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Frontière algéro-tunisienne: Voyage entre les djihadistes et les hellaba

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  • Frontière algéro-tunisienne: Voyage entre les djihadistes et les hellaba

    Il n’est pas une semaine sans que n’est évoquée l’actualité parfois houleuse de la Tunisie. Tant sur le plan politique que sécuritaire, ce pays se trouve à une période charnière de son histoire. Objet d’une attention particulière de la part des autorités, aussi bien algériennes que tunisiennes, la frontière n’en finit pas de susciter des convoitises, mais aussi des inquiétudes. Immersion à travers un lieu de passage continuel depuis les environs d’El Kala, jusqu’aux confins sahariens de la wilaya de Tébessa.



    8 heures 30 du matin. Poste frontalier d’Oum T’boul, dans la wilaya d’El Tarf. Ici, ce ne sont pas moins de 2500 personnes et 900 véhicules qui y transitent. On y trouve de tout. Des poids lourds, des véhicules légers, depuis la berline personnelle et familiale, jusqu’au « taxieur » clandestin assurant la liaison entre Annaba-Gare et Tunis-Centre. Policiers et douaniers s’activent à fond dans leur travail. Et les djihadistes tunisiens dans tout cela ? « Ici, nous n’en avons jamais vu, rassure un douanier sur place. Vous voyez bien qu’il y a des familles qui transitent par ici. Des Algériens partent en Tunisie comme des Tunisiens viennent ici.» Oum T’boul constitue le principal point de passage pour se rendre en Tunisie, mais certains préfèrent emprunter le poste-frontalier d’El Ayoun, situé plus au sud, toujours dans la wilaya d’El Tarf. « Parfois, je me rends à Tunis par Oum T’boul, parfois par El Ayoun, explique Ahmed, ‘’taxieur’’ clandestin, habitué de toutes les combines existant sur cette frontière devenue hors du commun. Il m’est arrivé d’apercevoir des djihadistes tunisiens, mais seulement de loin. Je sais juste qu’ils parviennent à entrer en Algérie. Certains auraient été vus à Besbès et Dréan (toutes deux situées à une vingtaine de kilomètres d’Annaba, NDLR). Ils viennent ici uniquement pour reprendre des forces, leur combat se situe en Tunisie. »

    SENTIERS
    Des djihadistes tunisiens auraient-ils transité par ici ? Pour le savoir, un garde-frontière a accepté d’apporter des éléments de réponse. « Nous n’en avons jamais vu, rassure-t-il. Généralement, les personnes que nous interceptons sont plus les trafiquants, les fameux hellaba. Et ce dernier phénomène est en perpétuelle expansion. Or, le problème, c’est que parmi ces derniers, il y a de plus en plus de ressortissants tunisiens qui récupèrent des produits alimentaires algériens pour les écouler en Tunisie. C’est un business qui devient florissant. Il est devenu normal de trouver sur les étals des supérettes de Tabarka, de Babouche, voire même de Béja des produits laitiers algériens, des boissons algériennes, et croyez-moi, ils ont du succès auprès de la clientèle tunisienne.» Et ces hellaba n’hésitent pas, quand ils le peuvent, à emprunter les sentiers situés sur les montagnes boisées qui annoncent la Khroumirie tunisienne. L’est de la wilaya d’El Tarf est particulièrement couvert de forêts, ce qui complique les activités des GGF. Du côté d’Om Theboul, on ne croit pas une seconde aux assurances des gardes-frontières. Pour beaucoup, il y a des djihadistes qui ont transité dans la zone. « Ils sont là bien sûr, raconte Ammar, un jeune chômeur rencontré sur l’artère principale de la ville frontalière. J’en ai même vu prier à la mosquée et tenter de recruter des jeunes. Ce sont des Tunisiens, on les reconnaît à leur accent. Mais les autorités font tout pour ne rien avouer à la population, pour la rassurer. »

    BEC DE LIEVRE
    Non loin, de là, plus au sud, à proximité du fameux «bec de lièvre tunisien», à quelques encablures d’El Ayoun, un trafiquant algérien, rencontré à El Kala, a bien voulu me mener vers une zone particulièrement boisée et surtout déserte. «Il faut faire attention où l’on marche, avertit-il. Il reste encore des mines placées par l’armée coloniale durant la guerre de Libération. Ici, c’est un lieu de passage obligé pour les djihadistes tunisiens. Il en passe assez régulièrement. C’est vrai que dans cette région de Tunisie, ils sont moins nombreux que du côté de Kasserine, mais il y en a. L’autre jour, à 500 m de là où nous sommes, j’en ai aperçu trois. Ils étaient armés. Je sais qu’ils m’ont vu, mais ils ne sont pas venus me parler pour autant. Alors quand les autorités disent qu’aucun djihadiste tunisien n’est passé par la wilaya d’El Tarf, il ne faut surtout pas les croire. » Direction une autre wilaya frontalière, la wilaya de Souk-Ahras. Là aussi, une zone particulièrement montagneuse et accidentée. Là aussi, nombreux sont les hellaba à effectuer divers trafics vers la Tunisie voisine et toute proche. Du côté du chef-lieu de la wilaya, en particulier dans la gare routière, la SNTV, comme on l’appelle ici, les «taxieurs» clandestins sont légion. Et nombreux également sont les véhicules immatriculés en Tunisie reconnaissables à leurs plaques noires. Pour se rendre à la frontière, tous ou presque empruntent la RN 20.

    INCURSION
    De l’autre côté de la frontière se trouve la localité tunisienne de Ghardimaou, qui avait joué un rôle non négligeable durant la guerre de Libération, puisque c’est là que siégeait l’Etat-major général (EMG) qui allait sceller le destin de l’Algérie nouvellement indépendante. Pour les habitants de l’antique Taghaste, il n’y a pas vraiment eu de problèmes visibles concernant la situation sécuritaire en Tunisie. « Tout est calme par ici, tente de rassurer un commerçant qui se rend assez régulièrement de l’autre côté. Certes, on entend des choses çà et là, mais l’armée est là pour surveiller et assurer une bonne situation globale. Si des djihadistes tentent d’entrer en Algérie, ils sauront qui trouver. » Mais à l’extérieur de la ville, c’est un autre son de cloche que l’on entend. Beaucoup d’habitants des villages environnants affirment avoir entendu des histoires d’incursion de terroristes tunisiens en territoire algérien, sans toutefois confirmer les avoir vus. Comme cette femme qui assure que les membres d’Ansar El Charia se sont rendus tout près de Souk-Ahras afin de s’approvisionner avant de rejoindre le maquis tunisien. Là aussi, gardes-frontières comme militaires sont catégoriques. « Tout cela n’est que rumeur, tempête un sous-officier de l’ANP. Il n’y a aucune intrusion djihadiste en territoire algérien. Nous collaborons étroitement avec nos collègues tunisiens pour endiguer ce qui peut l’être. Sans l’ANP, la situation en Tunisie pourrait être pire.» Souk-Ahras n’est pas pour autant épargnée par les trafics en tout genre qui caractérisent si bien les zones frontalières tant à l’ouest qu’à l’est du pays.

    SANCTUAIRE
    Elle est même devenue une zone de transit idéale pour les produits laitiers, rappelle Hichem, un trafiquant âgé de 25 ans, qui affirme être binational, c’est-à-dire algérien et tunisien. « De l’autre côté, il est devenu difficile de trouver du lait et des dérivés, raconte-t-il. Alors, j’en récupère ici et je les livre à Ghardimaou et au-delà même. La vie est devenue très chère en Tunisie, à tel point que les Tunisiens se rendent en masse ici à Souk-Ahras pour s’approvisionner, sinon, ils peuvent mourir de faim». Et ici, ces Tunisiens semblent se sentir plutôt rassurés d’être en Algérie. «Le pays est plutôt sécurisé, constate cette ressortissante tunisienne. De l’autre côté, nous ne trouvons pas facilement de quoi nous mettre sous la dent, et lorsque c’est le cas, tout est horriblement cher. » La zone frontalière la plus sensible reste malgré tout celle qui est du ressort de la wilaya de Tébessa, puisqu’elle se trouve à proximité du sanctuaire du djihadisme tunisien, le Jebel Chaambi. Que ce soit à Boukhadra, Bouchebka, dans la région de Djebel Onk et jusqu’aux confins sahariens de Négrine, toute la wilaya est sous haute surveillance.

    WESTERNS
    Tout près de la frontière, les forces de l’ANP sont sur le qui-vive. Les hellaba usent de tous les moyens possibles et imaginables pour faire leur «job» en toute sérénité, ce qui est souvent le cas, comme l’affirme, l’un d’eux, Omar. « Nous travaillons en étroite collaboration avec les forces de sécurité, explique-t-il. Ces dernières sont beaucoup plus occupées à traquer les éléments d’Ansar El Charia qui tentent de s’infiltrer en territoire algérien. D’ailleurs, j’en ai vu un certain nombre du côté de Bouchebka, mais aussi plus au sud, vers Djebel Onk et Negrine ». Et de me dire : « D’ailleurs, si tu veux, viens avec moi à Negrine, je vais te faire voir quelque chose. » L’axe Tébessa-Negrine est l’une des routes du Sahara en partant du Nord. Et force est de constater que plus l’on se dirige vers le sud, plus le paysage change. La route de Oued Souf, comme on l’appelle ici, est parsemée de barrages tantôt de la police, tantôt de la gendarmerie nationale. Il n’y a que du côté de Djebel Onk, où se situent les mines de phosphates qui sont par la suite acheminés par voie ferroviaire jusqu’à Annaba, considérée comme le port de Tébessa par excellence, que l’ANP dresse de temps à autre un barrage où tous les véhicules sont arrêtés et examinés minutieusement. Dans un décor digne des plus grands westerns, Negrine annonce le désert. Mais c’est plus à l’est que me mène Omar. Là, dans un village au milieu de nulle part se pressent tous les hellabas de la région, mais aussi des barbus qui, m’a assuré Omar, viennent de Tunisie. « Cette frontière, qui est située à 5 km seulement d’ici est entièrement poreuse, m’explique-t-il. Les djihadistes peuvent s’infiltrer en territoire algérien sans être inquiétés. »

    REGARD
    M’ayant remarqué, certains d’entre eux font tout pour m’éviter. Visiblement, je ne suis pas le bienvenu. Les hellaba du coin demandent à Omar de rebrousser chemin. C’est là qu’un barbu visiblement tunisien nous interpelle. Ayant compris que Omar était accompagné d’un journaliste, il a bien voulu donner quelques explications. «Nous activons surtout dans la région de Kasserine, mais aussi, plus au sud, vers Gafsa, raconte-t-il. Mais, Inch Allah, nous réussirons à réaliser en Tunisie ce qui n’a pas pu se faire ici en Algérie. L’armée tunisienne ne peut rien contre nous, pas plus que l’armée algérienne même si elle est plus puissante.» Deux autres islamistes finissent, exaspérés, par demander à Omar de quitter les lieux, non sans me maudire du regard. Visiblement il y a des djihadistes tunisiens en Algérie et qui travaillent de concert avec les hellaba.

    Auteur: Noël Boussaha
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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