« Il faut être prudent. Vous raisonnez tous, Français, journalistes, de la même manière : d'un côté il y a les bons, les militaires, garants de la démocratie et de la laïcité, et, de l'autre, les méchants terroristes islamistes, qui commettraient 99% des attentats. Je n'ai pas le même sentiment. Pour moi, trois attentats sur quatre sont le fait du pouvoir en place. Pour être plus précis, les derniers attentats semblent être le fait d'une fraction de la junte militaire qui se refuse, contrairement à une autre fraction, à négocier avec le Front islamique du salut. Comment fonctionne le système ? D'abord, la sécurité militaire a infiltré tous les petits maquis du GIA. Le fait que la plupart des jeunes gens de ces commandos soient assassinés en prison après être passés aux aveux est un signe qui ne trompe pas. La version officielle, c'est qu'ils ont été tués par leurs frères. Mais vous avez rencontré beaucoup de prisons d'Alger où les islamistes se balladent avec des kalachnikovs ? Quand on parle des attentats intégristes, n'oublions pas de rajouter "présumés", ce que la télévision française omet trop souvent de faireÉ Il y a aussi les commandos officiels de l'armée, les Ninjas. Vous savez comment ils travaillent ? Ils entourent un quartier, ils font sauter les maisons et ils tuent tout le monde. J'ai vu des cassettes vidéo. C'est vrai, elles sont tournées par les islamistes, mais est-ce une raison pour ne jamais en parler ? Pour finir, il y a les brigades de "patriotes", enrôlées par le pouvoir algérien. Selon nos estimations, on arrive aux chiffres suivants : 200 000 miliciens et 180 000 militaires. Et on veut nous faire croire que ces 400 000 hommes ne sont pas capables de réduire quelques maquis "résiduels" de gamins. Il y a là quelque chose qui cloche. Nous avons fait une topologie des mouvements terroristes : il y a à peu près 300 cellules de 7 à 14 membres, une quinzaine de maquis de 18 à 80 personnes. Cela veut dire que 400 000 hommes surarmés n'arrivent pas à mettre au pas moins de mille personnes. Et puis, d'où vient le matériel les explosifs, les armes , dans un pays où toutes les frontières sont étanches, contrôlées par une énorme armée ? Il y a une autre hypothèse : le pouvoir algérien nous raconte des histoires. Les généraux nous disent qu'ils se battent avec les islamistes, mais il est plus probable qu'ils se déchirent. »
(Bruno Etienne, Ce sont les généraux qui se déchirent, Le Figaro, 31 août 1997)
(Bruno Etienne, Ce sont les généraux qui se déchirent, Le Figaro, 31 août 1997)
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