par Maurice T. Maschino*
Le Nouvel Observateur. - Qu’avez-vous ressenti en retrouvant l’Algérie trente ans après?
Maurice T. Maschino. - Un choc, bien sûr, mais atténué par les retrouvailles avec beaucoup de mes anciens élèves. Ce qui m’a frappé, c’est que j’ai éprouvé un sentiment de continuité et pas du tout de coupure. D’une certaine manière, j’ai eu le sentiment, grâce à eux, de n’être jamais parti. Et au-delà de mes émotions, j’ai regardé l’Algérie de plus près.
N. O. - Et qu’avez-vous vu?
M. T. Maschino. - J’avais quitté une ville, Alger, en 1971, et j’ai retrouvé une bourgade sale où les endroits les plus agréables ont été transformés en souk, où les rues débordent de sacs d’ordures qu’apparemment plus personne ne voit. Et que dire de ces gens qui bâtissent des maisons n’importe comment et qui saccagent le paysage? J’ai été déçu par tout ce que je voyais. Il me semble que beaucoup d’Algériens n’aiment pas l’Algérie. A commencer par le pouvoir, qui s’en moque complètement. Sinon comment peut-il expliquer que cette jeunesse algérienne pleine d’ardeur, de possibilités, ne pense qu’à partir sans se remettre en question?
N. O. - Comment analysez-vous la situation politique à la veille des élections présidentielles?
M. T. Maschino. - Je dirais qu’à moyen terme, ça ne peut être que pire et qu’à plus long terme, je suis optimiste. Certains chiffres permettent en effet un peu d’espérance: 52% de femmes mariées travaillent malgré les menaces du FIS; l’espérance de vie, qui était de 47 ans en 1962, est aujourd’hui de 71 ans. Beaucoup de choses se font mais c’est chacun de son côté. Personne n’est en relation avec l’autre. Si bien que l’impact de ce qui est accompli est nul.
N. O. - Vous excluez donc totalement, à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril, une réaction civique «à l’espagnole»?
M. T. Maschino. - Les Algériens sont découragés, sans espoir. Ce qui compte, c’est leur propre vie . Il n’y pas de peuple algérien. Il y a 30 millions d’électrons, 30 millions d’opposants mais pas d’opposition, 30 millions d’individus qui essaient de survivre de la manière la moins dure possible. Un peuple, ce n’est pas ça. Un peuple a un projet en commun, se voit un avenir en commun et se reconnaît un passé commun. Si on se fonde là-dessus, où est le peuple?
Propos recueillis par Nebia Bendjebbour
(*) «L’Algérie retrouvée», par Maurice T. Maschino, Fayard, 249 p., 17 euros.
Professeur de philosophie, militant pour l’indépendance, marié à une Algérienne, Maurice T. Maschino est retourné dans ce pays qu’il avait quitté il y a trente ans. Il en a rapporté un livre de colère et d’espoir: «l’Algérie retrouvée». Il collabore au «Monde diplomatique» depuis 1973.
Source : Le nouvel observateur
Le Nouvel Observateur. - Qu’avez-vous ressenti en retrouvant l’Algérie trente ans après?
Maurice T. Maschino. - Un choc, bien sûr, mais atténué par les retrouvailles avec beaucoup de mes anciens élèves. Ce qui m’a frappé, c’est que j’ai éprouvé un sentiment de continuité et pas du tout de coupure. D’une certaine manière, j’ai eu le sentiment, grâce à eux, de n’être jamais parti. Et au-delà de mes émotions, j’ai regardé l’Algérie de plus près.
N. O. - Et qu’avez-vous vu?
M. T. Maschino. - J’avais quitté une ville, Alger, en 1971, et j’ai retrouvé une bourgade sale où les endroits les plus agréables ont été transformés en souk, où les rues débordent de sacs d’ordures qu’apparemment plus personne ne voit. Et que dire de ces gens qui bâtissent des maisons n’importe comment et qui saccagent le paysage? J’ai été déçu par tout ce que je voyais. Il me semble que beaucoup d’Algériens n’aiment pas l’Algérie. A commencer par le pouvoir, qui s’en moque complètement. Sinon comment peut-il expliquer que cette jeunesse algérienne pleine d’ardeur, de possibilités, ne pense qu’à partir sans se remettre en question?
N. O. - Comment analysez-vous la situation politique à la veille des élections présidentielles?
M. T. Maschino. - Je dirais qu’à moyen terme, ça ne peut être que pire et qu’à plus long terme, je suis optimiste. Certains chiffres permettent en effet un peu d’espérance: 52% de femmes mariées travaillent malgré les menaces du FIS; l’espérance de vie, qui était de 47 ans en 1962, est aujourd’hui de 71 ans. Beaucoup de choses se font mais c’est chacun de son côté. Personne n’est en relation avec l’autre. Si bien que l’impact de ce qui est accompli est nul.
N. O. - Vous excluez donc totalement, à l’occasion de l’élection présidentielle d’avril, une réaction civique «à l’espagnole»?
M. T. Maschino. - Les Algériens sont découragés, sans espoir. Ce qui compte, c’est leur propre vie . Il n’y pas de peuple algérien. Il y a 30 millions d’électrons, 30 millions d’opposants mais pas d’opposition, 30 millions d’individus qui essaient de survivre de la manière la moins dure possible. Un peuple, ce n’est pas ça. Un peuple a un projet en commun, se voit un avenir en commun et se reconnaît un passé commun. Si on se fonde là-dessus, où est le peuple?
Propos recueillis par Nebia Bendjebbour
(*) «L’Algérie retrouvée», par Maurice T. Maschino, Fayard, 249 p., 17 euros.
Professeur de philosophie, militant pour l’indépendance, marié à une Algérienne, Maurice T. Maschino est retourné dans ce pays qu’il avait quitté il y a trente ans. Il en a rapporté un livre de colère et d’espoir: «l’Algérie retrouvée». Il collabore au «Monde diplomatique» depuis 1973.
Source : Le nouvel observateur
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