Nos villes sont moches. Les petits patelins le sont davantage. A trop vouloir imiter les grandes agglomérations, ils ont perdu leur âme. C’est à croire qu’aussi bien les particuliers que les promoteurs publics se sont donné le mot : construire des horreurs. Les immeubles sont hideux, les maisons individuelles n’échappent pas à la règle. Depuis qu’un constructeur chinois a opté pour de la peinture orange, tout le monde en est devenu adepte. Des immeubles de couleur mauve, orange ou jaune poussent comme des champignons et sont des hymnes à la laideur. Alors savent-ils construire les Algériens ?
La spécificité locale, connais pas !
Tous ceux qui connaissent les rudiments de l’architecture, savent qu’on ne peut pas construire à Annaba comme à Tamanrasset. Mais il ne suffit pas de le savoir. Aujourd’hui, au nom d’un uniformise biscornu, les villes ont perdu leur cachet propre. Les seuls bastions de résistance qui subsistent sont les anciennes constructions qui ont échappé au règne de la mocheté. Pourquoi retrouve-t-on à Alger, à Tamanrasset, ou à Béjaïa les mêmes bâtisses hideuses ? Probablement parce que tous les Algériens caressent le même rêve : une grande maison, de préférence pas finie, avec des piliers qui dépassent, collée à celle du voisin et surtout sans jardin. Et ils osent appeler cela villa ! Mais si les particuliers ont tous sombré dans la spirale de la médiocrité, comment expliquer que même les promoteurs publics fassent autant ? L’urgence. Face à la crise de logement, ils ont visiblement adopté une stratégie : construire vite et mal. Sous prétexte qu’ils construisent pour des personnes dans le besoin, ils pensent qu’il suffit de faire une cage à poules, avec un mini-balcon, le tout implanté dans la gadoue pour répondre à l’urgence. Ils ignorent que la mocheté engendre la mocheté. Qu’en parquant des individus dans des cités horribles, ils encouragent la médiocrité, l’incivisme. Lorsque Bouteflika avait dit à l’adresse des architectes, «J’ai honte de nos villes», il n’avait sans doute pas tort mais les architectes peuvent-ils à eux seuls endosser cette responsabilité ?
L’architecte a bon dos
Certainement pas, répondent les spécialistes. Souvent, les plans faits par ces derniers ne sont qu’une simple pièce justificative pour l’obtention d’un permis de construire. Une fois le sésame en poche, le fameux plan est relégué aux calendes grecs pour laisser palace au «génie» destructeur de ceux qui doivent construire. La loi ne punit-elle pas ce genre de pratiques ? Visiblement pas, puisqu’elles sont monnaie courante. Après avoir dessiné une jolie maison, s’intégrant parfaitement avec l’environnement immédiat, l’architecte découvre avec le temps que la bâtisse qui voit le jour ressemble à tout sauf au plan préalablement soumis. Au diable le jardin, oublié l’art. Les constructeurs ne pensent qu’à une seule chose : finir au plus vite. Et c’est l’esthétique qui est ainsi sacrifiée sur l’autel de la productivité.
Un jardin, pour quoi faire ?
Est-ce pour assouvir la frustration d’avoir habité une petite maison et d’avoir été contraint de cohabiter avec dix personnes dans 50 m2 que les Algériens construisent des immeubles qu’ils osent appeler villas ? Est-ce pour prouver qu’ils ont les moyens ? Est-ce le signe d’une appartenance sociale ? Peut-être bien. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est devenu une règle : la maison individuelle typique est une bâtisse à trois ou quatre étages, imaginée comme un immeuble. Inutile de dire que le jardin n’a jamais fait partie des projets du propriétaire. Un jardin pour quoi faire ? Et puis la maison est trop collée à celle du voisin, on ne pourra même pas profiter de l’espace vert sans être espionné… Autre argument : si les Algériens construisent aussi grand, c’est, disent-ils, pour caser le maximum de leurs enfants. Une fois en âge de se marier, les garçons occupent les appartements et tant pis si la cohabitation s’avère explosive. Mais l’Algérien est capable de faire pire : il peut construire un building et se contenter de vivre au rez-dechaussée pour ne pas «salir» la maison.
Les garages en priorité…
Les garages font partie de la priorité des priorités. Si certains s’y parquent à sept pour préserver le reste, d’autres au contraire les utilisent comme commerces. «C’est le garage qui va financer le reste.» Comment ? En transformant ces derniers en locaux commerciaux, les Algériens financent leur construction. Tant pis s’ils se condamnent à vivre au-dessus d’un café, d’un hammam ou d’une boulangerie. L’essentiel, c’est que l’argent rentre. C’est devenu une règle : pas de «villas» sans local. Pourtant, peut-on se permettre de multiplier les commerces dans des quartiers censés porter l’appellation de résidentiels ? Peut-on ouvrir une salle des fêtes au milieu d’autres habitations ? Oui, c’est possible. Si les lois sur les nuisances sonores existent, tout le monde sait qu’elles peuvent être allègrement violées.
D’éternels chantiers…
Une fois les locaux commerciaux achevés et mis en exploitation, les chantiers ralentissent drôlement. Rares sont les constructions qui sont achevées. Les énormes piliers qui dépassent des bâtisses ne sont qu’une fausse promesse d’une éventuelle extension. Rares sont ceux qui reprennent les travaux. Ils se contentent d’entasser sacs de ciment, sable et autres matériaux de construction sans jamais aller au bout de leurs projets… Pourtant, la loi est claire : quiconque qui n’achève pas ses constructions dans une période de deux ans, encourt des sanctions. Et pourtant nul n’est inquiété. Pas moins de 2518 cas concernant le manquement aux règles de l’urbanisme ont été recensés à Alger, pour le seul deuxième trimestre de l’année dernière. Ils sont le fait de particuliers qui ont fait un pied-de-nez à toutes les règles.
L’Etat s’y met aussi
Mais le particulier ne porte pas à lui seul la responsabilité de la mocheté des villes. L’Etat, qui a choisi la quantité au détriment de la qualité, a fait de la laideur une constante. Les cités qui poussent sont un vrai appel à prendre la fuite. Ni les couleurs choisies, ni les matériaux, ni encore moins le style n’invitent à habiter dans les immeubles construits par les promoteurs publics. Avec l’arrivée des Chinois, des Egyptiens dans le cadre des programmes de l’AADL, l’espoir est-il permis ? Si tout le monde s’accorde à dire que les tours construites par les étrangers présentent des innovations, beaucoup de spécialistes ont estimé que le système des tours n’était pas du tout adapté à la sociologie algérienne et que ces dernières vont rapidement se transformer en cités-dortoirs comme celles de Diar-El-Mahsoul ou de Climat-de-France. Trop pessimistes ? Peut-être pas. Lorsqu’on sait que sous d’autres cieux, ce genre de constructions sont en voie de disparition, il est utile de se demander s’il existe réellement une volonté de mettre au point une véritable politique d’urbanisme.
Que reste-t-il de Pouillon et du Corbusier ?
Ne se contentant pas de participer à amocher les villes, les Algériens détruisent même l’héritage légué par les colons français. Non contents d’avoir bénéficié presque gratuitement de superbes demeures, certains trouvent le moyen d’apporter leur touche. Première victime de cette volonté, le jardin. C’est à croire que l’Algérien est allergique à tout ce qui est vert. L’espace vert est perçu comme une énergumène qui grignote de l’espace. Seconde modification : les murs de soutènement. A force de construire des murs hauts de plusieurs mètres, les Algériens ont transformé leurs demeures en forteresse. Tous paranos ? Tous ont-ils la certitude que le voisin d’en face les épie ? Non ! «C’est une question de horma.» Les femmes doivent être protégées du regard des autres. Ces autres qui risquent de s’immiscer dans leur vie privée, qui risquent de «tout» voir. Conséquence : il ne subsiste presque plus rien des coquettes maisonnettes, des géraniums et des lilas. Le béton et le barbelé les ont remplacés. L’algérianisation des villes a donné naissance à des quartiers qui sont loin d’être harmonieux. Des colosses côtoient des maisonnettes qui se font toutes petites, vaincues par tant de laideur.
Résultat :
Pris entre le désir de construire très grand, très vite, l’Algérien semble oublier l’essentiel : bien construire. Aussi bien l’Etat que les particuliers piétinent les règles les plus élémentaires en matière d’urbanisme. Lorsque c’est le chef de l’Etat qui intervient dans le débat pour rappeler à l’ordre l’ensemble des intervenants, c’est que la question dépasse le cadre du simple souci d’esthétique. Lorsqu’il rappelle aux architectes que «ce schéma permet encore, trop souvent, aux diverses étapes de la conception et de l'exécution des programmes, des incohérences, des négligences, des visions étriquées ou mal adaptées aux besoins, une absence de coordination, un manque de créativité ou encore la confusion des responsabilités», c’est avec beaucoup d’amertume qu’il compare l’Algérie aux «pays voisins». Mais qu’est-ce qui empêche l’Algérie d’engager la même politique que celle adoptée en Tunisie par exemple ? Ne peut-on pas exiger que dans les villes côtières, il y ait plus d’harmonie ? Que la steppe ne tente pas de ressembler à Alger et que Tamanrasset cesse de lorgner vers Oran ? Que l’Algérien vive enfin en harmonie avec son environnement sans agresser le regard des autres, sans afficher son mauvais goût ?
Par Le Soir
La spécificité locale, connais pas !
Tous ceux qui connaissent les rudiments de l’architecture, savent qu’on ne peut pas construire à Annaba comme à Tamanrasset. Mais il ne suffit pas de le savoir. Aujourd’hui, au nom d’un uniformise biscornu, les villes ont perdu leur cachet propre. Les seuls bastions de résistance qui subsistent sont les anciennes constructions qui ont échappé au règne de la mocheté. Pourquoi retrouve-t-on à Alger, à Tamanrasset, ou à Béjaïa les mêmes bâtisses hideuses ? Probablement parce que tous les Algériens caressent le même rêve : une grande maison, de préférence pas finie, avec des piliers qui dépassent, collée à celle du voisin et surtout sans jardin. Et ils osent appeler cela villa ! Mais si les particuliers ont tous sombré dans la spirale de la médiocrité, comment expliquer que même les promoteurs publics fassent autant ? L’urgence. Face à la crise de logement, ils ont visiblement adopté une stratégie : construire vite et mal. Sous prétexte qu’ils construisent pour des personnes dans le besoin, ils pensent qu’il suffit de faire une cage à poules, avec un mini-balcon, le tout implanté dans la gadoue pour répondre à l’urgence. Ils ignorent que la mocheté engendre la mocheté. Qu’en parquant des individus dans des cités horribles, ils encouragent la médiocrité, l’incivisme. Lorsque Bouteflika avait dit à l’adresse des architectes, «J’ai honte de nos villes», il n’avait sans doute pas tort mais les architectes peuvent-ils à eux seuls endosser cette responsabilité ?
L’architecte a bon dos
Certainement pas, répondent les spécialistes. Souvent, les plans faits par ces derniers ne sont qu’une simple pièce justificative pour l’obtention d’un permis de construire. Une fois le sésame en poche, le fameux plan est relégué aux calendes grecs pour laisser palace au «génie» destructeur de ceux qui doivent construire. La loi ne punit-elle pas ce genre de pratiques ? Visiblement pas, puisqu’elles sont monnaie courante. Après avoir dessiné une jolie maison, s’intégrant parfaitement avec l’environnement immédiat, l’architecte découvre avec le temps que la bâtisse qui voit le jour ressemble à tout sauf au plan préalablement soumis. Au diable le jardin, oublié l’art. Les constructeurs ne pensent qu’à une seule chose : finir au plus vite. Et c’est l’esthétique qui est ainsi sacrifiée sur l’autel de la productivité.
Un jardin, pour quoi faire ?
Est-ce pour assouvir la frustration d’avoir habité une petite maison et d’avoir été contraint de cohabiter avec dix personnes dans 50 m2 que les Algériens construisent des immeubles qu’ils osent appeler villas ? Est-ce pour prouver qu’ils ont les moyens ? Est-ce le signe d’une appartenance sociale ? Peut-être bien. Mais ce qui est sûr, c’est que c’est devenu une règle : la maison individuelle typique est une bâtisse à trois ou quatre étages, imaginée comme un immeuble. Inutile de dire que le jardin n’a jamais fait partie des projets du propriétaire. Un jardin pour quoi faire ? Et puis la maison est trop collée à celle du voisin, on ne pourra même pas profiter de l’espace vert sans être espionné… Autre argument : si les Algériens construisent aussi grand, c’est, disent-ils, pour caser le maximum de leurs enfants. Une fois en âge de se marier, les garçons occupent les appartements et tant pis si la cohabitation s’avère explosive. Mais l’Algérien est capable de faire pire : il peut construire un building et se contenter de vivre au rez-dechaussée pour ne pas «salir» la maison.
Les garages en priorité…
Les garages font partie de la priorité des priorités. Si certains s’y parquent à sept pour préserver le reste, d’autres au contraire les utilisent comme commerces. «C’est le garage qui va financer le reste.» Comment ? En transformant ces derniers en locaux commerciaux, les Algériens financent leur construction. Tant pis s’ils se condamnent à vivre au-dessus d’un café, d’un hammam ou d’une boulangerie. L’essentiel, c’est que l’argent rentre. C’est devenu une règle : pas de «villas» sans local. Pourtant, peut-on se permettre de multiplier les commerces dans des quartiers censés porter l’appellation de résidentiels ? Peut-on ouvrir une salle des fêtes au milieu d’autres habitations ? Oui, c’est possible. Si les lois sur les nuisances sonores existent, tout le monde sait qu’elles peuvent être allègrement violées.
D’éternels chantiers…
Une fois les locaux commerciaux achevés et mis en exploitation, les chantiers ralentissent drôlement. Rares sont les constructions qui sont achevées. Les énormes piliers qui dépassent des bâtisses ne sont qu’une fausse promesse d’une éventuelle extension. Rares sont ceux qui reprennent les travaux. Ils se contentent d’entasser sacs de ciment, sable et autres matériaux de construction sans jamais aller au bout de leurs projets… Pourtant, la loi est claire : quiconque qui n’achève pas ses constructions dans une période de deux ans, encourt des sanctions. Et pourtant nul n’est inquiété. Pas moins de 2518 cas concernant le manquement aux règles de l’urbanisme ont été recensés à Alger, pour le seul deuxième trimestre de l’année dernière. Ils sont le fait de particuliers qui ont fait un pied-de-nez à toutes les règles.
L’Etat s’y met aussi
Mais le particulier ne porte pas à lui seul la responsabilité de la mocheté des villes. L’Etat, qui a choisi la quantité au détriment de la qualité, a fait de la laideur une constante. Les cités qui poussent sont un vrai appel à prendre la fuite. Ni les couleurs choisies, ni les matériaux, ni encore moins le style n’invitent à habiter dans les immeubles construits par les promoteurs publics. Avec l’arrivée des Chinois, des Egyptiens dans le cadre des programmes de l’AADL, l’espoir est-il permis ? Si tout le monde s’accorde à dire que les tours construites par les étrangers présentent des innovations, beaucoup de spécialistes ont estimé que le système des tours n’était pas du tout adapté à la sociologie algérienne et que ces dernières vont rapidement se transformer en cités-dortoirs comme celles de Diar-El-Mahsoul ou de Climat-de-France. Trop pessimistes ? Peut-être pas. Lorsqu’on sait que sous d’autres cieux, ce genre de constructions sont en voie de disparition, il est utile de se demander s’il existe réellement une volonté de mettre au point une véritable politique d’urbanisme.
Que reste-t-il de Pouillon et du Corbusier ?
Ne se contentant pas de participer à amocher les villes, les Algériens détruisent même l’héritage légué par les colons français. Non contents d’avoir bénéficié presque gratuitement de superbes demeures, certains trouvent le moyen d’apporter leur touche. Première victime de cette volonté, le jardin. C’est à croire que l’Algérien est allergique à tout ce qui est vert. L’espace vert est perçu comme une énergumène qui grignote de l’espace. Seconde modification : les murs de soutènement. A force de construire des murs hauts de plusieurs mètres, les Algériens ont transformé leurs demeures en forteresse. Tous paranos ? Tous ont-ils la certitude que le voisin d’en face les épie ? Non ! «C’est une question de horma.» Les femmes doivent être protégées du regard des autres. Ces autres qui risquent de s’immiscer dans leur vie privée, qui risquent de «tout» voir. Conséquence : il ne subsiste presque plus rien des coquettes maisonnettes, des géraniums et des lilas. Le béton et le barbelé les ont remplacés. L’algérianisation des villes a donné naissance à des quartiers qui sont loin d’être harmonieux. Des colosses côtoient des maisonnettes qui se font toutes petites, vaincues par tant de laideur.
Résultat :
Pris entre le désir de construire très grand, très vite, l’Algérien semble oublier l’essentiel : bien construire. Aussi bien l’Etat que les particuliers piétinent les règles les plus élémentaires en matière d’urbanisme. Lorsque c’est le chef de l’Etat qui intervient dans le débat pour rappeler à l’ordre l’ensemble des intervenants, c’est que la question dépasse le cadre du simple souci d’esthétique. Lorsqu’il rappelle aux architectes que «ce schéma permet encore, trop souvent, aux diverses étapes de la conception et de l'exécution des programmes, des incohérences, des négligences, des visions étriquées ou mal adaptées aux besoins, une absence de coordination, un manque de créativité ou encore la confusion des responsabilités», c’est avec beaucoup d’amertume qu’il compare l’Algérie aux «pays voisins». Mais qu’est-ce qui empêche l’Algérie d’engager la même politique que celle adoptée en Tunisie par exemple ? Ne peut-on pas exiger que dans les villes côtières, il y ait plus d’harmonie ? Que la steppe ne tente pas de ressembler à Alger et que Tamanrasset cesse de lorgner vers Oran ? Que l’Algérien vive enfin en harmonie avec son environnement sans agresser le regard des autres, sans afficher son mauvais goût ?
Par Le Soir
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