, seules 25 familles sur plus de 200 qui ont déserté les lieux ont accepté de regagner leur douar (...) A défaut d’élèves, deux écoles sur les trois qui ont été réalisées sont fermées », a-t-il affirmé. Pour les responsables de la wilaya de Tissemsilt, les trois besoins vitaux, à savoir la sécurité, le travail et les équipements de base sont d’ores et déjà mis en place pour le retour des populations.

Au chapitre de l’agriculture, un élément primordial, « des choses ont été faites mais beaucoup reste à faire », soutient l’élu de la commune de Lardjem. « Sur les 264 postulants dans le cadre du programme d’aide à l’agriculture, 218 dossiers ont été approuvés », a-t-il précisé. Du côté des agriculteurs nous avons, toutefois, eu droit à un autre son de cloche. « Nous voulons des moyens conséquents, pas des plants étiolés qu’on doit planter avec nos mains sur une terre qui a besoin surtout d’une vraie réhabilitation », résumera le paysan en continuant de labourer sa terre avec sa charrue et sa paire de chevaux.

Par Benchabane A., El Watan