Quand on ne peut pas tuer un peuple, on tue le temps
par Kamel Daoud

D'ailleurs, le Pouvoir a un flair extraordinaire : si on ne peut tuer des Algériens comme en Libye, à la place Tahrir ou à Derra, on peut toujours tuer le temps. Du coup, les Algériens s'en retrouveront perturbés, avec des montres inutiles, un calendrier qui ressemble à un rêve de ralentissement et retenant à peine en mémoire ce qui leur a été promis, par qui, comment et d'ailleurs même pourquoi. Dans un an, on va se poser la question du «qu'est-ce que le changement ?» à la place du «Pourquoi le changement ?» qui remplace déjà celle de «A quand le changement ?». D'ailleurs, l'état des lieux est des plus bizarres sans que cela ne dérange le dormeur du Val : Bouteflika a annoncé qu'il va changer la Constitution mais selon lui-même et avec ses hommes, la loi sur les partis et sur la vie va être changée par le ministère de l'Intérieur comme il vient de l'annoncer lui-même sans provoquer l'hilarité, l'ENTV restera enfant unique et les autres moyens d'expression resteront des enfants illégitimes du mariage d'octobre 88. Le chroniqueur parie que dans le vaste monde du monde panarabe, le cas algérien est regardé comme une utopie par les dictateurs encore en poste ou déjà en fuite : voici un pays le rêve se réalise : celui où un système est cru sur parole parce qu'il a juré de changer le système par le système. Tout ce qui n'a pas été accepté ailleurs, passe chez nous : Ali Salah demande trente jours, on lui accorde une semaine, Moubarak explique qu'il veut seulement six mois et ne se présentera pas à la prochaine, on lui donne un week-end, Benali jure qu'il va divorcer avec Leïla et «ouvrir» les médias et « comprendre le peuple », on lui donne un avion. Chez nous, le régime dit qu'il veut deux ans, changer la Constitution comme il veut et sélectionner qui il veut dans le cadre Hadj/Moussa hadj et c'est à peine si on réclame. C'est le pays de la seconde chance et de la vie après la mort doivent se dire les premiers dictateurs arabes tombés. On peut y tuer un peuple rien qu'en tuant le temps.
Le quotidien d'Oran