Abdelkrim H., militant du MDS, est descendu de son « douar », appellation qu’il attribue à sa ville située à une quinzaine de kilomètres d’Oran, pour voir le film El Wahrani. Il s’est déplacé pour le cinéma qu’il ne cesse d’aimer, mais aussi par acte militant : pour « faire barrage aux intégristes au cas où ils voudraient empêcher la projection du film. » Quelques jours plus tôt, la rumeur a circulé que des personnes allaient venir perturber la projection du film pour leurs convictions politico-religieuses et à la suite de l’attaque virulente et injustifiée du prédicateur vedette de la chaîne Ennahar. Cheikh Chemseddine, qui n’a pas vu le film et ne va certainement pas au cinéma, avait, en effet, appelé au boycott du long métrage de Lyes Salem. La campagne d’accusation qu’il a menée contre lui a surpris par sa violence et s’est amplifiée jusqu’aux réseauxsociaux Ainsi, de nombreux camarades de Abdelkrim sont venus pour empêcher une « descente » contre le film et défendre la liberté de faire des films et de créer. D’autres, non partisans, mais se réclamant « modernistes », ont investi le cinéma Colisée (Es Saâda), pour voir et soutenir l’œuvre de Lyes Salem au nom du 7e art et du libre débat. Certains, se revendiquant comme des Oranais de souche, ont assisté à une partie de la projection avant de se retirer en plein milieu du film. Parmi eux, des gens qui ont cherché à inciter le public à vider la salle. Dans l’obscurité, des éclats de voix et de colère ont fusé au motif que El Wahrani ne fait pas justice à Oran et aux Oranais. En fait, ce public mécontent accuse le réalisateur d’avoir repris dans le film tous les stéréotypes et les poncifs, forcément cruels et mensongers selon eux, qui font de leur ville un lieu de vice et de débauche. Certains ont même essayé d’impliquer les « moudjahidine » et les mobiliser contre le film parce qu’il touche aussi, d’après eux, à la dignité des héros de la guerre de Libération nationale et aux résistants au colonialisme français.
De nouvelles questions à l’Histoire
La présence du réalisateur, du producteur et d’une partie des actrices et acteurs du film a heureusement permis d’engager un débat et de le recentrer sur le rapport du cinéma à la réalité et sur la façon dont El Wahrani pose de nouvelles questions que le cinéma algérien n’a pas abordées dans son rapport à l’histoire contemporaine du pays. La première, et peut-être la plus importante, se rapporte à la zone d’ombre qui continue d’envelopper certaines dimensions de la guerre de Libération nationale. Le meurtre de la femme d’El Wahrani dans le film du même nom est attribué aux soldats français, mais reste non élucidé. L’idée qu’elle soit liquidée par le clan de son mari, après son viol par les soldats français, surgit dans le film Le long métrage pose aussi la question de la confiscation de l’Algérie dès le lendemain de l’indépendance par des groupes politiques issus de la guerre de Libération. Dans le sillage de son ami d’enfance, El Wahrani va s’approprier un cabaret, une usine et d’autres biens, notamment immobiliers. Djamel, manipulant très bien le discours démagogique, fera pire et mènera un standing de vie comparable ou plus en tout point à celui des gros colons. Celui qui n’a pas cédé à la tentation et qui est resté vigilant a fini ses jours dans les geôles de la sécurité militaire. Il a été « ramassé » sur ordre de son ami Djamel. Lyès Salem dénonce dans son œuvre le dévoiement de la révolution après le basculement de juillet 1962. Il accuse dans sa fiction le régime d’alors d’autoritarisme et de brutalité, montrant des scènes de torture d’un journaliste libanais venu informer le jeune enfant issu du viol sur la réalité du meurtre de sa mère. Le récit en lui-même est un peu déstructuré. Certains techniciens imputent ce déséquilibre au montage. Beaucoup de scènes ont été supprimées, par crainte de heurter la susceptibilité d’une certaine catégorie de spectateurs. Mais il reste fluide, agréable à voir. Dans des conditions moins chargées de passion, il peut donner lieu à plusieurs lectures fort intéressantes. Sur le fait incontestable qu’El Wahrani inaugure un nouveau cinéma, jeune et moins complaisant avec l’histoire de l’Algérie et de la guerre de Libération nationale, devenue un blocage à force de sanctification.
reporters.dz
De nouvelles questions à l’Histoire
La présence du réalisateur, du producteur et d’une partie des actrices et acteurs du film a heureusement permis d’engager un débat et de le recentrer sur le rapport du cinéma à la réalité et sur la façon dont El Wahrani pose de nouvelles questions que le cinéma algérien n’a pas abordées dans son rapport à l’histoire contemporaine du pays. La première, et peut-être la plus importante, se rapporte à la zone d’ombre qui continue d’envelopper certaines dimensions de la guerre de Libération nationale. Le meurtre de la femme d’El Wahrani dans le film du même nom est attribué aux soldats français, mais reste non élucidé. L’idée qu’elle soit liquidée par le clan de son mari, après son viol par les soldats français, surgit dans le film Le long métrage pose aussi la question de la confiscation de l’Algérie dès le lendemain de l’indépendance par des groupes politiques issus de la guerre de Libération. Dans le sillage de son ami d’enfance, El Wahrani va s’approprier un cabaret, une usine et d’autres biens, notamment immobiliers. Djamel, manipulant très bien le discours démagogique, fera pire et mènera un standing de vie comparable ou plus en tout point à celui des gros colons. Celui qui n’a pas cédé à la tentation et qui est resté vigilant a fini ses jours dans les geôles de la sécurité militaire. Il a été « ramassé » sur ordre de son ami Djamel. Lyès Salem dénonce dans son œuvre le dévoiement de la révolution après le basculement de juillet 1962. Il accuse dans sa fiction le régime d’alors d’autoritarisme et de brutalité, montrant des scènes de torture d’un journaliste libanais venu informer le jeune enfant issu du viol sur la réalité du meurtre de sa mère. Le récit en lui-même est un peu déstructuré. Certains techniciens imputent ce déséquilibre au montage. Beaucoup de scènes ont été supprimées, par crainte de heurter la susceptibilité d’une certaine catégorie de spectateurs. Mais il reste fluide, agréable à voir. Dans des conditions moins chargées de passion, il peut donner lieu à plusieurs lectures fort intéressantes. Sur le fait incontestable qu’El Wahrani inaugure un nouveau cinéma, jeune et moins complaisant avec l’histoire de l’Algérie et de la guerre de Libération nationale, devenue un blocage à force de sanctification.
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