AliBenflis:«La fraude a déjà commencé»
Entretien avec benflis sur le journal le monde du 16avril
Au lendemain d’une campagne
qui s’est achevée dans
un climat de tensions,
AliBenflis,69ans,candidat à l’élection
présidentielle algérienne du
jeudi 17 avril, a reçu Le Monde, lundi
dans son QG personnel au nord
d’Alger. L’ancienpremierministre
et principal rival du président sortant
Abdelaziz Bouteflika, candidat à un quatrième mandat,
prône
un «consensus national».
Comment avez-vous vécu cette
campagne?
Je viens d’achever une tournée
dans les 48wilayas [préfectures] et
je me suis même parfois payé le
luxe d’ajouter des réunions improvisées
dans plusieurs de ces
régions. Je suis parti le 23mars délivrer
mon message aux Algériens.
Un soir, je suis arrivé à Tindouf, à
l’extrême Sud-Ouest [en territoire
sahraoui]: un pays abandonné à
lui-même, oublié, mais décidé à se
prendre en main. Les jeunes m’ont
attendu jusqu’à minuit, cela m’a
touché, et tout le monde s’est cotisé
pour un couscous. A Tlemcen,
dans l’Ouest[terre d’élection duprésiden tsortant],
j’ai été accueilli chaleureusement.
Ce n’est le fief de personne.
En Kabylie, cela s’est très
bien passé, partout. Je n’ai pas eu
un seul cri hostile dans une salle,
personne ne m’a chahuté.
Vous décrivez une campagne
idyllique. M.Bouteflika l’a pourtant
qualifiée de «terrible»et a
mêmeparlé de «terrorisme»,
lorsqu’il a reçu le ministre espagnol
des affaires étrangères…
Dois-je rappeler au présidentcandidat
que ces élections sont
une question algéro-algérienne?
Je suis profondément gêné d’entendre
un président-candidat fatigué,
mal informé, s’exprimer de la sorte
devant un ministre d’un pays
voisin et ami. Moi, favoriser le terrorisme?
Moi, qui n’ai jamais quitté
le territoire pendant la décennie
noire quand d’autres sont partis?
Moi, qui ai expliqué mon programme
dans 48wilayas, j’aurais
menacé?Lorsque j’ai été invité à la
télévision publique, j’ai voulu dire
aux serviteurs de l’Etat: pensez en
tant que musulmans, en tant que
pères de famille à ce que signifierait
tout manquement professionnel en cas de fraude.
Je faisais appel
à leur conscience.On m’accuse aussi
de vouloir réhabiliter le FIS
[Front islamique du salut, dissous
après l’interruption du processus
électoralen1992]. Je réponds ni oui,
ni non. Ce que je veux, c’est proposer
une réconciliation nationale.
Cela n’a pas déjà été fait par
M.Bouteflika?
Très partiellement. De quel droit peut-on exclure toute personne qui a renoncé à la violence et qui
se place dans le champ politique
de ses droits civiques?Il ya aujourd’hui
deux catégories de citoyens
en Algérie: ceux qui jouissent de
tous leurs droits civiques et ceux
qui, parce qu’ils ne pensent pas
commevous,n’en bénéficien tpas.
La réconciliation nationale doit
aboutir à un consensus national.
Jene le décideraipas tout seul. J’inviterai
tous les partis, tous les
acteurs, toutes les associations à
participer à un débat transparent
devant tout le monde, avec à l’ordre
de jour plusieurs questions :
qui a-t-on oublié?Commentnotre
pays doit-il être géré? Par un pharaon,
une présidence à vie, ou un
Etat démocratique, un régime
républicain?Que fait-on pour que
l’Etat soit enfin neutre? Cela prendra
le temps qu’il faudra.
Estimez-vous que l’interruption
du processus électoral en 1992
aété une erreur?
Il faut regarder les choses en face
et rendre hommage à l’armée et
aux services de sécurité. Sans eux,
l’Etat se serait effondré. Le consensus
national dira leur place dans lasociété. Moi, je suis pour qu’ils se
professionnalisent. L’armée nationale populaire n’attend qu’une chose:
que la classe politique prenne
toutes ses responsabilités.
Pendant la décennie noire, des
milliers de personnes ont été internées
parce qu’elles ne pensaient
pas comme vous, sans décision
judiciaire.L’Etat a interné administrativement des gens et
puis, après
un certain temps, leur a dit: vous
pouvez rentrer chez vous. Un Etat
qui reconnaît ses erreurs et ses fautes,
c’est un plus ou c’est un
moins? Pour moi, c’est un plus.
Etes-vous partisande réparations
pour ces personnes internées?
Oui, je suis prêt à ouvrir le dossier
des réparations. Il n’yaplusde
questions taboues.
Cela vaut-il aussi pour la recherche
des disparus pendant la
guerre civile des années
1990-2000?
Jeneconnaispascedossier,mais
on le mettra sur la table. Je ne veux
provoquer personne, je dis simplement
que nous avons besoin d’un
consensus politique national.
Pensez-vous que la société algérienne
est prête à ouvrir un débat sur ce passé douloureux?
La société commence à aller
vers l’apaisement.La vraie légitimité,
c’est celle qui renforcera l’Etat,
avec des institutions crédibles et
une vraie Constitution. Si nous
avons eu trois ou quatre Constitutions depuis l’indépendance,
pourquoi
n’ont-elles pas duré? Parce
qu’elles ont été adoptées par une
partie de la classe politique en
excluant l’autre. Ce qui s’est passé
avec la révisionde2008[qui a aboli
la limitation à deux mandats
présidentiels] est une hérésie, un
viol, qui a mis la pagaille dans le
pays. Nous aurions dû avoir des
élections normales en 2009, avec
un nouveau président, et l’Algérie
aurait avancé. Non seulement,
nous avons eu un troisième mandat
[du président Bouteflika], mais
aujourd’hui, on nous dit: c’est le
quatrième ou la fin du monde!
C’est aberrant.
Vous portez de graves accusations
sur la fraude avant même
que l’élection ait eu lieu…
Si l’élection se passe normalement,
j’accepterai le verdict du
peuple, mais la fraude a déjà commencé.
Quandj’aidéposémondossier
de candidature au Conseil
constitutionnel, j’ai produit les
deux conditions requises, bien
qu’une seule soit nécessaire: la
signature de 600 élus et de 60000
citoyens,et bien plusmême.Leprésident-
candidat, nous dit-on, en a
fourni 4millions, réunies en quarante-
huitheures… C’est impossible.
On a pris les listes d’état civil
descommuneset on s’estmis à les
reproduire à l’insu des intéressés.
Si cela se trouve, il se pourrait
même que j’y figure! Des élèves
sont revenus chez eux avec des formulaires
d’inscription. On a
même instrumentalisé l’école.
Si vous deviez contester les
résultats, que ferez-vous au lendemain
du scrutin du 17 avril?
Les vents dominants me donnent
le statut de favori. Si la fraude
gagne,si je suispaséluet qu’il n’ya
pas de second tour, je ne reconnaîtrai
pas ces élections programmées.
Ily aune jeunesse décidée à
vivre dans une démocratie, une
nouvelle Algérie. Je suis un homme
politique, un pacifiste. Mais je
ne peux pas dire à tous mes soutiens
d’accepter la fraude. Ce sera
au pouvoir de les convaincre.
Propos recueillis par
IsabelleMandraud
Entretien avec benflis sur le journal le monde du 16 avril 214
Entretien avec benflis sur le journal le monde du 16avril
Au lendemain d’une campagne
qui s’est achevée dans
un climat de tensions,
AliBenflis,69ans,candidat à l’élection
présidentielle algérienne du
jeudi 17 avril, a reçu Le Monde, lundi
dans son QG personnel au nord
d’Alger. L’ancienpremierministre
et principal rival du président sortant
Abdelaziz Bouteflika, candidat à un quatrième mandat,
prône
un «consensus national».
Comment avez-vous vécu cette
campagne?
Je viens d’achever une tournée
dans les 48wilayas [préfectures] et
je me suis même parfois payé le
luxe d’ajouter des réunions improvisées
dans plusieurs de ces
régions. Je suis parti le 23mars délivrer
mon message aux Algériens.
Un soir, je suis arrivé à Tindouf, à
l’extrême Sud-Ouest [en territoire
sahraoui]: un pays abandonné à
lui-même, oublié, mais décidé à se
prendre en main. Les jeunes m’ont
attendu jusqu’à minuit, cela m’a
touché, et tout le monde s’est cotisé
pour un couscous. A Tlemcen,
dans l’Ouest[terre d’élection duprésiden tsortant],
j’ai été accueilli chaleureusement.
Ce n’est le fief de personne.
En Kabylie, cela s’est très
bien passé, partout. Je n’ai pas eu
un seul cri hostile dans une salle,
personne ne m’a chahuté.
Vous décrivez une campagne
idyllique. M.Bouteflika l’a pourtant
qualifiée de «terrible»et a
mêmeparlé de «terrorisme»,
lorsqu’il a reçu le ministre espagnol
des affaires étrangères…
Dois-je rappeler au présidentcandidat
que ces élections sont
une question algéro-algérienne?
Je suis profondément gêné d’entendre
un président-candidat fatigué,
mal informé, s’exprimer de la sorte
devant un ministre d’un pays
voisin et ami. Moi, favoriser le terrorisme?
Moi, qui n’ai jamais quitté
le territoire pendant la décennie
noire quand d’autres sont partis?
Moi, qui ai expliqué mon programme
dans 48wilayas, j’aurais
menacé?Lorsque j’ai été invité à la
télévision publique, j’ai voulu dire
aux serviteurs de l’Etat: pensez en
tant que musulmans, en tant que
pères de famille à ce que signifierait
tout manquement professionnel en cas de fraude.
Je faisais appel
à leur conscience.On m’accuse aussi
de vouloir réhabiliter le FIS
[Front islamique du salut, dissous
après l’interruption du processus
électoralen1992]. Je réponds ni oui,
ni non. Ce que je veux, c’est proposer
une réconciliation nationale.
Cela n’a pas déjà été fait par
M.Bouteflika?
Très partiellement. De quel droit peut-on exclure toute personne qui a renoncé à la violence et qui
se place dans le champ politique
de ses droits civiques?Il ya aujourd’hui
deux catégories de citoyens
en Algérie: ceux qui jouissent de
tous leurs droits civiques et ceux
qui, parce qu’ils ne pensent pas
commevous,n’en bénéficien tpas.
La réconciliation nationale doit
aboutir à un consensus national.
Jene le décideraipas tout seul. J’inviterai
tous les partis, tous les
acteurs, toutes les associations à
participer à un débat transparent
devant tout le monde, avec à l’ordre
de jour plusieurs questions :
qui a-t-on oublié?Commentnotre
pays doit-il être géré? Par un pharaon,
une présidence à vie, ou un
Etat démocratique, un régime
républicain?Que fait-on pour que
l’Etat soit enfin neutre? Cela prendra
le temps qu’il faudra.
Estimez-vous que l’interruption
du processus électoral en 1992
aété une erreur?
Il faut regarder les choses en face
et rendre hommage à l’armée et
aux services de sécurité. Sans eux,
l’Etat se serait effondré. Le consensus
national dira leur place dans lasociété. Moi, je suis pour qu’ils se
professionnalisent. L’armée nationale populaire n’attend qu’une chose:
que la classe politique prenne
toutes ses responsabilités.
Pendant la décennie noire, des
milliers de personnes ont été internées
parce qu’elles ne pensaient
pas comme vous, sans décision
judiciaire.L’Etat a interné administrativement des gens et
puis, après
un certain temps, leur a dit: vous
pouvez rentrer chez vous. Un Etat
qui reconnaît ses erreurs et ses fautes,
c’est un plus ou c’est un
moins? Pour moi, c’est un plus.
Etes-vous partisande réparations
pour ces personnes internées?
Oui, je suis prêt à ouvrir le dossier
des réparations. Il n’yaplusde
questions taboues.
Cela vaut-il aussi pour la recherche
des disparus pendant la
guerre civile des années
1990-2000?
Jeneconnaispascedossier,mais
on le mettra sur la table. Je ne veux
provoquer personne, je dis simplement
que nous avons besoin d’un
consensus politique national.
Pensez-vous que la société algérienne
est prête à ouvrir un débat sur ce passé douloureux?
La société commence à aller
vers l’apaisement.La vraie légitimité,
c’est celle qui renforcera l’Etat,
avec des institutions crédibles et
une vraie Constitution. Si nous
avons eu trois ou quatre Constitutions depuis l’indépendance,
pourquoi
n’ont-elles pas duré? Parce
qu’elles ont été adoptées par une
partie de la classe politique en
excluant l’autre. Ce qui s’est passé
avec la révisionde2008[qui a aboli
la limitation à deux mandats
présidentiels] est une hérésie, un
viol, qui a mis la pagaille dans le
pays. Nous aurions dû avoir des
élections normales en 2009, avec
un nouveau président, et l’Algérie
aurait avancé. Non seulement,
nous avons eu un troisième mandat
[du président Bouteflika], mais
aujourd’hui, on nous dit: c’est le
quatrième ou la fin du monde!
C’est aberrant.
Vous portez de graves accusations
sur la fraude avant même
que l’élection ait eu lieu…
Si l’élection se passe normalement,
j’accepterai le verdict du
peuple, mais la fraude a déjà commencé.
Quandj’aidéposémondossier
de candidature au Conseil
constitutionnel, j’ai produit les
deux conditions requises, bien
qu’une seule soit nécessaire: la
signature de 600 élus et de 60000
citoyens,et bien plusmême.Leprésident-
candidat, nous dit-on, en a
fourni 4millions, réunies en quarante-
huitheures… C’est impossible.
On a pris les listes d’état civil
descommuneset on s’estmis à les
reproduire à l’insu des intéressés.
Si cela se trouve, il se pourrait
même que j’y figure! Des élèves
sont revenus chez eux avec des formulaires
d’inscription. On a
même instrumentalisé l’école.
Si vous deviez contester les
résultats, que ferez-vous au lendemain
du scrutin du 17 avril?
Les vents dominants me donnent
le statut de favori. Si la fraude
gagne,si je suispaséluet qu’il n’ya
pas de second tour, je ne reconnaîtrai
pas ces élections programmées.
Ily aune jeunesse décidée à
vivre dans une démocratie, une
nouvelle Algérie. Je suis un homme
politique, un pacifiste. Mais je
ne peux pas dire à tous mes soutiens
d’accepter la fraude. Ce sera
au pouvoir de les convaincre.
Propos recueillis par
IsabelleMandraud
Entretien avec benflis sur le journal le monde du 16 avril 214
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