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Virée nocturne dans les “dikis” d’Alger

samedi 30 avril 2005, par nassim

De la galerie souteraine près de la Grande-Poste aux marchés Réda-Houhou et Zaâtcha (Alger), on voit les mêmes jeunes brisés par l’alcool, la drogue et la prostitution dans lesquels les a poussés leur famille déchirée.

La misère gagne du terrain à Alger.

Peut-on avancer un chiffre représentant le nombre de marginalisés parmi les jeunes ? Peu probable quand on sait que pénétrer ce milieu n’est toujours pas chose facile en raison de la complexité des causes endogènes et exogènes de chacun des individus qui le composent. Et c’est justement dans ce cadre que la cellule de lutte contre la délinquance juvénile du groupement de la Gendarmerie nationale d’Alger, en collaboration avec la sûreté de wilaya d’Alger et la Fondation des droits de l’enfant et de l’adolescent (Fadea) a initié dans la nuit de mercredi une visite de travail sur le terrain. La tournée, entamée à partir de 21h, a permis notamment aux journalistes présents de vivre des moments poignants avec cette frange de la société qui a choisi un mode de vie dicté par la loi de la jungle. 7 points ont été ciblés pour servir d’étude de cas. Notre première escale a été effectuée à proximité du Jardin de l’horloge florale, dans le quartier de la Grande-Poste, plus exactement au niveau des escaliers menant de l’hôtel Albert 1er vers le Palais du gouvernement.

Nacer Dib, le président de la Fadea, nous indique une trappe en béton qui n’est autre que la porte d’une voie souterraine qui passe sous le jardin. Impossible de soupçonner qu’une grande animation se fait à l’intérieur de cette galerie. Le maître des lieux, un jeune de 21 ans était absent. Il faut dire que chez ces délinquants, on ne vit que la nuit. Un monde à part où la zetla, l’alcool, la prostitution et l’homosexualité constituent les activités principales. Une vingtaine de minutes plus tard, nos véhicules s’arrêtent à la rue Mustapha-Ferroukhi (ex-Richelieu).

Précédés par notre guide et intermédiaire avec les jeunes délinquants, Nacer Dib, nous dévalons l’escalier menant vers le marché Réda-Houhou (ex-Clauzel). La grande animation de la journée a laissé place depuis quelques heures à un calme presque inquiétant. Surpris par notre arrivée, un groupe de jeunes essaie de se disperser. Ils se cachent le visage, refusant de se laisser prendre en photo. Les deux caméras (gendarmerie et ENTV) les effraient. En un tour de passe-passe, M. Dib les rassure en leur expliquant que tout ce beau monde est là pour les aider. Ils reprennent confiance. Fouzi, 23 ans, est bourré. Il a passé une partie de la journée à s’envoyer des psychotropes. Les yeux en état de mydriase, il parle de sa vie dont plusieurs épisodes passés en prison.

Cela fait une semaine qu’il vient de purger sa dernière condamnation. Habitant à La Casbah, c’est ici à Clauzel qu’il a préféré élire domicile. N’ayant aucune occupation professionnelle, il vit de petits larcins. Cette vie, il l’a choisie car au sein de sa famille, le tissu familial est déchiré. Il n’est pas tranquille, certes, mais il n’a pas de solution de rechange. Pour cette nuit, son but est de se saouler, et demain il fera jour, comme aurait dit le poète Imrou Al Qaïs. Salah, son compagnon de Bab El-Oued confiera que la raison de sa situation est née d’une mésentente entre son père et sa mère. Cette dernière, ne pouvant admettre que son fils soit chassé de la maison par le père, a quitté le domicile conjugal. À son tour, le jeune Salah a préféré partir pour se jeter dans la gueule du loup. Nous quittons Clauzel pour Zaâtcha, un quartier tampon entre les communes de Sidi-M’hamed, El-Madania et El-Mouradia.

Pour arriver vers le “diki”, terme utilisé par le jargon du milieu, quelques exercices dignes du parcours du combattant sont nécessaires. Située sur un dénivelé, la planque s’avère une grotte d’accès très difficile. Un jeune du quartier, que Nacer Dib connaît bien, n’a pas hésité pour faire un témoignage assez éloquent sur son triste épisode vécu dans cet enfer. “Je me suis fait avoir par mes copains qui m’ont entraîné dans ce milieu. Au début, on me demandait de leur acheter des boissons alcoolisées. Je veillais jusqu’à une heure indue. Je me disputais avec mon père à qui je n’obéissais plus. Ils ont attenté à ma pudeur. C’était trop. Puis un beau jour, j’ai décidé de me retirer de cet engrenage. Al hamdou Lil Allah !, aujourd’hui, je gagne ma vie comme vendeur de légumes au marché d’El-Mouradia”, confie-t-il.

Le fantôme du Roxy, Khaled et Adda

Située sur la grande artère de Belouizdad, le Roxy était jusqu’au milieu des années 70 l’une des plus belles salles de cinéma de la capitale. Aujourd’hui, il ne reste de cette salle que des ruines. Pourtant, un jeune homme de 39 ans, handicapé et marginalisé, n’a pas hésité à vivre parmi les décombres et les gravats. Enfant de Belcourt, il a préféré quitter sa famille pour s’installer dans ces lieux menaçant de s’effondrer à tout moment. Il est ici depuis cinq ans. Pour lui, c’est le dégoût d’une vie de handicapé qui l’a poussé à s’isoler. Un jour, alors qu’il était sous l’effet de l’alcool et de la drogue, il est tombé du train. Il avait 28 ans.

Mais notre bonhomme a passé le plus gros de sa vie dans les prisons. Dès l’âge de 16 ans, il a connu la taule. Treize fois condamné. À la treizième, après sa sortie, il apprit que son frère avait été assassiné. La gare centrale, comme dans le film de Chahine, a toujours gardé son aspect de lieu de convergence des gens de l’intérieur. C’est aussi à proximité de cette gare qu’existe un des coins les plus prisés par les jeunes délinquants. Khaled, appelons-le ainsi, est un fan de la star du raï. Lors de notre présence sur les lieux, il n’a pas cessé de reprendre ses tubes. Trig lycée, Ne m’en voulez pas, Aïcha et bien d’autres encore, superbement imités. Son ami Hamza, arrivé de Khemis-Miliana raconte son histoire. Des scènes de ménage fréquentes suivies de violence. Ses parents ne s’entendent plus. Sa fugue est une délivrance. Adda, un adolescent se disant âgé de 17 ans, mais n’en faisant pas plus de 10 avec son corps minuscule. Ça sent la “patex” à des centaines de mètres à la ronde. Ici, la violence peut éclater d’une minute à l’autre. Hamza, qui porte un bandeau sur la tête, en connaît un bout. Refusant de céder aux bas instants de ses copains, il a reçu un bloc sur le crâne. à Qaâ Sour (Bab El-Oued), les occupants des lieux ont préféré déguerpir avant notre arrivée.

Quant au titanic, c’est une forteresse imprenable durant la nuit. Il faut beaucoup de renfort. Sur le but de cette opération, le colonel Ayoub, chargé de la cellule de communication du commandement de la Gendarmerie nationale, dira “qu’il faut recenser les gens qui sont dans la rue. C’est nécessaire pour nous de sortir sur le terrain. Cela peut souvent aboutir à retrouver des jeunes recherchés par leur famille. Il faut tirer la sonnette d’alarme sur ce fléau qu’est la délinquance juvénile. Entre 2000 et 2003, 1 100 crimes et délits sur ascendants ont été commis. L’enfant ne reconnaît plus la cellule familiale ; un phénomène qui nécessite une étude scientifique. Au début, on voulait faire le travail seuls, mais il s’est avéré nécessaire d’associer la DGSN. Nous souhaitons que cette opération se généralise à l’échelle nationale. Pour rappel, Oran est la capitale du crime et des délits en tous genres”.

Par Ali Farès, liberte-algerie.com