Il y a 18 ans, le 29 juin 1992 à 11h40, au Palais de la culture de Annaba, Mohamed Boudiaf, président du Haut Conseil de l’Etat, était assassiné par Lambarek Boumarafi, un membre de la garde présidentielle.
C’était quelques minutes après que Boudiaf, le héros de la guerre de Libération, a tendu ses mains en signe de réconciliation à ceux qui, 9 mois auparavant, s’étaient préparés à mettre l’Algérie à feu et à sang. Comme le millier de cadres et personnalités de plusieurs régions de l’est du pays présents dans la salle de cet établissement de la culture, ce jour-là, j’y étais, j’ai vu et j’ai vécu cette bien triste chaude matinée d’été. Rien, pourtant, ne laissait présager pareille situation.
Des jours auparavant, les habitants de Annaba des deux sexes et de tous âges ne parlaient que de cette visite. On se plaisait à répéter que Mohamed Boudiaf était porteur d’espoir, de paix et d’un bel avenir pour l’Algérie.
Tout le long de l’itinéraire présidentiel, sur le Cours de la Révolution comme aux abords du Palais de la culture, l’allégresse populaire était à son comble à Annaba.
Particulièrement du côté de la jeunesse qui, avec la lutte contre la corruption et le trabendo, représentait un des grands chantiers que Boudiaf s’est attelé à prendre en charge. C’est cette même jeunesse qui l’avait accueilli dans le hall du Palais de la culture avant qu’il n’entre à l’intérieur pour faire son discours sous des applaudissements nourris et l’œil des caméras. «Nous sommes bien peu de choses devant la grandeur de notre Créateur. Nous sommes tous appelés à disparaître un jour ou l’autre. Je tends mes mains à ceux qui veulent le bien pour notre pays.
Les pays développés nous devancent grâce à leurs connaissances scientifiques. L’islam…», ce sera son dernier mot. Il était assis dans un fauteuil noir à haut dossier, différent de la dizaine d’autres. Il y eut cette sourde explosion, comme un claquement sec à droite de la tribune suivie d’une petite fumée sortie de sous la grande tenture servant d’écran.
Mohamed Boudiaf s’interrompit l’espace de quelques secondes comme pour s’en inquiéter en lançant un léger regard vers les coulisses. Comme lui, tous les présents dans la salle avaient été intrigués par ce qu’ils venaient d’entendre et de voir sur la scène présidentielle. Alors que Mohamed Boudiaf reprenait son discours dans un silence religieux, apparut dans son dos, venant du fond de la scène, celui qui allait devenir son assassin.
Il s’agissait de Lembarek Boumarafi, sous-lieutenant de la garde présidentielle. Petit, un peu plus d’un mètre soixante environ, le teint pâle, de bleu habillé, une allure de sportif, celui qui allait devenir le meurtrier de Mohamed Boudiaf tenait une arme automatique collée à son flanc gauche.
Du haut de ma mezzanine où j’étais assis à une dizaine de rangées à la gauche de la scène, mon carnet de journaliste mentionnait des notes genre accueil chaleureux, population en liesse, ambiance festive, président en grande forme, population juvénile enthousiaste.Tout allait être balayé quelques minutes après l’apparition de «l’homme en bleu sur la scène» dans le rôle d’un assassin qu’il paraissait bien maîtriser.
Tous les présents avaient cru qu’il s’agissait d’un renforcement de la sécurité autour du président. A la vue de Boumarafi, je me rappelle avoir dit à une consœur du journal Ech Chaab : «Il fait de l’excès de zèle, celui-là.» C’était une fraction de seconde avant de le voir lever légèrement la tête et fixer les «spectateurs» comme pour leur dire «regardez bien ce que je vais faire».
Puis, il se positionna juste dans le dos de Mohamed Boudiaf, arqua les jambes dans une position de tir, pointa le canon de son arme sur la tête du président et tira à bout portant de haut en bas. Bouamarafi avait réussi à hypnotiser l’assistance avec ses gestes de véritable commando. La surprise était telle – la situation incroyable et le lieu non-indiqué tout autant que la qualité de l’auteur – que nul n’a cru un seul instant qu’il s’agissait d’un attentat.
J’étais à me poser des questions sur cette attitude de l’homme en bleu au côté de mes confrères et consœurs de différents journaux et radios, lorsque j’entendis la 1re rafale meurtrière. J’ai pu voir Mohamed Boudiaf s’affaisser la tête sur la table, le corps ensanglanté.
Puis, toujours avec les gestes d’un homme bien entraîné pour faire face à toutes les situations, Boumarafi pointa calmement son arme en direction du millier de témoins et tira la 2e rafale vers le plafond.
Avant de me coucher comme tout le monde derrière le siège, j’ai noté la fuite de l’assassin vers une porte connue des seuls habitués de la scène du Palais de la culture de Annaba.
Tout le mode s’était jeté à terre. çà et là, on entendait des cris hystériques de femmes, et parfois de douleur poussés par des hommes que l’on piétinait. Durant plusieurs minutes, c’était le chaos total. La fuite éperdue, puis une armoire métallique qui se renverse entraînant le tir croisé des armes automatiques des services de sécurité véritablement aux abois. La salle et ses annexes sont dévastées. Plusieurs dizaines de blessés sont dénombrés dont des femmes.
Là-bas, dans la salle, du côté de la tribune présidentielle, un homme, qui s’est avéré être un proche parent de Boudiaf, s’était assis, la tête entre les mains. Un homme le rejoignit, prit le pouls du président, secoue la tête comme pour dire qu’il n’y a plus rien à faire et recouvre le corps de l’emblème national.
Dehors, des hélicoptères volaient en rase-motte. Quelques minutes plus tard, on saura que le décès du président du Haut Conseil de l’Etat a été officiellement constaté au Centre hospitalier universitaire de Annaba où son corps criblé de balles avait été évacué.
Oui, ce 29 juin 1992, j’y étais, j’ai vu et j’ai vécu la mort d’un grand homme, Mohamed Boudiaf, la fin de l’espoir de tout un peuple et le début du cauchemar algérien qui durera plus d’une décennie. Dix-huit années après, de Lambarek Boumarafi, on entendra plus parler. A t-il été jugé ? A-t-il été condamné ? Qui est le commanditaire de cet assassinat ? Que contiennent les conclusions de la commission d’enquête que certains avaient voulu qu’elle soit sur mesure ?
A. D.
28-06-2010 La nouvelle république
C’était quelques minutes après que Boudiaf, le héros de la guerre de Libération, a tendu ses mains en signe de réconciliation à ceux qui, 9 mois auparavant, s’étaient préparés à mettre l’Algérie à feu et à sang. Comme le millier de cadres et personnalités de plusieurs régions de l’est du pays présents dans la salle de cet établissement de la culture, ce jour-là, j’y étais, j’ai vu et j’ai vécu cette bien triste chaude matinée d’été. Rien, pourtant, ne laissait présager pareille situation.
Des jours auparavant, les habitants de Annaba des deux sexes et de tous âges ne parlaient que de cette visite. On se plaisait à répéter que Mohamed Boudiaf était porteur d’espoir, de paix et d’un bel avenir pour l’Algérie.
Tout le long de l’itinéraire présidentiel, sur le Cours de la Révolution comme aux abords du Palais de la culture, l’allégresse populaire était à son comble à Annaba.
Particulièrement du côté de la jeunesse qui, avec la lutte contre la corruption et le trabendo, représentait un des grands chantiers que Boudiaf s’est attelé à prendre en charge. C’est cette même jeunesse qui l’avait accueilli dans le hall du Palais de la culture avant qu’il n’entre à l’intérieur pour faire son discours sous des applaudissements nourris et l’œil des caméras. «Nous sommes bien peu de choses devant la grandeur de notre Créateur. Nous sommes tous appelés à disparaître un jour ou l’autre. Je tends mes mains à ceux qui veulent le bien pour notre pays.
Les pays développés nous devancent grâce à leurs connaissances scientifiques. L’islam…», ce sera son dernier mot. Il était assis dans un fauteuil noir à haut dossier, différent de la dizaine d’autres. Il y eut cette sourde explosion, comme un claquement sec à droite de la tribune suivie d’une petite fumée sortie de sous la grande tenture servant d’écran.
Mohamed Boudiaf s’interrompit l’espace de quelques secondes comme pour s’en inquiéter en lançant un léger regard vers les coulisses. Comme lui, tous les présents dans la salle avaient été intrigués par ce qu’ils venaient d’entendre et de voir sur la scène présidentielle. Alors que Mohamed Boudiaf reprenait son discours dans un silence religieux, apparut dans son dos, venant du fond de la scène, celui qui allait devenir son assassin.
Il s’agissait de Lembarek Boumarafi, sous-lieutenant de la garde présidentielle. Petit, un peu plus d’un mètre soixante environ, le teint pâle, de bleu habillé, une allure de sportif, celui qui allait devenir le meurtrier de Mohamed Boudiaf tenait une arme automatique collée à son flanc gauche.
Du haut de ma mezzanine où j’étais assis à une dizaine de rangées à la gauche de la scène, mon carnet de journaliste mentionnait des notes genre accueil chaleureux, population en liesse, ambiance festive, président en grande forme, population juvénile enthousiaste.Tout allait être balayé quelques minutes après l’apparition de «l’homme en bleu sur la scène» dans le rôle d’un assassin qu’il paraissait bien maîtriser.
Tous les présents avaient cru qu’il s’agissait d’un renforcement de la sécurité autour du président. A la vue de Boumarafi, je me rappelle avoir dit à une consœur du journal Ech Chaab : «Il fait de l’excès de zèle, celui-là.» C’était une fraction de seconde avant de le voir lever légèrement la tête et fixer les «spectateurs» comme pour leur dire «regardez bien ce que je vais faire».
Puis, il se positionna juste dans le dos de Mohamed Boudiaf, arqua les jambes dans une position de tir, pointa le canon de son arme sur la tête du président et tira à bout portant de haut en bas. Bouamarafi avait réussi à hypnotiser l’assistance avec ses gestes de véritable commando. La surprise était telle – la situation incroyable et le lieu non-indiqué tout autant que la qualité de l’auteur – que nul n’a cru un seul instant qu’il s’agissait d’un attentat.
J’étais à me poser des questions sur cette attitude de l’homme en bleu au côté de mes confrères et consœurs de différents journaux et radios, lorsque j’entendis la 1re rafale meurtrière. J’ai pu voir Mohamed Boudiaf s’affaisser la tête sur la table, le corps ensanglanté.
Puis, toujours avec les gestes d’un homme bien entraîné pour faire face à toutes les situations, Boumarafi pointa calmement son arme en direction du millier de témoins et tira la 2e rafale vers le plafond.
Avant de me coucher comme tout le monde derrière le siège, j’ai noté la fuite de l’assassin vers une porte connue des seuls habitués de la scène du Palais de la culture de Annaba.
Tout le mode s’était jeté à terre. çà et là, on entendait des cris hystériques de femmes, et parfois de douleur poussés par des hommes que l’on piétinait. Durant plusieurs minutes, c’était le chaos total. La fuite éperdue, puis une armoire métallique qui se renverse entraînant le tir croisé des armes automatiques des services de sécurité véritablement aux abois. La salle et ses annexes sont dévastées. Plusieurs dizaines de blessés sont dénombrés dont des femmes.
Là-bas, dans la salle, du côté de la tribune présidentielle, un homme, qui s’est avéré être un proche parent de Boudiaf, s’était assis, la tête entre les mains. Un homme le rejoignit, prit le pouls du président, secoue la tête comme pour dire qu’il n’y a plus rien à faire et recouvre le corps de l’emblème national.
Dehors, des hélicoptères volaient en rase-motte. Quelques minutes plus tard, on saura que le décès du président du Haut Conseil de l’Etat a été officiellement constaté au Centre hospitalier universitaire de Annaba où son corps criblé de balles avait été évacué.
Oui, ce 29 juin 1992, j’y étais, j’ai vu et j’ai vécu la mort d’un grand homme, Mohamed Boudiaf, la fin de l’espoir de tout un peuple et le début du cauchemar algérien qui durera plus d’une décennie. Dix-huit années après, de Lambarek Boumarafi, on entendra plus parler. A t-il été jugé ? A-t-il été condamné ? Qui est le commanditaire de cet assassinat ? Que contiennent les conclusions de la commission d’enquête que certains avaient voulu qu’elle soit sur mesure ?
A. D.
28-06-2010 La nouvelle république
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