Toujours dans la thématique de la fuite des cerveaux, sujet mainte fois remis sur le métier mais toujours d'actualité.
Peut-on reprocher à Ahmed de partir ou de vouloir partir aprés une quinzaine d'année de bon et loyaux service, pas seulement pour gagner plus d’argent comme le dit Ahmed mais pour de meilleures conditions de travail, pour apprendre et prouver ses capacités professionnelles. «Ici, les promotions sont décidées à l’extérieur. Pour avoir un salaire intéressant, il faut faire des interventions. Sans parrains, vous êtes mort et enterré dans un bureau. Les missions et les formations à l’étranger, ce sont toujours les mêmes qui partent. C’est écoeurant. C’est difficile de vivre cela au quotidien. C’est difficile de voir notre compagnie perdre des cadres de hauts niveaux pour des miettes», argumente Ahmed.
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Ahmed, 40 ans, est un homme indécis. Depuis plusieurs mois, il ne sait plus quelle décision prendre.
Rester à Sonatrach ou partir pour une «carrière professionnelle» à Qatar Gas. Deux grandes compagnies gazières, des enjeux énormes pour l’avenir.
Un dilemme pour ce père de famille. «Je ne sais quoi faire, je suis vraiment indécis. D’un coté l’offre des qataris et de l’autre, ma situation à Sonatrach, ma famille, mes enfants. Je vous jure que ce n’est pas facile de trancher», confie Ahmed. Technicien supérieur depuis 15 ans à Sonatrach, il ne cache pas son intérêt pour la compagnie qatarie. Ahmed a ses raisons et des arguments en béton. Ses contacts avec Qatar Gas remontent à la fin de l’été dernier. «J’ai été contacté par un Algérien qui travaille pour cette compagnie. Il m’a donné les bonnes ficelles pour présenter ma candidature. Je l’ai faite sans trop hésiter», explique Ahmed. L’employé algérien de Qatar Gas a servi de premier intermédiaire entre lui et la compagnie de l’émirat. Puis, les choses sérieuses commencent. Ahmed fait connaissance avec une boîte de recrutement écossaise qui travaille et recrute pour Qatar Gas. Il échange des e-mails en anglais avec et fait sa demande de recrutement, avec son CV. Un mois après, il reçoit une réponse positive pour un entretien d’embauche. Le tout par e-mail.
Le rendez-vous est pris dans un hôtel à Tunis. Bonne nouvelle pour Ahmed. Avec cette réponse, il peut tenter sa chance et visiter la capitale tunisienne. Son séjour est entièrement pris en charge dans un hôtel quatre étoiles. Les frais de transport aussi. Les chasseurs de tête écossais évitent de faire les entretiens en Algérie. Pour le Maghreb, ils ont choisi Tunis et Casablanca. Deux villes situées dans des pays pauvres en hydrocarbures, ni de compétences dans le domaine. L’Algérie, par contre, possède une bonne expérience. La Sonatrach est l’un des pionniers dans le GNL, le gaz naturel liquéfié, que les grandes compagnies gazières veulent produire et commercialiser. Et c’est précisément dans ce domaine stratégique que les qataris cherchent à se faire une bonne place parmi les majors. Qatar Gas construit actuellement l’un des plus grands complexes de GNL au monde, avec des trains de production géants. L’industrie pétrolière et gazière des pays du Golfe a toujours fait appel à l’expertise algérienne. Au tour d’un thé dans un café à Oran, Ahmed raconte avec détails son entretien d’embauche. Tout s’est déroulé en quelques heures dans un hôtel cinq étoiles à Tunis. Il garde un bon souvenir de l’accueil et du professionnalisme des recruteurs. Il se souvient aussi de la présence d’un Algérien, cadre à Qatar Gas. C’est lui qui a présenté Qatar Gas aux candidats à l’eldorado qatarie.
«C’était un samedi. Nous étions une vingtaine de candidats, tous des Algériens. Une navette de l’hôtel est venue nous prendre à 7 h 30 du matin. La veille, les recruteurs sont venus pour nous souhaiter la bienvenue et nous expliquer le programme. Ces gens-là accordent de l’importance aux compétences. Ce sont des professionnels et jugent les gens sur leurs compétences techniques. J’ai été rassuré. Au moins, cet entretien me permettra de me situer, sur le plan professionnel, de connaître ma valeur, mes compétences. Suis-je capable de travailler dans une grande compagnie étrangère ? La question me hantait l’esprit», raconte Ahmed. Arrivés à l’hôtel, les recruteurs étaient déjà prêts. Pas de perte de temps. Les entretiens sont aussitôt entamés dans une salle équipée, en présence de hauts responsables de la compagnie qatarie. Tous les candidats sont réunis dans la même salle. «Ils ont commencé par présenter Qatar Gas, ses usines et les conditions de travail pour les mariés et les célibataires. Ensuite, on passe aux tests écrits. On nous demande de réécrire sur place nos CV. Tout cela a duré une heure environ», explique Ahmed.
Après une pause-café, les candidats sont reçus individuellement. L’un après l’autre, ils passent au scanner des chasseurs de têtes professionnels venus de la lointaine Ecosse. L’entretien oral concerne le salaire, la motivation, la situation familiale, les conditions de travail. Une sorte de discussion à bâtons rompus. Tout, en un quart d’heure ! «Il y a une salle et trois bureaux. Vous choisissez l’un d’eux. Les entretiens sont individuels. Le recruteur regarde le CV sur son ordinateur portable et pose des questions précises sur notre travail», ajoute Ahmed. L’entretien se termine sur un désaccord. Le salaire demandé par Ahmed, plus de 3000 dollars par mois, est jugé élevé. «Vous touchez nettement moins en Algérie, n’est ce pas ?» lui a t-on répondu. Les recruteurs sont au courant des salaires de Sonatrach. Pour eux, c’est un argument de poids pour convaincre, en proposant des salaires quatre fois plus. Mais aucune décision sur le recrutement d’Ahmed n’est prise sur le champ. En plus, l’entretien n’est pas terminé. Tout comme la négociation sur le salaire. Le rendez-vous est pris pour 14 h, après un déjeuner aux frais de Qatar Gas. L’entretien reprend à 14 h. «Ils nous ont posés des questions sur notre travail. J’ai expliqué ce que je fais à Sonatrach. Comment on produit du GNL. Après, on a discuté des conditions de travail», ajoute Ahmed. Et là, le premier obstacle au départ d’Ahmed à Qatar Gas surgit ! D’un coup, tous les espoirs d’Ahmed s’évaporent. «Ils m’ont expliqué que les logements pour mariés seront prêts dans 18 mois. Je ne peux pas laisser ma femme et mes enfants à Oran», argumente t-il. En fait, il n’a pas pu convaincre ses enfants, réticents. Sans eux, pas de contrat «professionnel».
Les pétrodollars du Golfe s’éloignent. Mais rien n’est perdu. A la fin de l’entretien d’embauche, un qatari s’avance vers Ahmed avec une enveloppe contenant un billet de 50 dollars. «C’est pour vos petites dépenses ici», lui a t-il dit gentiment. Les qataris prennent avec eux des photocopies, non légalisés bien sûr, des billets d’avion en aller et retour, avec promesse de tout rembourser en deux semaines, via Western Union. Promesse tenue. Ahmed a reçu, un mois après, le remboursement de ses frais de voyage en dinars algériens. Dimanche, Ahmed reprend l’avion sur Alger, puis Oran, sa ville natale. Quelques semaines après, il apprend une autre mauvaise nouvelle. Qatar Gas aurait gelé les recrutements à partir de l’Algérie. La faute à trois employés débauchés récemment de Sonatrach. «Ils ont pris les prêts de Qatar Gas destinés à équiper leurs maisons sur place», affirme Ahmed, toujours en contact avec ses anciens collègues partis travailler pour Qatar Gas.
Malgré les difficultés et les conditions défavorables, Ahmed n’a pas renoncé totalement à Qatar Gas. Il garde toujours un tout petit espoir de partir un jour pour le Qatar. Pas seulement pour gagner plus d’argent. Mais pour de meilleures conditions de travail, pour apprendre et prouver ses capacités professionnelles. «Ici, les promotions sont décidées à l’extérieur. Pour avoir un salaire intéressant, il faut faire des interventions. Sans parrains, vous êtes mort et enterré dans un bureau. Les missions et les formations à l’étranger, ce sont toujours les mêmes qui partent. C’est écoeurant. C’est difficile de vivre cela au quotidien. C’est difficile de voir notre compagnie perdre des cadres de hauts niveaux pour des miettes», argumente Ahmed.
Pour stopper la fuite des cadres, la direction de Sonatrach a décidé d’abandonner la grille des salaires héritée de l’époque de l’économie dirigée pour un système de rémunération qui cadre avec l’économie de marché. Le nouveau système salarial prévoit des augmentations de salaires. «Il n’y a rien de concret pour le moment. Nous attendons toujours», souligne Ahmed. Comme lui, Qatar Gas est aux aguets. La compagnie gazière qatarie surveille de près l’évolution des salaires à Sonatrach et promet déjà une augmentation de 20% sur les salaires pour rester compétitive et attirer les cadres de la compagnie nationale des hydrocarbures.
Hamid Guemache, Le Quotidien d'Oran, 30 janvier 2007
Peut-on reprocher à Ahmed de partir ou de vouloir partir aprés une quinzaine d'année de bon et loyaux service, pas seulement pour gagner plus d’argent comme le dit Ahmed mais pour de meilleures conditions de travail, pour apprendre et prouver ses capacités professionnelles. «Ici, les promotions sont décidées à l’extérieur. Pour avoir un salaire intéressant, il faut faire des interventions. Sans parrains, vous êtes mort et enterré dans un bureau. Les missions et les formations à l’étranger, ce sont toujours les mêmes qui partent. C’est écoeurant. C’est difficile de vivre cela au quotidien. C’est difficile de voir notre compagnie perdre des cadres de hauts niveaux pour des miettes», argumente Ahmed.
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Ahmed, 40 ans, est un homme indécis. Depuis plusieurs mois, il ne sait plus quelle décision prendre.
Rester à Sonatrach ou partir pour une «carrière professionnelle» à Qatar Gas. Deux grandes compagnies gazières, des enjeux énormes pour l’avenir.
Un dilemme pour ce père de famille. «Je ne sais quoi faire, je suis vraiment indécis. D’un coté l’offre des qataris et de l’autre, ma situation à Sonatrach, ma famille, mes enfants. Je vous jure que ce n’est pas facile de trancher», confie Ahmed. Technicien supérieur depuis 15 ans à Sonatrach, il ne cache pas son intérêt pour la compagnie qatarie. Ahmed a ses raisons et des arguments en béton. Ses contacts avec Qatar Gas remontent à la fin de l’été dernier. «J’ai été contacté par un Algérien qui travaille pour cette compagnie. Il m’a donné les bonnes ficelles pour présenter ma candidature. Je l’ai faite sans trop hésiter», explique Ahmed. L’employé algérien de Qatar Gas a servi de premier intermédiaire entre lui et la compagnie de l’émirat. Puis, les choses sérieuses commencent. Ahmed fait connaissance avec une boîte de recrutement écossaise qui travaille et recrute pour Qatar Gas. Il échange des e-mails en anglais avec et fait sa demande de recrutement, avec son CV. Un mois après, il reçoit une réponse positive pour un entretien d’embauche. Le tout par e-mail.
Le rendez-vous est pris dans un hôtel à Tunis. Bonne nouvelle pour Ahmed. Avec cette réponse, il peut tenter sa chance et visiter la capitale tunisienne. Son séjour est entièrement pris en charge dans un hôtel quatre étoiles. Les frais de transport aussi. Les chasseurs de tête écossais évitent de faire les entretiens en Algérie. Pour le Maghreb, ils ont choisi Tunis et Casablanca. Deux villes situées dans des pays pauvres en hydrocarbures, ni de compétences dans le domaine. L’Algérie, par contre, possède une bonne expérience. La Sonatrach est l’un des pionniers dans le GNL, le gaz naturel liquéfié, que les grandes compagnies gazières veulent produire et commercialiser. Et c’est précisément dans ce domaine stratégique que les qataris cherchent à se faire une bonne place parmi les majors. Qatar Gas construit actuellement l’un des plus grands complexes de GNL au monde, avec des trains de production géants. L’industrie pétrolière et gazière des pays du Golfe a toujours fait appel à l’expertise algérienne. Au tour d’un thé dans un café à Oran, Ahmed raconte avec détails son entretien d’embauche. Tout s’est déroulé en quelques heures dans un hôtel cinq étoiles à Tunis. Il garde un bon souvenir de l’accueil et du professionnalisme des recruteurs. Il se souvient aussi de la présence d’un Algérien, cadre à Qatar Gas. C’est lui qui a présenté Qatar Gas aux candidats à l’eldorado qatarie.
«C’était un samedi. Nous étions une vingtaine de candidats, tous des Algériens. Une navette de l’hôtel est venue nous prendre à 7 h 30 du matin. La veille, les recruteurs sont venus pour nous souhaiter la bienvenue et nous expliquer le programme. Ces gens-là accordent de l’importance aux compétences. Ce sont des professionnels et jugent les gens sur leurs compétences techniques. J’ai été rassuré. Au moins, cet entretien me permettra de me situer, sur le plan professionnel, de connaître ma valeur, mes compétences. Suis-je capable de travailler dans une grande compagnie étrangère ? La question me hantait l’esprit», raconte Ahmed. Arrivés à l’hôtel, les recruteurs étaient déjà prêts. Pas de perte de temps. Les entretiens sont aussitôt entamés dans une salle équipée, en présence de hauts responsables de la compagnie qatarie. Tous les candidats sont réunis dans la même salle. «Ils ont commencé par présenter Qatar Gas, ses usines et les conditions de travail pour les mariés et les célibataires. Ensuite, on passe aux tests écrits. On nous demande de réécrire sur place nos CV. Tout cela a duré une heure environ», explique Ahmed.
Après une pause-café, les candidats sont reçus individuellement. L’un après l’autre, ils passent au scanner des chasseurs de têtes professionnels venus de la lointaine Ecosse. L’entretien oral concerne le salaire, la motivation, la situation familiale, les conditions de travail. Une sorte de discussion à bâtons rompus. Tout, en un quart d’heure ! «Il y a une salle et trois bureaux. Vous choisissez l’un d’eux. Les entretiens sont individuels. Le recruteur regarde le CV sur son ordinateur portable et pose des questions précises sur notre travail», ajoute Ahmed. L’entretien se termine sur un désaccord. Le salaire demandé par Ahmed, plus de 3000 dollars par mois, est jugé élevé. «Vous touchez nettement moins en Algérie, n’est ce pas ?» lui a t-on répondu. Les recruteurs sont au courant des salaires de Sonatrach. Pour eux, c’est un argument de poids pour convaincre, en proposant des salaires quatre fois plus. Mais aucune décision sur le recrutement d’Ahmed n’est prise sur le champ. En plus, l’entretien n’est pas terminé. Tout comme la négociation sur le salaire. Le rendez-vous est pris pour 14 h, après un déjeuner aux frais de Qatar Gas. L’entretien reprend à 14 h. «Ils nous ont posés des questions sur notre travail. J’ai expliqué ce que je fais à Sonatrach. Comment on produit du GNL. Après, on a discuté des conditions de travail», ajoute Ahmed. Et là, le premier obstacle au départ d’Ahmed à Qatar Gas surgit ! D’un coup, tous les espoirs d’Ahmed s’évaporent. «Ils m’ont expliqué que les logements pour mariés seront prêts dans 18 mois. Je ne peux pas laisser ma femme et mes enfants à Oran», argumente t-il. En fait, il n’a pas pu convaincre ses enfants, réticents. Sans eux, pas de contrat «professionnel».
Les pétrodollars du Golfe s’éloignent. Mais rien n’est perdu. A la fin de l’entretien d’embauche, un qatari s’avance vers Ahmed avec une enveloppe contenant un billet de 50 dollars. «C’est pour vos petites dépenses ici», lui a t-il dit gentiment. Les qataris prennent avec eux des photocopies, non légalisés bien sûr, des billets d’avion en aller et retour, avec promesse de tout rembourser en deux semaines, via Western Union. Promesse tenue. Ahmed a reçu, un mois après, le remboursement de ses frais de voyage en dinars algériens. Dimanche, Ahmed reprend l’avion sur Alger, puis Oran, sa ville natale. Quelques semaines après, il apprend une autre mauvaise nouvelle. Qatar Gas aurait gelé les recrutements à partir de l’Algérie. La faute à trois employés débauchés récemment de Sonatrach. «Ils ont pris les prêts de Qatar Gas destinés à équiper leurs maisons sur place», affirme Ahmed, toujours en contact avec ses anciens collègues partis travailler pour Qatar Gas.
Malgré les difficultés et les conditions défavorables, Ahmed n’a pas renoncé totalement à Qatar Gas. Il garde toujours un tout petit espoir de partir un jour pour le Qatar. Pas seulement pour gagner plus d’argent. Mais pour de meilleures conditions de travail, pour apprendre et prouver ses capacités professionnelles. «Ici, les promotions sont décidées à l’extérieur. Pour avoir un salaire intéressant, il faut faire des interventions. Sans parrains, vous êtes mort et enterré dans un bureau. Les missions et les formations à l’étranger, ce sont toujours les mêmes qui partent. C’est écoeurant. C’est difficile de vivre cela au quotidien. C’est difficile de voir notre compagnie perdre des cadres de hauts niveaux pour des miettes», argumente Ahmed.
Pour stopper la fuite des cadres, la direction de Sonatrach a décidé d’abandonner la grille des salaires héritée de l’époque de l’économie dirigée pour un système de rémunération qui cadre avec l’économie de marché. Le nouveau système salarial prévoit des augmentations de salaires. «Il n’y a rien de concret pour le moment. Nous attendons toujours», souligne Ahmed. Comme lui, Qatar Gas est aux aguets. La compagnie gazière qatarie surveille de près l’évolution des salaires à Sonatrach et promet déjà une augmentation de 20% sur les salaires pour rester compétitive et attirer les cadres de la compagnie nationale des hydrocarbures.
Hamid Guemache, Le Quotidien d'Oran, 30 janvier 2007
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