Peut-on acheter une histoire d'amour avec 733 millions de dollars ?

« Les résultats sont mitigés » avouera-t-il. Qu'espérait-on ? « Réchauffer la flamme patriotique », selon la poésie éculée des décolonisations. Curieuse métaphore à l'ère des immolations. Le constat de Ould Kablia est vrai mais son analyse est myope, comme celle des gens qui ne comprennent pas comment le monde ne tourne pas autour d'eux. Aux jeunes, il est presque reproché de ne pas connaître Amirouche ou Larbi Ben M'hidi, « malgré les dépenses d'argent ». Vision, encore et toujours alimentaire de l'histoire nationale : il est supposé que plus on dépense pour une histoire d'amour, plus on est aimé et plus elle est connue et reconnue. Et on sait tous que l'amour ne fonctionne pas avec l'argent mais avec le charme, la bonté, le partage et les mystérieuses affinités. Avec l'argent, on achète autre chose. Il est aussi supposé que le régime raconte la bonne version de l'histoire et que donc c'est la faute aux jeunes s'ils ne s'y intéressent pas.
A Ould Kablia qui s'étonne que le pays tourne le dos à sa mémoire, il faut poser la question avec l'esprit d'un touriste en terre étrangère : où trouver l'histoire nationale ? Dans les livres ? Elle n'y est pas. Les manuels scolaires algériens sont tristes, mal dessinés, menteurs, simplistes et expédient l'histoire algérienne en trois pages et l'histoire du FLN en cinq volumes. Dans les rues ? On peine à reconnaitre un héros d'une rue et ni le facteur de la poste, ni les passants ne se retrouvent dans ce labyrinthe de noms et de dénis, de chiffres et de morts. Dans la télévision ? Il faut en rire et en pleurer du niveau de l'ENTV, de ses sous productions, sa servilité envers le régime et sa culture de larbin institutionnel. Un niveau de semelle pour Corée du Nord « arabe». Chez des témoins ? Ils se « mangent » entre eux, mentent comme des arracheurs de dents du Moyen-âge, se trahissent pendant et après le départ de la France et se tirent encore dans le dos et se disputent le butin comme des « chartriers ». On a plus d'anciens moudjahidine qu'en 62, ils n'écrivent rien ou si mal ou en abattant les avions de la France avec la langue et l'index. Sur les pièces de monnaie et les billets de banque ? L'euro vaut mieux. Dans les libraires qui disparaissent ou dans la machine bête et méchante de Benbouzid, le collègue et son école ? Où trouver l'histoire nationale M. Ould Kablia ? Nulle part. Pendant deux décennies d'école, je n'ai trouvé cette histoire nationale nulle part M. Ould Kablia !
Du coup, on a pensé à la faire « vendre » à coups de millions de dollars et de pub, dans les journaux français. Mais il se trouve que là aussi on s'est trompé de cible et de moyens et de méthodes : on a « vendu » du Bouteflika, sa vie, son œuvre, son burnous et ses réalisations. « Prenez dans la rue dix personnes, posez-leur la question, vous constaterez que neuf d'entre elles ne connaissent ni Benboulaïd, ni Si El-Haouès, ni Amirouche », a dit Ould Kablia. Exact, surtout si on dépense 50 ans à monter sur leur dos et leurs tombes pour voir plus loin. Le constat de Ould Kablia est vrai mais il se trompe de générations : il reproche aux jeunes ce qu'il devrait reprocher aux siens et à ceux de sa génération. On ne peut pas transmettre la flamme patriotique quand on a tout fait pour l'éteindre. Et l'amour ne s'achète pas, mais se mérite.
par Kamel Daoud
Le Quotidien d'Oran