En Algérie, l’Etat a accordé pour la première fois aux imams l’autorisation de s’organiser, tout en craignant une récupération de la part de certains partis politiques. Djamel Ghoul défend la ligne de sa formation.
-Qu’est-ce qui a poussé les imams à vouloir créer un conseil national autonome ?
Djamel Ghoul. Président du Conseil national indépendant des imams et du personnel du secteur des affaires religieuses:Face à la situation socio-professionnelle vécue par les imams dans tout le pays, il nous est apparu important de créer une structure qui permette de prendre en charge nos revendications. C’est pour cela que nous avons décidé de créer un conseil national indépendant, composé d’un bureau national provisoire constitué de onze membres. Ce bureau a été mis en place, suite à l’assemblée générale constitutive que nous avons tenue dernièrement, préambule à la tenue d’un congrès qui doit désigner un bureau national définitif.
-Comment qualifieriez-vous la situation actuelle des imams ?
Les imams vivent dans des conditions que je qualifierais de dramatiques. Dans le meilleur des cas, et lorsqu’il atteint l’échelon le plus élevé, son salaire plafonne à 40 000 DA. A titre de comparaison, notre salaire est beaucoup moins élevé que celui des enseignants du moyen et du secondaire, alors que nous appartenons au même échelon de la Fonction publique. C’est pourquoi nous allons organiser des rencontres partout dans le pays afin de lister les problèmes que rencontrent les imams dans leur vie quotidienne. A l’issue de ces rencontres, nous allons élaborer une liste de priorités que nous allons soumettre aux instances compétentes. Notre conseil se battra pour améliorer les conditions de vie et fera tout pour que ces écarts salariaux qui nous paraissent trop grands puissent être pris en considération par notre tutelle et par les autorités.
-Vous vous battez depuis 2010 pour la création d’un conseil national. Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ?
Notre volonté de mettre en place un conseil national des imams est bien antérieure à 2010. Il y a déjà eu des tentatives dans ce sens, dans les années 90 et en 2000 mais cela n’a pas pu se faire pour plusieurs raisons, sur lesquelles je ne voudrais pas m’étaler. Le plus important, c’est que notre volonté et notre patience ont porté leurs fruits et que nous avons obtenu l’autorisation pour tenir notre congrès constitutif. Maintenant, nous n’attendons plus que l’accréditation que doit nous délivrer le ministère du Travail.
-Pensez-vous que l’Etat a cédé à votre revendication parce qu’elle a besoin de vous et de votre influence sur la population ?
La fonction d’imam et ses prérogatives sont précisées dans le texte de loi paru en 2008. L’Etat ne peut se dispenser du travail que nous effectuons auprès des Algériens. Nous jouons un rôle très important dans la société, que se soit pour l’orienter ou pour son éducation morale et spirituelle. C’est pourquoi l’Etat s’appuie sur notre travail et notre proximité avec la population. J’ajouterai que notre revendication est conforme aux textes en vigueur, qui permettent à toute corporation de s’organiser en conseil.
-Le conseil des imams peut-il être amené à jouer un autre rôle, politique par exemple, à l’avenir ?
Absolument pas. Nous avons toujours été très clairs dans notre démarche. Le conseil national n’existe que pour prendre en charge et régler les problèmes socioprofessionnels des imams et ne peut être détourné de cette mission.
-Mais le ministre des Affaires religieuses semble craindre que le conseil ne se transforme en organisation politique…
Ces craintes me semblent légitimes. D’autant que c’est la première fois qu’un tel conseil voit le jour en Algérie et toute nouveauté déclenche automatiquement une inquiétude qui me semble naturelle. Pour nous, les choses sont claires et ne souffrent aucune ambiguïté : notre conseil a été mis en place pour prendre en charge les revendications des imams et rien d’autre.
-Ne craignez-vous pas que des partis politiques tentent de récupérer votre conseil ?
Il est clair que certains politiques vont tenter une approche avec notre conseil. Mais la déclaration finale publiée à l’issue de l’assemblé générale ne laisse apparaître aucune ambiguïté : nous avons bien signifié que le conseil des imams est indépendant des partis politiques, des associations et des autres conseils.
-Enfin, vous ne pourrez pas empêcher un membre de votre bureau de militer dans un parti ou d’éprouver de la sympathie pour un courant politique ?
Il n’est pas question que nous empêchions un imam d’avoir des sympathies pour un courant ou de militer pour un parti politique. Cela est un droit constitutionnel. Mais nous refusons qu’un membre du bureau national puisse utiliser le conseil pour faire l’apologie d’un parti politique au sein de notre structure. Nous sommes déterminés à assurer la neutralité du conseil. C’est l’une des premières décisions sur laquelle nous sommes tombés d’accord.
-D’anciens imams sympathisants du FIS peuvent-ils faire partie du conseil ?
Pour l’heure, ce cas précis n’a pas encore été abordé par notre conseil. Mais je tiens à rappeler que lors de la constitution d’un conseil, ses membres fondateurs doivent justifier de leurs droits civiques. Si cela est le cas, je ne vois pas pourquoi nous éliminerions des imams pour leur sympathie envers des formations politiques. Tous les employés du secteur ont le droit de faire partie du conseil.
-Avez-vous subi des pressions lors de la constitution de votre bureau national ?
Nous n’avons subi aucune pression, ni lorsque nous avons décidé de créer notre conseil, ni au moment de la constitution de notre bureau national.
-Le ministère a-t-il eu un droit de regard sur la composante du bureau national ?
Je ne pense pas. Le ministère n’a posé aucune condition ou exigence. Il a juste tenu à rappeler que ceux qui devaient faire partie du bureau national devaient être crédibles auprès de la corporation. Il n’a émis aucune objection lors de la constitution de notre bureau national.
-Avez-vous négocié avec le ministère des Affaires religieuses?
Nous n’avons négocié ni avec les Affaires religieuses, ni avec un autre ministère. Notre revendication a été mise sur la table lors de rencontres que le ministre a eu avec les imams à l’intérieur du pays.
-Revendiquez-vous une plus grande liberté de parole lors de vos prêches ?
C’est un droit constitutionnel. L’imam doit pouvoir avoir une liberté de parole et donner son avis sur des sujets importants dans lesquels il est habilité à le faire.
-Que répondez-vous aux attaques portées par Moussa Abdellaoui (directeur des affaires religieuses de la wilaya d’Alger) sur le manque de professionnalisme des imams ?
C’est vrai que certains imams font mal leur travail mais ils ne sont qu’une minorité. La majorité d’entre eux travaillent avec abnégation malgré les difficultés socioprofessionnelles auxquelles ils sont confrontés.
Bio express :
Marié et père de deux enfants, Djamel Ghoul, 35 ans, est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en urbanisme obtenu en 2004 à l’université Houari Boumediène, Alger. Il a également une licence en charia de l’université d’Alger et d’un magistère de l’université du Liban.
Par El Watan
-Qu’est-ce qui a poussé les imams à vouloir créer un conseil national autonome ?
Djamel Ghoul. Président du Conseil national indépendant des imams et du personnel du secteur des affaires religieuses:Face à la situation socio-professionnelle vécue par les imams dans tout le pays, il nous est apparu important de créer une structure qui permette de prendre en charge nos revendications. C’est pour cela que nous avons décidé de créer un conseil national indépendant, composé d’un bureau national provisoire constitué de onze membres. Ce bureau a été mis en place, suite à l’assemblée générale constitutive que nous avons tenue dernièrement, préambule à la tenue d’un congrès qui doit désigner un bureau national définitif.
-Comment qualifieriez-vous la situation actuelle des imams ?
Les imams vivent dans des conditions que je qualifierais de dramatiques. Dans le meilleur des cas, et lorsqu’il atteint l’échelon le plus élevé, son salaire plafonne à 40 000 DA. A titre de comparaison, notre salaire est beaucoup moins élevé que celui des enseignants du moyen et du secondaire, alors que nous appartenons au même échelon de la Fonction publique. C’est pourquoi nous allons organiser des rencontres partout dans le pays afin de lister les problèmes que rencontrent les imams dans leur vie quotidienne. A l’issue de ces rencontres, nous allons élaborer une liste de priorités que nous allons soumettre aux instances compétentes. Notre conseil se battra pour améliorer les conditions de vie et fera tout pour que ces écarts salariaux qui nous paraissent trop grands puissent être pris en considération par notre tutelle et par les autorités.
-Vous vous battez depuis 2010 pour la création d’un conseil national. Pourquoi cela a-t-il pris autant de temps ?
Notre volonté de mettre en place un conseil national des imams est bien antérieure à 2010. Il y a déjà eu des tentatives dans ce sens, dans les années 90 et en 2000 mais cela n’a pas pu se faire pour plusieurs raisons, sur lesquelles je ne voudrais pas m’étaler. Le plus important, c’est que notre volonté et notre patience ont porté leurs fruits et que nous avons obtenu l’autorisation pour tenir notre congrès constitutif. Maintenant, nous n’attendons plus que l’accréditation que doit nous délivrer le ministère du Travail.
-Pensez-vous que l’Etat a cédé à votre revendication parce qu’elle a besoin de vous et de votre influence sur la population ?
La fonction d’imam et ses prérogatives sont précisées dans le texte de loi paru en 2008. L’Etat ne peut se dispenser du travail que nous effectuons auprès des Algériens. Nous jouons un rôle très important dans la société, que se soit pour l’orienter ou pour son éducation morale et spirituelle. C’est pourquoi l’Etat s’appuie sur notre travail et notre proximité avec la population. J’ajouterai que notre revendication est conforme aux textes en vigueur, qui permettent à toute corporation de s’organiser en conseil.
-Le conseil des imams peut-il être amené à jouer un autre rôle, politique par exemple, à l’avenir ?
Absolument pas. Nous avons toujours été très clairs dans notre démarche. Le conseil national n’existe que pour prendre en charge et régler les problèmes socioprofessionnels des imams et ne peut être détourné de cette mission.
-Mais le ministre des Affaires religieuses semble craindre que le conseil ne se transforme en organisation politique…
Ces craintes me semblent légitimes. D’autant que c’est la première fois qu’un tel conseil voit le jour en Algérie et toute nouveauté déclenche automatiquement une inquiétude qui me semble naturelle. Pour nous, les choses sont claires et ne souffrent aucune ambiguïté : notre conseil a été mis en place pour prendre en charge les revendications des imams et rien d’autre.
-Ne craignez-vous pas que des partis politiques tentent de récupérer votre conseil ?
Il est clair que certains politiques vont tenter une approche avec notre conseil. Mais la déclaration finale publiée à l’issue de l’assemblé générale ne laisse apparaître aucune ambiguïté : nous avons bien signifié que le conseil des imams est indépendant des partis politiques, des associations et des autres conseils.
-Enfin, vous ne pourrez pas empêcher un membre de votre bureau de militer dans un parti ou d’éprouver de la sympathie pour un courant politique ?
Il n’est pas question que nous empêchions un imam d’avoir des sympathies pour un courant ou de militer pour un parti politique. Cela est un droit constitutionnel. Mais nous refusons qu’un membre du bureau national puisse utiliser le conseil pour faire l’apologie d’un parti politique au sein de notre structure. Nous sommes déterminés à assurer la neutralité du conseil. C’est l’une des premières décisions sur laquelle nous sommes tombés d’accord.
-D’anciens imams sympathisants du FIS peuvent-ils faire partie du conseil ?
Pour l’heure, ce cas précis n’a pas encore été abordé par notre conseil. Mais je tiens à rappeler que lors de la constitution d’un conseil, ses membres fondateurs doivent justifier de leurs droits civiques. Si cela est le cas, je ne vois pas pourquoi nous éliminerions des imams pour leur sympathie envers des formations politiques. Tous les employés du secteur ont le droit de faire partie du conseil.
-Avez-vous subi des pressions lors de la constitution de votre bureau national ?
Nous n’avons subi aucune pression, ni lorsque nous avons décidé de créer notre conseil, ni au moment de la constitution de notre bureau national.
-Le ministère a-t-il eu un droit de regard sur la composante du bureau national ?
Je ne pense pas. Le ministère n’a posé aucune condition ou exigence. Il a juste tenu à rappeler que ceux qui devaient faire partie du bureau national devaient être crédibles auprès de la corporation. Il n’a émis aucune objection lors de la constitution de notre bureau national.
-Avez-vous négocié avec le ministère des Affaires religieuses?
Nous n’avons négocié ni avec les Affaires religieuses, ni avec un autre ministère. Notre revendication a été mise sur la table lors de rencontres que le ministre a eu avec les imams à l’intérieur du pays.
-Revendiquez-vous une plus grande liberté de parole lors de vos prêches ?
C’est un droit constitutionnel. L’imam doit pouvoir avoir une liberté de parole et donner son avis sur des sujets importants dans lesquels il est habilité à le faire.
-Que répondez-vous aux attaques portées par Moussa Abdellaoui (directeur des affaires religieuses de la wilaya d’Alger) sur le manque de professionnalisme des imams ?
C’est vrai que certains imams font mal leur travail mais ils ne sont qu’une minorité. La majorité d’entre eux travaillent avec abnégation malgré les difficultés socioprofessionnelles auxquelles ils sont confrontés.
Bio express :
Marié et père de deux enfants, Djamel Ghoul, 35 ans, est titulaire d’un diplôme d’ingénieur en urbanisme obtenu en 2004 à l’université Houari Boumediène, Alger. Il a également une licence en charia de l’université d’Alger et d’un magistère de l’université du Liban.
Par El Watan
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