Violences à Ghardaïa : entretien avec Abderrahmane Hadj Nacer
16:30 vendredi 10 juillet 2015 | Par Hadjer Guenanfa | Entretiens
« Je ne me sens pas Mozabite dans cette affaire, ni Chaâmbis. Mais je sens qu’il y a véritable danger sur l’Algérie », lance Abderrahmane Hadj Nacer avant de répondre à nos questions. L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie revient, dans cet entretien, sur les violences qui secouent Ghardaïa depuis plus de deux ans.

Que pensez-vous de l’intervention de l’armée dans la crise à Ghardaïa après les derniers affrontements ?
Cela veut dire qu’on reconnait officiellement que les institutions ne fonctionnent plus et que les gens n’ont plus confiance dans la police ou la gendarmerie. Il est surprenant tout de même de constater que lorsqu’il y a danger de mort, ces deux corps de sécurité sont systématiquement défaillants dans l’incapacité d’agir parce qu’ils n’ont pas reçu d’ordre d’Alger pour intervenir ou parce qu’ils ne sont pas assez équipés pour intervenir.
Cela pose problème surtout quand on pense aux budgets dépensés par ces deux corps de sécurité pour des équipements qui ne servent qu’à matraquer la population lorsqu’elle manifeste paisiblement. À Guerrara, au plus mauvais moment, la gendarmerie et la police ne pouvaient pas intervenir. Les citoyens algériens les paient pour les protéger et pour les avertir à temps. Ils ne le sont pas.
Ensuite, il faut s’interroger pourquoi veut-on mobiliser l’armée ? La désignation du commandant d’une région militaire pour gérer un problème civil, même s’il y a des armes, veut dire qu’on voudrait tester la capacité de résilience de l’armée. Une armée dont l’unité et sa capacité de résilience sont désormais en jeu. Ce test, peu importe qui est derrière, est fondamental.
Pourquoi est-il fondamental ?
Dans les années 1990, on s’est évertué à casser le FLN. C’est-à-dire à casser le lien politique entre le régime et la population. Dans les années 2000, on a cassé Sonatrach et à travers elle tout le tissu industriel. Il reste le troisième pied sur lequel repose l’Algérie : l’armée.
L’armée peut être en danger en intervenant dans ce conflit ?
Je pense que l’armée a échappé au piège qu’était l’intervention à l’extérieur du pays. L’autre piège est qu’elle soit utilisée dans des guerres picrocholines à l’intérieur. Nous avons une armée nationale populaire qui constitue une force reconnue, une colonne vertébrale puisque elle est l’émanation de toute la population. Tout le monde estime que cette armée lui appartient même si on n’est pas d’accord avec ses chefs. Tout le monde la réclame. Si on mouille l’armée dans des mini-conflits qui se tribalisent, on l’oblige à prendre position d’une certaine façon. Elle ne pourrait pas sortir indemne d’une guerre pour laquelle elle n’est pas faite.
Une armée est faite pour tuer l’ennemi et non pour assurer l’ordre. Souvent, on a bien vu ce qui s’est passé en octobre 1988. On avait tiré des conclusions sur « l’armée tueuse ». On oublie que ce qu’on apprend à un militaire, c’est de tirer sur l’ennemi et à viser juste. L’intervention dans ce genre de conflits est très dangereuse pour l’armée parce que la tribalisation va gangrener l’armée ! Alors qu’une armée ne doit appartenir ni à un clan, ni à une caste ou à une tribu. Méditons le cas syrien.
Des visites officielles ont été effectuées et des décisions ont été prises mais la crise continue…
Le problème essentiel est le système d’arbitrage qui a été cassé en 1992. Dans tous les systèmes de gouvernance, il y un arbitrage entre les différents intérêts et intervenants. En Algérie, la disparition de Chadli s’est accompagnée par l’effondrement progressif du système d’arbitrage. L’arbitrage est un rôle dévolu au président de la République ou à un groupe au sein duquel un individu peut jouer le rôle d’arbitre de dernier recours. En l’absence de ce système d’arbitrage et d’un arbitre reconnu par tout le monde, les sous groupes peuvent se multiplier.
Vous avez également des gens qui peuvent s’allier aux empires étrangers ou à ces nouveaux pouvoirs occultes. C’est le début de la trahison même si elle n’est pas perçue comme telle au départ.
Comment expliquez-vous ce qui se passe entre les deux communautés arabe et mozabite à Ghardaïa depuis plus de deux ans ?
Peut-être qu’il faut se demander qui fait quoi au M’zab ? Je crois que si on veut éviter une mauvaise compréhension de la situation dans cette région, on ne doit justement pas se restreindre à parler de Mozabites et de Chaâmbas qui peuvent être des victimes expiatoires ou de la chair à canon. Parce que c’est exactement là où on veut nous mener pour contraindre notre expression et notre réflexion dans des limites qui ne nous permettent pas de voir la réalité du problème : c’est-à-dire ce qui se passe réellement et qui a intérêt à quoi.
Est-ce que ce sont les Américains qui manifesteraient leur volonté d’avoir une maîtrise absolue de tout ce qui se passe dans le monde ? Les Français qui voudraient montrer leur détermination de tenir en main leur pré-carré ? Les Israéliens qui accroissent leur mainmise sur l’Afrique ? Est-ce que c’est l’Arabie saoudite qui, à travers le wahhabisme, offre ses capacités d’intervention notamment aux Israéliens ? Ou est-ce que ce sont des manipulations de segments mafieux du pouvoir algérien qui manifestent aussi leurs capacités à rompre ou perturber les nouveaux équilibres en gestation s’ils ne sont pas pris en considération ? Est-ce que finalement ce n’est pas aussi les soubresauts d’un système qui a totalement échoué ?
Quelle hypothèse vous semble la plus plausible ?
Je considère que les Israéliens, les Français, les Américains et les Saoudiens ont tous des légitimités à intervenir en Algérie parce qu’ils ont des intérêts. Cela ne veut pas dire que je leur reconnais le droit ! Le problème se pose en ce qui concerne nos services de sécurité. Ces services sont par définition là pour anticiper ce qui risque d’arriver à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays pour qu’on puisse intervenir à temps. Si nous ne sommes pas intervenus à temps, c’est que quelque part il y a des intervenants qui ont un agenda antipatriotique. Je ne sais pas lesquels. Je n’ai pas les capacités de vous dire si ce sont juste des gens qui ont été achetés ou est-ce que c’est une logique plus fondamentale. En fait, il y a une logique plus stupide liée à la volonté de sauvegarder le statut quo, de protéger des intérêts, de maintenir cet algorithme entre les intérêts nationaux et internationaux qui peut conduire à des sujétions qui sont de l’ordre de la trahison.
C’est-à-dire qu’on peut aller vers les déshydratas de tel ou tel intervenant étranger pour être adoubé et être considéré comme étant l’équipe qui les a aidés et qui doit donc gérer le pays pour les 15 ou 20 ou 30 prochaines années. La question : est-ce que les acteurs locaux travaillent avec ou contre eux ? Là on rentre dans un périmètre très complexe. Je pense qu’il y a des intérêts convergents.
Pourquoi le choix de Ghardaïa ?
Si on prend l’Arabie saoudite, on sait qu’elle s’est fait doubler dans le Golfe par Oman (dont la population est en majorité ibadite) qui a facilité les discussions entre les États-Unis et l’Iran. On sait également qu’il y a régulièrement un appel contre les Ibadites à la Mecque.
16:30 vendredi 10 juillet 2015 | Par Hadjer Guenanfa | Entretiens
« Je ne me sens pas Mozabite dans cette affaire, ni Chaâmbis. Mais je sens qu’il y a véritable danger sur l’Algérie », lance Abderrahmane Hadj Nacer avant de répondre à nos questions. L’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie revient, dans cet entretien, sur les violences qui secouent Ghardaïa depuis plus de deux ans.

Que pensez-vous de l’intervention de l’armée dans la crise à Ghardaïa après les derniers affrontements ?
Cela veut dire qu’on reconnait officiellement que les institutions ne fonctionnent plus et que les gens n’ont plus confiance dans la police ou la gendarmerie. Il est surprenant tout de même de constater que lorsqu’il y a danger de mort, ces deux corps de sécurité sont systématiquement défaillants dans l’incapacité d’agir parce qu’ils n’ont pas reçu d’ordre d’Alger pour intervenir ou parce qu’ils ne sont pas assez équipés pour intervenir.
Cela pose problème surtout quand on pense aux budgets dépensés par ces deux corps de sécurité pour des équipements qui ne servent qu’à matraquer la population lorsqu’elle manifeste paisiblement. À Guerrara, au plus mauvais moment, la gendarmerie et la police ne pouvaient pas intervenir. Les citoyens algériens les paient pour les protéger et pour les avertir à temps. Ils ne le sont pas.
Ensuite, il faut s’interroger pourquoi veut-on mobiliser l’armée ? La désignation du commandant d’une région militaire pour gérer un problème civil, même s’il y a des armes, veut dire qu’on voudrait tester la capacité de résilience de l’armée. Une armée dont l’unité et sa capacité de résilience sont désormais en jeu. Ce test, peu importe qui est derrière, est fondamental.
Pourquoi est-il fondamental ?
Dans les années 1990, on s’est évertué à casser le FLN. C’est-à-dire à casser le lien politique entre le régime et la population. Dans les années 2000, on a cassé Sonatrach et à travers elle tout le tissu industriel. Il reste le troisième pied sur lequel repose l’Algérie : l’armée.
L’armée peut être en danger en intervenant dans ce conflit ?
Je pense que l’armée a échappé au piège qu’était l’intervention à l’extérieur du pays. L’autre piège est qu’elle soit utilisée dans des guerres picrocholines à l’intérieur. Nous avons une armée nationale populaire qui constitue une force reconnue, une colonne vertébrale puisque elle est l’émanation de toute la population. Tout le monde estime que cette armée lui appartient même si on n’est pas d’accord avec ses chefs. Tout le monde la réclame. Si on mouille l’armée dans des mini-conflits qui se tribalisent, on l’oblige à prendre position d’une certaine façon. Elle ne pourrait pas sortir indemne d’une guerre pour laquelle elle n’est pas faite.
Une armée est faite pour tuer l’ennemi et non pour assurer l’ordre. Souvent, on a bien vu ce qui s’est passé en octobre 1988. On avait tiré des conclusions sur « l’armée tueuse ». On oublie que ce qu’on apprend à un militaire, c’est de tirer sur l’ennemi et à viser juste. L’intervention dans ce genre de conflits est très dangereuse pour l’armée parce que la tribalisation va gangrener l’armée ! Alors qu’une armée ne doit appartenir ni à un clan, ni à une caste ou à une tribu. Méditons le cas syrien.
Des visites officielles ont été effectuées et des décisions ont été prises mais la crise continue…
Le problème essentiel est le système d’arbitrage qui a été cassé en 1992. Dans tous les systèmes de gouvernance, il y un arbitrage entre les différents intérêts et intervenants. En Algérie, la disparition de Chadli s’est accompagnée par l’effondrement progressif du système d’arbitrage. L’arbitrage est un rôle dévolu au président de la République ou à un groupe au sein duquel un individu peut jouer le rôle d’arbitre de dernier recours. En l’absence de ce système d’arbitrage et d’un arbitre reconnu par tout le monde, les sous groupes peuvent se multiplier.
Vous avez également des gens qui peuvent s’allier aux empires étrangers ou à ces nouveaux pouvoirs occultes. C’est le début de la trahison même si elle n’est pas perçue comme telle au départ.
Comment expliquez-vous ce qui se passe entre les deux communautés arabe et mozabite à Ghardaïa depuis plus de deux ans ?
Peut-être qu’il faut se demander qui fait quoi au M’zab ? Je crois que si on veut éviter une mauvaise compréhension de la situation dans cette région, on ne doit justement pas se restreindre à parler de Mozabites et de Chaâmbas qui peuvent être des victimes expiatoires ou de la chair à canon. Parce que c’est exactement là où on veut nous mener pour contraindre notre expression et notre réflexion dans des limites qui ne nous permettent pas de voir la réalité du problème : c’est-à-dire ce qui se passe réellement et qui a intérêt à quoi.
Est-ce que ce sont les Américains qui manifesteraient leur volonté d’avoir une maîtrise absolue de tout ce qui se passe dans le monde ? Les Français qui voudraient montrer leur détermination de tenir en main leur pré-carré ? Les Israéliens qui accroissent leur mainmise sur l’Afrique ? Est-ce que c’est l’Arabie saoudite qui, à travers le wahhabisme, offre ses capacités d’intervention notamment aux Israéliens ? Ou est-ce que ce sont des manipulations de segments mafieux du pouvoir algérien qui manifestent aussi leurs capacités à rompre ou perturber les nouveaux équilibres en gestation s’ils ne sont pas pris en considération ? Est-ce que finalement ce n’est pas aussi les soubresauts d’un système qui a totalement échoué ?
Quelle hypothèse vous semble la plus plausible ?
Je considère que les Israéliens, les Français, les Américains et les Saoudiens ont tous des légitimités à intervenir en Algérie parce qu’ils ont des intérêts. Cela ne veut pas dire que je leur reconnais le droit ! Le problème se pose en ce qui concerne nos services de sécurité. Ces services sont par définition là pour anticiper ce qui risque d’arriver à l’intérieur ou à l’extérieur d’un pays pour qu’on puisse intervenir à temps. Si nous ne sommes pas intervenus à temps, c’est que quelque part il y a des intervenants qui ont un agenda antipatriotique. Je ne sais pas lesquels. Je n’ai pas les capacités de vous dire si ce sont juste des gens qui ont été achetés ou est-ce que c’est une logique plus fondamentale. En fait, il y a une logique plus stupide liée à la volonté de sauvegarder le statut quo, de protéger des intérêts, de maintenir cet algorithme entre les intérêts nationaux et internationaux qui peut conduire à des sujétions qui sont de l’ordre de la trahison.
C’est-à-dire qu’on peut aller vers les déshydratas de tel ou tel intervenant étranger pour être adoubé et être considéré comme étant l’équipe qui les a aidés et qui doit donc gérer le pays pour les 15 ou 20 ou 30 prochaines années. La question : est-ce que les acteurs locaux travaillent avec ou contre eux ? Là on rentre dans un périmètre très complexe. Je pense qu’il y a des intérêts convergents.
Pourquoi le choix de Ghardaïa ?
Si on prend l’Arabie saoudite, on sait qu’elle s’est fait doubler dans le Golfe par Oman (dont la population est en majorité ibadite) qui a facilité les discussions entre les États-Unis et l’Iran. On sait également qu’il y a régulièrement un appel contre les Ibadites à la Mecque.
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