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Un écran de fumée entoure la téléphonie par Internet en Algérie

samedi 26 juin 2004, par Hassiba

VOIP (voice over IP, voix sur Internet) quatre lettres qui défraient la chronique du secteur des télécommunications en Algérie.

Après l’Audiotel, ce sont les cartes téléphoniques qui font craindre l’arnaque. Disponibles jusqu’à une date récente, la vente de ces cartes a été brusquement interrompue par l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT).

Mis en cause, certains fournisseurs d’accès à Internet, travaillant au noir, ont profité d’une licence de trois mois, accordée à titre expérimental, pour engranger des bénéfices sur une activité non encore réglementée. Depuis quelques jours, c’est Algérie Télécom (AT) qui est sous le feu des projecteurs pour une supposée infraction à la réglementation. L’opérateur public continuerait à faire fonctionner des services de voix sur IP. Un e-mail envoyé aux autorités des postes et au PDG d’AT par une personne se disant être associée dans une entreprise de fourniture d’Internet (Ornet) information démentie par le directeur de cette société basée à
Oran menaçait les responsables du secteur de transmettre à la presse des révélations sur de supposés détournements au sein d’Algérie Télécom. L’opérateur public favoriserait des entreprises étrangères au détriment des fournisseurs algériens. Le français Matra Multicoms et les anglaises IDT et Vectone auraient signé un contrat pour la terminaison des appels internationaux via le réseau d’AT au moment où des dizaines de providers nationaux sont interdits d’activer dans ce domaine. Ces entreprises loueraient des liaisons de l’ordre de 2 mégas, ce qui représente deux fois plus que ce qui est accordé généralement aux providers locaux. Selon l’un d’eux, ces entreprises violent la loi car « elles n’ont ni l’agrément d’ISP (Internet services provider) ni une existence légale ». « Ces entreprises contournent (bypass) le câble de France télécom (FT) et atterrissent en Algérie dans le backbone (sorte de nodal, ndlr) Internet d’AT, ce qui représenterait une violation des accords internationaux. Non seulement AT leur donne l’occasion de la contourner, mais elle termine (fait la liaison) les communications entre son backbone Internet et les abonnés », a-t-il relevé. Selon lui, cette opération a un coût important et représente un grand manque à gagner. « Il faut compter au moins le tarif d’un appel local pour chaque terminaison. Et quand on pense qu’un de ces opérateurs de voip a fait passer 50 millions de communications en trois mois, et que ceux-ci activent depuis un an, le compte est vite fait. En plus de ces frais de connexion, il y a le manque à gagner d’AT vis-à-vis de la taxe de terminaison que lui paye France Télécom, et qui est, selon le ministre, de 11 DA par appel. Dans le cas de la terminaison vers les portables Djezzy, l’opérateur de téléphonie mobile perçoit 3 à 4 DA par appel terminé de l’étranger. L’énormité de ces chiffres et le caractère quasi-illégal de ces opérateurs installés en Algérie incite à se demander si ces entreprises payent », s’est-il interrogé.

Manque à gagner
Alors que les providers locaux attendent généralement six mois pour avoir accès à Internet, Matra Multicoms, IDT et Vectone disposeraient d’une connexion performante et de bandes passantes plus que généreuses. Certains d’entre eux utiliseraient, selon des sources informées, 32 connexions E1 (16 selon d’autres sources), ce qui représente un accès simultané à 32 000 lignes téléphoniques. « Ils sont faciles à remarquer dans les bourses internationales car ils se targuent de ne pas passer par FT et proposent la destination Algérie à des prix cassés. Alors que la plupart des opérateurs de téléphonie facturent les appels vers notre pays entre 8 et 10 centimes d’euro, ces opérateurs les proposent à 4 centimes d’euro, ce qui ne couvre même pas les frais de passage par le câble sous-marin de FT », affirme un expert, membre du réseau francophone de la régulation des télécommunications FRATEL. C’est simple : le contournement du câble de France Télécom représente un manque à gagner pour l’Etat algérien. Alors que les sommes perçues étaient déjà considérées comme faibles, elles sont aujourd’hui réduites avec l’utilisation de la VOIP. Il n’existe aucun manque à gagner pour l’Etat, pour Amar Tou, ministre des Postes et des Technologies de l’information et de la Communication. Selon lui, ces entreprises étrangères fonctionnent légalement avec Algérie Télécom « qui garde le monopole sur le trafic international ». A propos, une journée d’étude sur le sujet aura lieu aujourd’hui au siège du ministère pour débattre du déclassement et du futur cahier des charges pour l’activité voix sur IP. « L’objectif est de faire en sorte que le consommateur paye moins », a expliqué M. Tou. Pourtant, l’officiel a toujours été partisan de l’augmentation de la taxe de terminaison à l’international et pour son alignement sur les tarifs appliqués par les voisins et qui sont de l’ordre du double. Il est aussi défenseur du concept de surcharge mobile qui représente une bonification pour les opérateurs de téléphonie mobile comme cela se fait dans le monde. D’ailleurs, la déclassification annoncée de l’utilisation de la voix sur IP de licence à simple agrément représente, en un sens, un non-respect de l’offre de vente des licences de GSM, car représentant un relatif préjudice aux opérateurs privés qui perdent de fait une partie de leurs gains à l’international. Algérie Télécom n’a pas voulu communiquer officiellement sur ces accusations. Messaoud Chettih, PDG de l’opérateur historique, directement interpellé par les providers, n’a pas été joignable pendant ces deux semaines. Officieusement, certains responsables ont bien voulu commenter les accusations portés à l’encontre de leur entreprise.« Depuis plusieurs années, Algérie Télécom est en contrat avec ces opérateurs qui ont une grande réputation et qui sont agréés par l’Union internationale des télécoms », a souligné un responsable. Pour lui, il n’y a ni arnaque ni infraction, car AT s’est contentée de terminer les communications venant de l’extérieur et non d’utiliser Internet comme support de télécommunication international.

Inquiétude
Mieux, pour certains cadres, il faudrait qu’AT poursuive ses efforts dans le domaine car cela permettra à terme de faire baisser les prix des communications. La démonstration faite par l’équipementier chinois Huawei, la semaine dernière, tend à confirmer que, dans un avenir proche, AT adoptera un mode hybride entre la téléphonie filaire classique et la voix sur IP pour l’ensemble du réseau national. Younès Grar, président de l’association des fournisseurs de services Internet AAFSI, qui a accusé le coup de la suspension des essais téléphoniques sur Internet, s’est dit inquiet. Il a demandé à l’ARPT de s’expliquer sur la situation. Selon lui, il faut qu’il y ait un équilibre entre les fournisseurs de services et éviter la concurrence déloyale. Le coût élevé des équipements pour les providers et leur faible rendement ont fait que l’activité voix sur IP est une véritable bouée de sauvetage pour eux. Il reste que le marché de la téléphonie sur Internet représente une véritable mine d’or pour les providers. Les spécialistes estiment à deux millions de dollars par mois les recettes de cette activité en Algérie.

Par Akram Kharief, El Watan