Kamel Eddine Fekhar. Militant des droits de l’homme à Ghardaïa
- D’abord, qu’est-ce qui a déclenché, selon vous, ces événements qui ont ébranlé Ghardaïa ?
Je note d’emblée que les gens ne cherchent que le sensationnel. «Combien y a-t-il eu de morts ?» ; «Combien de blessés ?» ; «Comment cela a commencé ?» ; «Le wali s’est réuni avec les imams et les notables»… C’est un scénario vraiment périmé qu’on nous sort à chaque fois. Cela n’a aucun sens de s’interroger sur la manière dont les événements ont commencé, parce que cela va se répéter. Depuis 1962, c’est la même histoire qui recommence. Ça ne s’est jamais arrêté. C’est un film d’horreur qu’on est en train de vivre, avec différents épisodes. Il y a une volonté politique, une politique d’Etat affirmée et confirmée pour détruire l’identité d’un groupe, et cela s’appelle un ethnocide. Pourtant, c’est une identité qui ne devrait déranger personne. On est chez nous, on est dans les terres de nos parents, je parle une langue différente, on a une pratique un peu différente de la religion. Voilà tout.
Mais le pouvoir essaie depuis l’indépendance de casser cette société qui est très structurée à la base. Il ne faut pas oublier que les Mozabites ont vécu durant des siècles dans le désert. Il n’y avait pas d’Etat central. Ils étaient obligés de compter sur eux-mêmes, de se structurer à travers des institutions qui gèrent tous les aspects de la vie : religieux, social, économique, et même le côté défense. Et heureusement d’ailleurs, sinon il n’y aurait plus de Mozabites depuis des lustres. Ni les Ottomans ni les autres dynasties n’ont mis les pieds ici. Ce n’est qu’après l’invasion française qu’un étranger a pu dominer cette région. Après l’indépendance, il y a eu une politique d’Etat programmée pour effacer l’identité mozabite. Cette identité est composée de deux volets : sur le plan ethnique, elle fait partie des sept composantes de l’identité amazighe. L’autre volet, c’est l’ibadisme qui est une école religieuse islamique modérée, pacifique et qui s’appuie sur la logique. Il y a les Moatazilites qui sont très proches de l’école ibadite et qui prônent le rationalisme.
L’ibadisme s’inspire aussi de la philosophie grecque. L’Ibadite privilégie toujours l’argumentation rationnelle et s’attache à donner l’exemple en toute circonstance. Jamais un Ibadite n’a levé le sabre pour obliger quelqu’un à devenir musulman. Et c’est tout cela qui fait la spécificité de l’identité mozabite. On est tranquilles, on n’a de problème avec personne. Après, il y a eu ces gens de Oujda qui voulaient imposer une culture hégémonique. Rappelez-vous l’époque du panarabisme de Jamel Abdennasser. Il y avait une volonté de dominer culturellement les peuples d’Afrique du Nord. Et pour notre malheur, nous avons été colonisés par les Français et leur Etat jacobin. Aujourd’hui, nos jeunes ne connaissent pas l’ibadisme, ne connaissent pas tamazight, ne connaissent rien du tout à cause de cette politique d’Etat de détruire cette identité. Le Mozabite est tué culturellement. Et le moyen le plus vicieux qu’ait utilisé l’Etat à cet effet, c’est la peur. Il terrorise les Mozabites. Le citoyen mozabite se sentait très diminué et se devait de baisser la tête en disant «l’essentiel lahna» comme dans les années 1990. Les gens avaient tellement peur qu’ils disaient : «L’essentiel lahna.» On veut juste la paix. On vous impose des choix en titillant un instinct naturel qui est la peur. Au début, c’était avec le parti unique. Les pouvoirs publics obligeaient les anciens à soutenir le FLN. Mais on n’est pas un peuple occupé ! On a colporté des rumeurs comme quoi les Mozabites n’ont pas fait la Révolution, les Mozabites sont des commerçants, des bourgeois. Boumediène présentait les Mozabites comme des profiteurs, et c’est encore ancré dans la tête de beaucoup d’Algériens. Le Mozabite est toujours considéré comme un sous-citoyen qui doit céder ses droits. Quand les commerçants recevaient la visite de contrôleurs véreux, ils payaient en silence, et ces petits fonctionnaires corrompus vivaient à leurs crochets. Après, les gens ont compris. Je suis un citoyen, je suis un être humain, je n’accepte plus ces pratiques. Les commerçants ont fini par se soulever en 2004. Les pouvoirs publics étaient devenus fous. Ils disaient : «Comment ça, vous êtes Mozabite et vous fermez la route ?» Comme quoi, tu restes toujours un sous-citoyen à leurs yeux. Un béni-oui-oui. Le wali disait : «Je n’accepte pas le FFS à Ghardaïa ! Vous, les Mozabites, vous devez rester sous la tutelle des ‘‘âyane’’ (notables) désignés par nos soins.»
- Est-ce à dire qu’il y aurait une sorte de «racisme d’Etat» à l’égard des Mozabites ?
C’est du racisme d’Etat déclaré. Et comme les Mozabites sont une minorité, ils sont environs 300 000 dans les sept villes du M’zab, ils ont été écrasés. Au début, les Arabes sont venus de Metlili, puis des autres régions, et après l’indépendance, beaucoup d’autres ont migré vers Ghardaïa. Ils ont trouvé du travail, la paix, et avec le temps, le parti unique les a favorisés, leur a accordé des avantages. Il faut citer aussi la spoliation des terres des Mozabites. Maintenant, des quartiers arabes entiers sont construits sur des terres mozabites. Il y a des terrains appartenant à un ami, Allah yerhamou, à peu près 50 000 m2 en plein centre de Ghardaïa, qui lui ont été confisqués. Ils ont été nationalisés sans indemnisation, après, ils ont construit des bâtiments sur ces terrains pour y loger des Arabes venus de loin. Les Mozabites, eux, n’ont rien eu. Ses propres enfants n’ont pas bénéficié de ces logements. Cela dit, on n’a pas de problème avec les Arabes. On a un problème avec un pouvoir qui utilise sa police et met en avant les Arabes pour s’attaquer aux Mozabites. Il y a un problème d’agression du pouvoir algérien contre les Mozabites.
- D’abord, qu’est-ce qui a déclenché, selon vous, ces événements qui ont ébranlé Ghardaïa ?
Je note d’emblée que les gens ne cherchent que le sensationnel. «Combien y a-t-il eu de morts ?» ; «Combien de blessés ?» ; «Comment cela a commencé ?» ; «Le wali s’est réuni avec les imams et les notables»… C’est un scénario vraiment périmé qu’on nous sort à chaque fois. Cela n’a aucun sens de s’interroger sur la manière dont les événements ont commencé, parce que cela va se répéter. Depuis 1962, c’est la même histoire qui recommence. Ça ne s’est jamais arrêté. C’est un film d’horreur qu’on est en train de vivre, avec différents épisodes. Il y a une volonté politique, une politique d’Etat affirmée et confirmée pour détruire l’identité d’un groupe, et cela s’appelle un ethnocide. Pourtant, c’est une identité qui ne devrait déranger personne. On est chez nous, on est dans les terres de nos parents, je parle une langue différente, on a une pratique un peu différente de la religion. Voilà tout.
Mais le pouvoir essaie depuis l’indépendance de casser cette société qui est très structurée à la base. Il ne faut pas oublier que les Mozabites ont vécu durant des siècles dans le désert. Il n’y avait pas d’Etat central. Ils étaient obligés de compter sur eux-mêmes, de se structurer à travers des institutions qui gèrent tous les aspects de la vie : religieux, social, économique, et même le côté défense. Et heureusement d’ailleurs, sinon il n’y aurait plus de Mozabites depuis des lustres. Ni les Ottomans ni les autres dynasties n’ont mis les pieds ici. Ce n’est qu’après l’invasion française qu’un étranger a pu dominer cette région. Après l’indépendance, il y a eu une politique d’Etat programmée pour effacer l’identité mozabite. Cette identité est composée de deux volets : sur le plan ethnique, elle fait partie des sept composantes de l’identité amazighe. L’autre volet, c’est l’ibadisme qui est une école religieuse islamique modérée, pacifique et qui s’appuie sur la logique. Il y a les Moatazilites qui sont très proches de l’école ibadite et qui prônent le rationalisme.
L’ibadisme s’inspire aussi de la philosophie grecque. L’Ibadite privilégie toujours l’argumentation rationnelle et s’attache à donner l’exemple en toute circonstance. Jamais un Ibadite n’a levé le sabre pour obliger quelqu’un à devenir musulman. Et c’est tout cela qui fait la spécificité de l’identité mozabite. On est tranquilles, on n’a de problème avec personne. Après, il y a eu ces gens de Oujda qui voulaient imposer une culture hégémonique. Rappelez-vous l’époque du panarabisme de Jamel Abdennasser. Il y avait une volonté de dominer culturellement les peuples d’Afrique du Nord. Et pour notre malheur, nous avons été colonisés par les Français et leur Etat jacobin. Aujourd’hui, nos jeunes ne connaissent pas l’ibadisme, ne connaissent pas tamazight, ne connaissent rien du tout à cause de cette politique d’Etat de détruire cette identité. Le Mozabite est tué culturellement. Et le moyen le plus vicieux qu’ait utilisé l’Etat à cet effet, c’est la peur. Il terrorise les Mozabites. Le citoyen mozabite se sentait très diminué et se devait de baisser la tête en disant «l’essentiel lahna» comme dans les années 1990. Les gens avaient tellement peur qu’ils disaient : «L’essentiel lahna.» On veut juste la paix. On vous impose des choix en titillant un instinct naturel qui est la peur. Au début, c’était avec le parti unique. Les pouvoirs publics obligeaient les anciens à soutenir le FLN. Mais on n’est pas un peuple occupé ! On a colporté des rumeurs comme quoi les Mozabites n’ont pas fait la Révolution, les Mozabites sont des commerçants, des bourgeois. Boumediène présentait les Mozabites comme des profiteurs, et c’est encore ancré dans la tête de beaucoup d’Algériens. Le Mozabite est toujours considéré comme un sous-citoyen qui doit céder ses droits. Quand les commerçants recevaient la visite de contrôleurs véreux, ils payaient en silence, et ces petits fonctionnaires corrompus vivaient à leurs crochets. Après, les gens ont compris. Je suis un citoyen, je suis un être humain, je n’accepte plus ces pratiques. Les commerçants ont fini par se soulever en 2004. Les pouvoirs publics étaient devenus fous. Ils disaient : «Comment ça, vous êtes Mozabite et vous fermez la route ?» Comme quoi, tu restes toujours un sous-citoyen à leurs yeux. Un béni-oui-oui. Le wali disait : «Je n’accepte pas le FFS à Ghardaïa ! Vous, les Mozabites, vous devez rester sous la tutelle des ‘‘âyane’’ (notables) désignés par nos soins.»
- Est-ce à dire qu’il y aurait une sorte de «racisme d’Etat» à l’égard des Mozabites ?
C’est du racisme d’Etat déclaré. Et comme les Mozabites sont une minorité, ils sont environs 300 000 dans les sept villes du M’zab, ils ont été écrasés. Au début, les Arabes sont venus de Metlili, puis des autres régions, et après l’indépendance, beaucoup d’autres ont migré vers Ghardaïa. Ils ont trouvé du travail, la paix, et avec le temps, le parti unique les a favorisés, leur a accordé des avantages. Il faut citer aussi la spoliation des terres des Mozabites. Maintenant, des quartiers arabes entiers sont construits sur des terres mozabites. Il y a des terrains appartenant à un ami, Allah yerhamou, à peu près 50 000 m2 en plein centre de Ghardaïa, qui lui ont été confisqués. Ils ont été nationalisés sans indemnisation, après, ils ont construit des bâtiments sur ces terrains pour y loger des Arabes venus de loin. Les Mozabites, eux, n’ont rien eu. Ses propres enfants n’ont pas bénéficié de ces logements. Cela dit, on n’a pas de problème avec les Arabes. On a un problème avec un pouvoir qui utilise sa police et met en avant les Arabes pour s’attaquer aux Mozabites. Il y a un problème d’agression du pouvoir algérien contre les Mozabites.
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