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Violences contre les femmes et emploi précaire en Algérie

samedi 9 avril 2005, par Hassiba

Lors d’une rencontre-débat sur l’emploi précaire et les violences à l’égard des femmes à travers l’affaire des femmes agressées à Hassi Messaoud, organisée par le réseau Wassila à Alger, des statistiques effarantes et effrayantes sur l’ampleur des dégâts du code de la famille sur la cellule familiale ont été rendues publiques par une représentante du ministère de la Solidarité.

En Algérie, selon Mme Meziani, sur les 2817 personnes sans domicile fixe « récupérées » de la rue, lors de la vague de froid de décembre 2004, les femmes, âgées de moins de 30 ans, accompagnées de leurs enfants représentent la majorité. Leur situation familiale renseigne assez bien sur les désastres d’un texte inégalitaire sur la société : 457 sont des veuves, 421 sont mariées, 366 répudiées, 221 célibataires et 196 divorcées. « Ce sont des chiffres qui montrent les problèmes profonds que vivent les femmes dans notre pays. Nous souhaiterions que les parties qui font de l’affaire de Hassi Messaoud un registre du commerce cessent de profiter des souffrances de ces femmes et s’occupent beaucoup plus des fléaux qui minent notre société et compromettent l’avenir de nos enfants... », a déclaré Mme Meziani lors de cette rencontre tenue à la salle de conférences de l’UGTA, pour répondre à une critique virulente de la sociologue Mme Fatima Oussedik, enseignante à l’université, à l’égard des pouvoirs publics, pour n’avoir pas réagi rapidement et comme il se doit aux horribles agressions dont a été victime un groupe d’une quarantaine de femmes à El Haïcha, un soir du 13 juillet 2001.

La représentante du ministère de la Solidarité a appelé à « une réflexion sur l’institutionnalisation » du nouveau concept du genre né de la mondialisation et qui favorise le principe de parité dans tous les domaines, notamment dans l’emploi. Elle a fait état des actions menées par son département en direction des trois victimes de Hassi Messaoud dès le début des événements à travers l’envoi sur place d’une équipe de psychologues et par la suite une assistance pour l’accès à des microcrédits « pour permettre aux femmes de reconstruire leur vie ». Mme Sator de l’association Rachda a, quant à elle, fait état des opérations d’accompagnement et d’aide qu’elle a engagées en faveur des victimes et les différents problèmes auxquels ces dernières ont fait face lors de leur prise en charge sanitaire. A ce propos, le professeur Belkhodja est revenu sur le fil de ces événements pour mettre en exergue les défaillances du corps médical : « Il y avait beaucoup d’informations contradictoires sur ce qui s’est passé durant cette nuit du 13 juillet. Trois semaines plus tard, à l’occasion de la Journée de la femme africaine, le 31 juillet, une rencontre a réuni les cadres des ministères de la Santé et de la Solidarité, j’ai demandé de faire partie du groupe chargé de cette affaire et je me suis déplacé avec eux à Darna, le centre où étaient regroupées 13 sur les 39 victimes recensées. Leurs témoignages étaient accablants.

L’examen du médecin légiste, à travers le certificat médical, fait état de la mention sans particularité, c’est-à-dire rien à signaler. Nous avons fait appel à un chef de médecine légale d’un grand hôpital à Alger, il a refusé. Sur décision des plus hautes autorités, des examens gynécologiques sur réquisition de la direction générale de la Sûreté nationale ont été faits et les résultats, trois semaines après les événements, font état de la présence de traces de violence sur les 13 femmes auscultées. Six jeunes filles étaient encore vierges. Deux autres ont subi des violences sexuelles, trois ont été violées et ont dû être suturées, trois portaient des lésions sur le corps et les seins, d’autres avaient des marques de morsures et de blessures avec armes blanches et plusieurs présentaient des lésions vaginales. Les certificats descriptifs ont été donc adressés à la DGSN qui, elle, a transmis au service de médecine légale du CHU Mustapha pour établir des certificats d’incapacité allant de 35 à 65%. Des congés de 30 jours ont été donc délivrés aux victimes... » Le professeur Belkhodja, médecin légiste, s’est interrogé sur les motifs qui ont fait que la police de Hassi Messaoud chargée de cette affaire n’a pas requis les services de médecine légale de l’hôpital de cette ville pour établir les certificats et valoir ce que de droit.

« Comment se fait-il que le secteur sanitaire et la direction de la santé locale n’ont pas réagi devant une telle gravité des faits. Il y a eu beaucoup d’anomalies, notamment ce refus du médecin légiste d’établir des certificats d’examen, qui laissent de lourdes interrogations... », a déclaré le professeur Belkhodja qui a conclu que ces anomalies peuvent trouver leur explication dans le fait que les violences sexuelles ne sont pas enseignées dans le cursus médical. « Il est peut-être urgent de demander, dans le cadre de la réforme de la justice, d’introduire l’incapacité permanente en cas d’agression sexuelle et de viol et de redéfinir, pour plus de sanctions, ces crimes. »

Les graves défaillances des médecins légistes
Ces défaillances ont touché au début également le traitement médiatique de cette affaire, notamment par la presse écrite privée dont les premiers articles ont fait beaucoup plus de mal aux victimes présentées comme des « prostituées ». Mais, par la suite, les écrits ont réussi à éveiller les consciences, comme l’a expliqué une journaliste, et à rassembler les associations pour mieux prendre le train, même s’il était en marche. Le bâtonnier de Biskra, Me Bensaâd, membre de la Ligue algérienne des droits de l’homme (dirigée par Boudjemaâ Ghechir), est revenu, quant à lui, sur le processus judiciaire depuis l’enquête de police jusqu’au procès en deuxième instance qui a eu lieu à Biskra.

Selon lui, 32 personnes ont été présentées devant le parquet dans le cadre de cette affaire, parmi lesquelles des mineures qui ont été déférées devant le tribunal des mineurs. « Toutes les lourdes charges qui relèvent de la criminelle ont été abandonnées au cours du premier procès à l’issue duquel 8 acquittements ont été prononcés. La Cour suprême a cassé ce jugement et renvoyé l’affaire devant un autre tribunal autrement constitué. Ce dernier a retenu le vol qualifié, l’atteinte à l’ordre public, l’incitation au trouble public, l’atteinte à la pudeur, coups et blessures volontaires, la violation de domicile, le vol qualifié... et prononcé 23 condamnations de 20 ans à 3 ans de prison. Il a exigé de chacun des inculpés de verser 100 000 DA aux victimes. Un pourvoi en cassation a été introduit auprès de la Cour suprême par le parquet général et les avocats de la partie civile... »

L’avocat a précisé que le tribunal criminel de Biskra a été très touché par les témoignages des victimes et en refusant le huis clos demandé par certains avocats des inculpés, le président a été attentif aux cris des femmes. « La justice est une grande et lourde machine qui se met en branle tout doucement. C’est le principe de la condamnation qui est important et non le nombre d’années de prison prononcé. » Une déclaration que ne partagent pas certains intervenants qui trouvent que ces condamnations n’étaient pas à la hauteur des crimes commis. Mme Ouseddik, sociologue, a estimé que dans cette affaire il y a eu effectivement une atteinte à l’ordre public et les auteurs ne sont pas ceux qui étaient au box des accusés du tribunal de Biskra, mais plutôt les femmes de Hassi Messaoud. « Ces dernières ont quitté leurs famille et domicile pour aller travailler ailleurs que dans leur lieu de résidence et habiter de surcroît seules. Elles ont donc enfreint l’ordre social établi et accepté par tout le monde.

La société s’est défendue en sanctionnant ces femmes. Il est donc normal que tout le processus qui vient par la suite ne puisse pas remettre en cause cette sanction. La société est inégale, pourquoi voulez-vous que sa justice soit égalitaire ? La loi est fondée sur un code qui rappelle le code de l’indigénat durant la période coloniale. Les femmes subissent aujourd’hui le code de l’indigénat. Est-ce que les microcrédits que le ministère de la Solidarité a accordés aux victimes ont réparé l’injustice dont ces femmes ont été victimes ? Il faut donc inscrire ce qui s’est passé dans ces lieux comme un point de non-retour afin qu’il rappelle à chaque fois la panoplie des violences que subissent les femmes dans notre pays. » Cette intervention a remis sur le tapis toutes ces atteintes auxquelles les femmes font face quotidiennement à l’image du harcèlement sexuel devenu un fléau national.

Mme Achouri, psychologue du centre d’écoute ouvert il y a un peu plus d’une année par la commission des femmes travailleuses de l’UGTA, a fait état du premier bilan de ce centre. Ainsi, de janvier à décembre 2004, il a été enregistré 393 victimes, dont l’âge varie entre 21 et 55 ans, sur plus d’un millier d’appels téléphoniques provenant de toutes les régions du pays, mais avec quand même un pic pour la capitale avec un tiers des appels. Aucune femme n’échappe à ce phénomène, a expliqué la psychologue, mais avec une prédominance pour les divorcées qui constituent 114 cas et celles en instance de divorce avec 51 cas. Les victimes se trouvent aussi bien dans la sphère privée, avec 140 cas, que celle publique avec 288 cas. Cette différence ne veut pas dire que dans l’administration publique les femmes sont le plus harcelées. « Cela s’explique par le fait que dans le secteur privé, en l’absence de représentation syndicale, les femmes ont du mal à briser le mur du silence. » Mme Djerbal, du réseau Wassila, fait état des chiffres du CNES concernant l’emploi féminin qui reste, selon elle, le seul élément qui libérera la femme de toute sorte de dominations.

Lors d’un long débat, les participants à cette rencontre, notamment des médecins et des avocats ainsi que représentantes du mouvement associatif, ont soulevé la grande problématique liée au fait que les associations ne peuvent se constituer partie civile dans les procès des affaires ayant trait aux violences contre les femmes et les enfants. Certains intervenants se sont interrogés pourquoi l’imam du quartier d’El Haïcha, qui avait fait un prêche incitant à la violence, n’a pas été inquiété et pourquoi le crime de viol n’a pas été retenu contre les auteurs, puisqu’il n’y a dans les charges retenues que l’atteinte à la pudeur. D’autres ont demandé aux associations de déposer plainte contre les médecins légistes ayant refusé d’assister les victimes et tous les autres membres du corps médical et des services de sécurité qui ont failli à leur mission. Il est également demandé aux pouvoirs publics de mettre un terme à ces agences de sous-traitance qui agissent en véritable entreprise d’esclavage dans le sud du pays et dont les femmes sont les premières victimes. A la fin des travaux, les participants à cette journée ont appelé à l’inscription d’une journée marquant le drame d’El Haïcha, mais aussi à faire en sorte que les pouvoirs publics dans le cadre de la réforme judiciaire introduisent l’enseignement des violences sexuelles dans le cursus de la police et de la gendarmerie et de faire jouer les lobbys pour le principe de parité dans l’accès aux postes de responsabilité qui restent, dans la santé notamment, entre les mains des hommes.

« En dépit du fait que les femmes représentent une bonne partie du secteur médical, plus vous montez dans la hiérarchie plus la présence des femmes s’amenuise. Nous n’avons aucune femme chef de service ou directrice d’hôpital à ce jour... », a déclaré le professeur Janine Belkhodja. Mme Oussedik a rappelé, à la fin, le combat des femmes durant les années 1970 et 1980 pour faire annuler les instructions de l’interdiction de donner un logement de fonction aux femmes célibataires ou encore cette autorisation du mari pour laisser son épouse quitter le territoire national. « Lorsque nous nous battons, nous arrachons nos droits. Alors continuons à le faire.... », a-t-elle conclu.

Par Salima Tlemçani, elwatan.com