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Les vieux et la révolution

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  • Les vieux et la révolution

    Il est dans l’air du temps de célébrer la jeunesse en cette saison de turbulences politiques majeures. Il était temps de le faire. Et il faudra certainement plus que la célébrer cette jeunesse. Il faudra, avec sa contribution majeure, lui garantir une géographie et une histoire, à hauteur des défis qui l’attendent. Pour qu’elle y vive et y écrive son chapitre propre. Dans un Maghreb qu’on lui souhaite plus grand et plus généreux que jamais auparavant.

    Mais aujourd’hui, puisque les portes se sont entrouvertes pour laisser voir, par delà les difficultés, un avenir possible pour nos jeunes, un avenir pour lequel il faudra qu’ils apprennent à se battre de la meilleure manière qui soit. Il faut peut-être s’arrêter un instant et dire un mot sur les vieux. Nos vieux.

    Ce propos s’est imposé depuis quelques jours sur la scène médiatique algérienne. Une scène devenue coutumière de toutes sortes d’outrages. Ainsi vont les choses. Et avec la promesse de dépénalisation des délits de presse, il est fort à parier que certains vont s’adonner avec joie aux délices de la boue et du fumier. On a les plaisirs et les libertés que l’on peut. Et on exerce le journalisme de son choix.

    Prenant prétexte d’une brouille entre deux figures de la révolution algérienne, des médias, sous le motif de participer à l’écriture de l’histoire ou d’éclairer l’opinion publique, ont mis en scène un règlement de comptes entre des personnes d’âge plus que vénérable.

    Il est louable de s’intéresser à l’Histoire et d’en scruter même les recoins les plus obscurs.

    Mais qu’est-ce qui peut animer ceux qui ont mis en scène de vieux révolutionnaires en colère s’accusant mutuellement des pires calamités ?

    Le scandale n’est pas dans la vieillesse, qui nous trahira tous un jour ou l’autre. Le scandale est dans l’insoutenable légèreté avec laquelle on peut s’autoriser à ravager l’image des autres dans des sociétés où il n’existe pas de droit à l’image. Des sociétés où il existe, en théorie, une certaine notion du respect. De soi et des autres. Et de l’âge. Mais nous savons tous les torrents de boue que charrient les systèmes politiques où le respect ne s’inscrit ni dans la culture des individus, ni dans les pratiques du régime, ni dans un Etat de droit.

    Ces hommes et ces femmes que la vieillesse a surpris en délit de faiblesse morale au détour d’une vie entamée sous la domination coloniale poursuivie sous la guerre pour l’indépendance, avec ses moments de gloire et ses moments moins glorieux, ont droit, au minimum, au voile respectueux de la pudeur au soir de leur vie. C’est en tous cas ainsi que de nombreux algériens voient les choses.
    Tout ce que ces hommes et ces femmes pourront nous dire de sale les uns sur les autres ne changera rien au fait que, même si c’est de manière inégale, ils sont tous des héros.

    D’abord par ce qu’ils ont été sauvés de l’anéantissement colonial.

    En ces temps où le moindre rescapé d’un accident ou d’une catastrophe naturelle est affublé du vocable de héros, rendons quand même à ces hommes et ces femmes le qualificatif qu’ils ont plus que largement mérité par delà toutes les vicissitudes de l’histoire.

    D’abord par ce qu’ils ont survécu à l’innommable et qu’à ce titre déjà ils ont fait ce qu’ils ont pu. Qu’un tel ait cédé sous la torture, qu’un autre ait été retourné par les services spéciaux de l’ennemi, cela cinquante ans plus tard, est une tâche au front des tortionnaires. Non des torturés.

    Et pour qu’on en finisse avec tout cet étalage de vieillesse en détresse, il faudrait peut-être rappeler à tous ceux qui s’en délectent. Que même si les temps sont durs, c'est-à-dire propices aux attaques les plus viles, que nous savons que nos aînés n’ont pas démérité. Que même ceux qui n’ont pas été les plus flamboyants ont fait du mieux qu’ils pouvaient. Et que tout ce qu’ils ont pu faire était mieux que ce à quoi les destinait l’ordre colonial.

    A ceux qui, sans avoir particulièrement brillé en leur propre époque, font constamment le procès de leurs prédécesseurs il faut peut-être rappeler ce qu’écrivait Mouloud Mammeri à ce propos : « … Les hommes tarissent – par ce que pas un des sentiments qui accompagnent immanquablement le système colonial n’est un sentiment exaltant ; ils se situent tous dans la région la plus basse, la plus négative, la plus laide de l’homme.

    Les hommes qui fleurissent en régime colonial, ce sont les combinards, les traficoteurs, les renégats, les élus préfabriqués, les idiots de village, les médiocres, les ambitieux sans envergure, les quémandeurs de bureau de tabac, les indicateurs de police, les maquereaux tristes, les tristes cœurs.
    Il ne peut y avoir en régime colonial ni saint ni héros, pas même le modeste talent, car le colonialisme ne libère pas, il contraint ; il n’élève pas, il opprime; il n’exalte pas, il désespère ou stérilise ; il ne fait pas communier, il divise, il isole, il emmure chaque homme dans une solitude sans espoir. » (Mouloud Mammeri in Lettre à un français 30 Novembre 1956.)

    Héros lumineux, chefs brutaux, exécutants zélés, agents doubles, seconds couteaux, militants anonymes du premier jour, incorporés de la dernière heure ou grands révolutionnaires quel qu’ait été leur profil et leur parcours ils ont leur place particulière dans notre histoire et dans celle de notre peuple dont ils ont contribué à mettre en lumière l’humaine condition.

    Il ya des façons de se comporter avec l’écriture de l’Histoire comme avec un récit de viol. On peut le faire au minimum en respectant les victimes, au mieux en essayant d’en guérir les traumatismes ou de la pire manière qui soit. En voyeur.

    Par Salima Ghezali, LA NATION
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Amen.......
    « Puis-je rendre ma vie
    Semblable à une flûte de roseau
    Simple et droite
    Et toute remplie de musique »

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