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Ramadhan et la consommation de drogue en Algérie

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  • Ramadhan et la consommation de drogue en Algérie

    Contrairement aux idées reçues, durant le mois de Ramadan «certains interdits» ne sont pas bannis des habitudes chez une certaine catégorie de citoyens en Algérie.

    Notamment les jeunes, par centaines et de plus en plus nombreux, qui sont habitués à consommer de l’alcool. Ainsi, la fermeture des bars et l’interruption de la vente de boissons alcoolisés pendant le mois de sacré les poussent à se trouver un produit de substitution, «discret», en consommant du kif, plus communément appelé «zetla». Un produit qui certes, nous dit-on, est d’un effet moins appréciable que celui que procure la consommation d’alcool, mais qui, dans ce contexte précis, fait l’affaire. La zetla gagne davantage de terrain durant le mois de Ramadan, période où elle est écoulée en grandes quantités.

    Dans le milieu des jeunes, on préfère prendre le risque d’être appréhendé et écroué en consommant ce produit interdit par la législation algérienne que de supporter de se passer de ce plaisir. La religion ne constitue pas un véritable problème pour les toxicomanes, qui s’aménagent une batterie d’arguments, bien à leur convenance. «L’alcool ? Jamais je n’en consommerais durant le mois de Ramadan. C’est péché. Par contre, la Zetla , selon ce que j’ai entendu dire sur une des chaînes satellitaires télévisées, est, sous certaines conditions, tolérée par la religion… C’est tout le monde qui le sait. Tu peux t’adonner à la consommation de cannabis après la rupture du jeûne sans ne rien craindre devant Dieu !», nous confie un jeune toxicomane occasionnel qui a accepté d’apporter son témoignage sous l’anonymat.

    A l’instar des marchés de produits alimentaires, la règle de l’offre et la demande régit le marché des stupéfiants, qui souvent connaît également des perturbations en matière d’approvisionnement durant le mois de Ramadan, conduisant ainsi à la pénurie et donc automatiquement à la flambée de leurs prix. «La zetla peut afficher des prix sensiblement plus élevés durant le mois sacré, mais cela est légitime », affirme un drogué, totalement dépendant de sa drogue. Il en arrive à tout justifier.

    Son fournisseur - son dealer - est absout de tous les maux. Le drogué vit en permanence dans la hantise d’une rupture d’approvisionnement, au point de faire l’apologie des dealers. «Nous comprenons très bien pourquoi on nous exige de payer cette différence : c’est la taxe du risque, que nous devons aux dealers qui veillent à nous procurer cette marchandise malgré le danger auquel s’expose une grande partie de nos distributeurs en raison de l’accroissement de l’activité des différents services de sécurité spécialisés dans la lutte anti-stupéfiants durant cette période de l’année», essaie de justifier notre interlocuteur.

    Et de poursuivre : «Là, au moins, on se sent tranquille, on ne compte que sur nos amis dealers en matière d’approvisionnement… Nous, au moins, nous sommes à l’abri de promesses mensongères comme celles que certains politiciens algériens ont l’habitude d’avancer, s’agissant de pareilles crises observées dans les marchés de fruits et légumes et pour les produits de première nécessité », lance avec une pointe d’ironie ce jeune.

    Et la consommation de kif, qui était le monopole des hommes, tend à se propager dans le milieu féminin. «De nos jours, beaucoup d’adolescentes et de femmes adultes ne trouvent pas d’inconvénient, voire n’hésitent souvent pas, à partager leur plaisir malsain», nous dit-on. Les récentes et importantes saisies de cannabis que les différents services chargés de la lutte anti-stupéfiants ont enregistrées durant les sept premiers mois de l’année à travers le territoire national, estimées à environ 43 tonnes de résine de cannabis, renseignent on ne peut mieux sur l’ampleur de ce trafic en Algérie. Même si la majorité des responsables en question se sont mis d’accord pour déclarer que ces quantités étaient destinées à l’exportation, cela n’exclut pas l’hypothèse d’un éventuel quota devant être écoulé sur le marché local. Dans ce milieu clos, ni la curiosité, ni les parasites ne sont appréciés.

    Seule l’assurance que nous avons donné à nos interlocuteurs de respecter leur anonymat nous a permis d’«entrer» dans leur monde pour comprendre ce phénomène. Ainsi, l’on saura que le kif se vend sous différentes formes, prix, qualité et, surtout, sous plusieurs appellations. La Poulina est vendue à 200 DA le morceau, El- Ghalia à 1 500 DA, El- Souaga (la plus répandue) à 500 DA. Mercedes, Lacoste sont d’autres appellations que les toxicomanes attribuent aux différentes sortes de kif disponibles sur le marché local. Comme dans les autres domaines de la vie sociale, la différence se fait par l’argent. Les toxicomanes consomment la drogue de leurs moyens. «Les plus prestigieuses qualités de kif sont souvent celles destinées à l’étranger. Quand ce type de produit est disponible sur le marché local, il est dans la plupart des cas réservé à une clientèle particulière, souvent issue de la haute société. C’est dans des appartements ou dans des cabarets connus pour ce genre de trafic que se fait souvent la commercialisation de la zetla la plus coûteuse», poursuit notre interlocuteur.

    Chez les jeunes drogués se développent par ailleurs une philosophie du cynisme et une banalisation de l’autodestruction qui font froid dans le dos. Lorsque la question des effets de la zetla est évoquée, les jeunes toxicomanes s’en sortent par une pirouette en s’en prenant à certains dealers. «Il ne faut surtout jamais penser que la contrefaçon est propre au domaine des produits ménagers et alimentaires », déplore notre interlocuteur qui nous cite à ce propos plusieurs méthodes pratiquées par certains «dealers malhonnêtes » dans l’objectif d’augmenter leurs bénéfices au détriment de «la qualité de la marchandise» écoulée. La santé des drogués est dangereusement menacée lorsqu’on apprend, à titre d’exemple, le recours à l’usage du cirage pour donner de la couleur au «kif de mauvaise qualité», afin de le faire passer pour être de «bonne qualité.» Le mélange de kif avec divers substances chimiques et produits psychotropes dans le but d’augmenter ses effets constitue également l’une des pratiques utilisées.

    A Oran, Ramadan ou pas, la consommation de drogue a pris des proportions alarmantes, d’autant plus que les espaces dans lesquels celle-ci était confinée ont littéralement explosé. «L’ère où certaines localités tiraient leur réputation de leurs célèbres dealers, qui activaient exclusivement dans des endroits précis, est révolue.

    Maintenant, la zetla se vend partout : dans les places publiques, dans les quartiers populaires tels que El-Hamri, Saint-Pierre, Victor-Hugo, les Amandiers, les Planteurs, Sid-El-Houari, El-Derb, mais aussi dans les endroits chics comme Saint-Hubert, les Castors, Canastel, les Palmiers…, et ce outre les cafés, les marchés de fruits et légumes, les cités universitaires, les mosquées, les bars et certains cabarets. Partout où vous allez, vous les trouverez. Les dealers sont de tous âges, des plus jeunes aux plus vieux. La prison ne leur fait plus peur, c’est même devenu à la mode», concluent nos témoins. Les jeunes qui sont devenus accros à la drogue sous toutes ses formes vivent dans un monde qui est le leur et semblent détachés de la société qui, selon leur propos, ne leur a apporté que restrictions, mal-être et incompréhension.

    Comble de l’ironie chez ces jeunes consommateurs de zetla, le Ramadan est, sous ses autres aspects, pratiqué le plus normalement du monde. Mais à l’heure du f’tour, le chemin de ces jeunes se sépare de celui du reste de la société.

    Par le Soir
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