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Zarqaoui et les otages algériens

lundi 25 juillet 2005, par Kahina

Alors que le GSPC félicite Abou Mossab Al-Zarqaoui, chef d’Al-Qaïda en Irak, pour la « réussite » de l’enlèvement des deux diplomates algériens, des interrogations persistent sur le sort de Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi dont on demeure sans nouvelles.

Abou Mossab Al-Zarqaoui serait derrière l’enlèvement des deux diplomates algériens en poste à Bagdad, Irak.

Quatre jours depuis l’enlèvement des deux diplomates algériens en poste à Baghdad. Après les premières condamnations, timides, de la classe politique et du mouvement associatif algérien alors que le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia en a appelé à la mobilisation constante, l’heure est aux questions sur la méthode à adopter pour libérer les otages dans un pays où règne un chaos qui complique déjà la tâche des responsables algériens.

Depuis la revendication de l’enlèvement par l’organisation d’Al-Qaïda « dans le pays des deux Euphrate », les analystes se penchent sur les objectifs des kidnappings opérés en Irak, selon les cibles de Abou Mossab Al-Zarqaoui, appelé tendrement par ses hommes le « cheikh et commandant des massacreurs ».

Si le terroriste jordanien fait exécuter systématiquement ses otages, cela est dû au fait qu’il est convaincu, selon l’une des fatwas qui régit le mouvement qu’il dirige, que ces opérations « sont licites par la Charia. Les otages ne sont pas véritablement des otages, car il y a une différence entre un otage et un espion ou un captif. Le verdict pour les espions est la mort. Mais il existe des divergences quant à l’exécution du verdict, qui peut se faire par l’épée ou par balles » a-t-il expliqué un jour sur un forum islamiste.

Une conception qui donne froid dans le dos et qui n’augure rien de bon pour les otages algériens. Reste que des divergences avaient éclaté au sein du groupe Al-Tawhid wal Djihad qu’il dirigeait avant la création d’Al-Qaïda Irak, concernant le ciblage des otages. S’appuyant sur les avis de oulémas qui avaient condamné les prises d’otages, et certains ont appelé Zarqaoui à ne pas sombrer dans l’exécution systématique, notamment d’otages musulmans qu’il ne pouvait, ni ne devait, mettre sur le même pied d’égalité qu’un « otage chrétien ou juif ». Mais le précédent de l’ambassadeur égyptien, Ilhab, a donné une autre envergure aux kidnappings qui visent, actuellement, des diplomates des pays arabes. Zarqaoui, qui avait tenté de plastiquer l’ambassade de son pays d’origine, la Jordanie, à Baghdad, a franchi, depuis un moment, ces considérations de sélectivité dans les exécutions. Zarqaoui pratique, d’ailleurs, des techniques de mutilation pour faire admettre à des otages qu’ils sont espions ou qu’ils soient « à la solde des croisés ». C’est-à-dire que l’otage est pro-américain ou soutiendrait le gouvernement considéré comme « fantoche » d’Iyad Allaoui. Il s’appuie notamment sur les fatwas d’Abi Anas Al-Chami et d’Abou Mohamed Al-Makdassi. Les autorités algériennes qui, depuis l’avènement du président Bouteflika, ont resserré les liens avec des oulémas orientaux, peuvent jouer sur ces contradictions.

« Le gouvernement algérien n’a eu de cesse de couvrir ses activités et son soutien aux croisés en Irak. Et à chaque fois qu’il exprime son soutien au peuple irakien, il met, en même temps, un poignard dans le dos du peuple irakien et soutient le gouvernement impie d’Irak et l’alliance chrétienne pour combattre les moudjahidines et violer les lieux sacrés de l’Islam ». C’est en ces termes que le GSPC, du moins le responsable de la commission d’information des salafistes algériens, a étayé les félicitations adressées aux terroristes du groupe Zarqaoui, après l’enlèvement des deux diplomates algériens.

Les vers de poésie et la joie exprimés par le GSPC dans ce communiqué daté du 23 juillet, marque l’approbation du GSPC de ce type d’opération. Le groupe salafiste de l’émir Droudkel Abdelouahab voit une opportunité de signer son adhésion à l’organisation irakienne d’Al-Qaïda. Ce communiqué répond à celui de Abou Yassir Al-Chami qui signe les communiqués de Zarqaoui et qui avait félicité, un mois auparavant, le GSPC de son opération à la caserne de Lemghity en Mauritanie.

Les rapports GSPC-Zarqaoui s’articulent autour d’intérêts spécifiques mais complémentaires. Le GSPC s’est lancé, depuis deux années, dans une stratégie d’internationalisation, du moins, d’expansion régionale qui nécessite un appui (moral, financier et logistique) des réseaux d’Al-Qaïda. Pressé sur le terrain en Algérie, le GSPC prospecte de nouvelles zones d’implantation et d’action à travers des connexions établies en Tunisie, Maroc, Mali, Niger, Soudan et Mauritanie. L’essentiel est de recevoir la caution d’Al-Qaïda, du moins sa branche irakienne qui tient le haut du pavé dans l’organisation d’Oussama Ben Laden.

L’intérêt de Zarqaoui est autre. Tout en n’appréciant pas particulièrement les salafistes algériens, il demeure attentif à ces islamistes du Maghreb qui peuvent lui être fort utiles dans le montage des réseaux d’Al-Qaïda en Europe où les Maghrébins évoluent à leur aise pour des considérations linguistiques et comportementales. S’il a recruté des Pakistanais à Londres, il pourra constituer des réseaux dormants en Europe avec des « kamikazes » maghrébins. Il leur offre, en Irak, la possibilité de s’affirmer, de s’entraîner et d’intégrer le cercle fermé des éléments d’Al-Qaïda.

Comme dans toute prise d’otages, les premières 48 heures sont décisives pour tenter de cerner la méthode employée et définir les contours du groupe des ravisseurs. L’organisation de Zarqaoui s’est lancé apparemment un défi d’enlever un diplomate dans le quartier sécurisé d’Al-Mansour, un des mieux protégés à Baghdad et s’en est vantée. Pourquoi avoir ciblé dans ce cas un diplomate d’un Etat qui ne participe pas à la coalition militaire étasunienne ? Ali Belaroussi, selon le témoignage de son épouse à Baghdad, se montrait particulièrement prudent depuis l’enlèvement de son homologue égyptien, « il ne partait même plus chez le coiffeur ». L’opération d’enlèvement a présenté des risques évidents pour le groupe Zarqaoui qui a kidnappé la plupart des otages dans des quartiers populaires ou dans des souks.

L’opinion publique aura facilement opéré des comparaisons entre le cas des deux diplomates algériens et le cas de la journaliste française de Libération, Florence Aubenas. Au-delà du fait que le rapt se déroule à Baghdad, très peu de points communs peuvent être avancés pour pouvoir évoquer une fin heureuse, comme ce fut le cas de la journaliste française, libérée après 5 mois de captivité.

D’abord, le fait que Aubenas n’a pas été détenue par l’organisation de Zarqaoui qui, sur l’échelle de l’horreur, est bien devant les autres factions djihadistes irakiennes sunnites. Plusieurs groupes de la « résistance islamique en Irak » d’ »Al-Ansar », d’ »Al-Mouhajiroun » ou d’autres, qui sont de composante irakienne pour la plupart, organisent des opérations d’enlèvement pour s’autofinancer et laissent les portes de la négociation ouvertes. Leur seule crainte est de ne pas être retracés dans leurs méthodes, leurs planques et leurs intermédiaires pour ne pas subir un assaut irako-américain. Ce sont des djihadistes locaux avec une implantation géographique limitée qui peut permettre aux Etats ayant des otages, à restreindre le champ d’investigation et de contacts, soit au niveau local, soit tribal.

Ensuite, le fait que le groupe Zarqaoui, dont les effectifs sont inconnus, s’appuie sur une « légion internationale » qui compte des dizaines de salafistes algériens envoyés en Irak par le GSPC, mais aussi des Yéménites, des Jordaniens, des Egyptiens et des Saoudiens, tous réunis sous la même bannière et obéissant aveuglément au terroriste jordanien. Zarqaoui a une estime considérable pour ces « moudjahidines » venant d’autres pays pour épauler Al-Qaïda en Irak, et il le fait savoir comme lorsqu’il écrivait le 11 septembre 2004 que : « l’Amérique a été vaincue et humiliée par les guerriers musulmans (...) Ceci est la fraternité du djihad, réunissant Mouhadjirine et Ansar », le premier désignant les volontaires étrangers, et le second les Irakiens autochtones. Enfin, la recherche d’intermédiaires risque d’être périlleuse, surtout dans le contexte irakien où les anciens interlocuteurs des Irakiens ont été supplantés par des islamistes sunnites. Les anciens de l’armée et des Moukhabarates irakiennes peuvent être d’un secours précieux pour les Algériens, mais rien n’indique que les connexions avec Zarqaoui soient possibles.

Par le Quotidien d’Oran