«Les lions ne meurent pas, ils disparaissent. »
(Proverbe de l’Algérie profonde)
«Un moudjahid de la plume s’en est allé sans bruit, sans m’as-tu vu. Un hommage mérité de la nation lu a été rendu. Il était le dernier Algérien encore en vie ayant négocié ce texte historique qui mit fin à la guerre d’Algérie. Redha Malek était membre de la délégation algérienne lors des Accords d’Evian en mars 1962. Après l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, Redha Malek a mené une longue carrière diplomatique. Il fut tour à tour ambassadeur à Paris, Londres, Moscou, Washington, Belgrade et a été ministre des Affaires étrangères. Redha Malek a été membre du Haut-Comité de l’Etat (HCE), une instance collégiale qui a dirigé l’Algérie de 1992 à 1994. Il a aussi été Premier ministre de 1993 à 1994 avant de fonder un parti politique, l’Alliance nationale républicaine (ANR), en 1995. Auteur de plusieurs livres, il était partisan de la séparation du pouvoir et du religieux.»(1)
Voilà résumé en quelques lignes le sacerdoce d’un homme qui a consacré sa vie au service de l’Algérie. Cependant il nous a paru utile de retracer son parcours à travers trois haltes pour tenter de cerner la personnalité de ce patriote au long cours qui, comme tout homme a eu ses faiblesses, mais au final laissera, je l’espère, une trace qui servira de repère au même titre que les géants d’une Révolution qui fut dure avec ses enfants mais qui fut épique par le souvenir qu’elle a laissé au monde.
Le patriote dans la Révolution
Redha Malek est avant tout un intellectuel venu à la Révolution avec tout ce que cela comporte d’abandon de situation sociale. Il était étudiant et inscrit dans deux cursus. Il sera de ceux qui créèrent l’Ugema en s’engageant dans la lutte de libération. Les dirigeants algériens ne se trompèrent pas en lui confiant la direction de la création ex nihilo du journal de la Révolution El Moudjahid. Il en fit une référence et à titre personnel pour avoir lu les trois tomes édités dans les pays de l’Est, j’y ai trouvé une mine d’informations sur l’histoire de l’invasion coloniale, comme ces fêtes et bals donnés par Bugeaud où l’on faisait défiler, comme rapporté par le journal, des Algériens avec une pancarte accrochée au cou portant la mention : «Arabes soumis.» Il y eut des rédacteurs admirables et il n’est pas rare de trouver des éditoriaux signés par de grands hommes, je veux citer Abane Ramdane, Redha Malek, Pierre Chaulet, Franz Fanon et tant d’autres qui ont réussi le tour de force, avec des moyens dérisoires, de donner une dimension planétaire à la Révolution.
Yves Courrière raconte comment — avec des faibles moyens, en utilisant les possibilités d’une grande ville pour faire le tirage de communiqués — les diplomates algériens, faisant preuve d’audace et naturellement de compétences, damèrent le pion aux Nations unies où ils luttèrent pied à pied contre la propagande de la délégation française en proposant aux diplomates des Nations unies des analyses pertinentes qui contredisaient les arguments de l’adversaire et d’année en année l’Algérie combattante engrangeait les soutiens. Ce sera la même école qui donna une dimension aussi importante que celle du maquis à la Révolution.
C’est donc tout naturellement que Redha Malek sera nommé porte-parole des négociations, d’abord à Melun, puis à Evian. Dans son ouvrage L’Algérie à Evian, Redha Malek raconte comment les négociations furent difficiles – qui n’ont rien à voir avec celles ayant amené à l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, voire de la dizaine de pays africains qui le furent d’un coup avec des négociateurs français rompus aux arcanes de la diplomatie et des diplomates algériens qui, pour certains, étaient trentenaires, purent tenir la distance.
Redha Malek a souligné dans son ouvrage L’Algérie à Evian, véritable mine d’informations, quelques moments difficiles des négociations ; l’entêtement de la France à revendiquer la partition du Sahara, et l’extraterritorialité de la communauté européenne – une enclave française en terre algérienne – qui furent finalement abandonnés par la partie française Zineb Merzouk rapporte aussi des extraits de l’ouvrage : «Les derniers jours, lit-on, des négociations sont ponctués par de la nervosité, des incertitudes, des désaccords de part et d’autre. Et le temps paraît si long… Le samedi 17 mars, l’ambiance est fébrile à l’Hôtel du Parc. Nous devons les revoir et vérifier, en particulier, si les différents amendements qui ont donné lieu à tant de veilles y figurent bien», écrit Redha Malek. Dimanche 18 mars. Les négociateurs se retrouvent en fin de matinée pour une dernière lecture avant le moment tant attendu. (…) Malek qualifie la scène qui suit de spectacle insolite : «les membres de la délégation française nous lisant, tour à tour et à haute voix, les 98 pages des accords. Nous suivons studieusement sur nos documents. (…) Le moment historique arrive enfin. La signature du document. Les membres de la délégation sont surpris de voir les trois ministres français apposer successivement leur paraphe. Quant vient le tour de la délégation algérienne, raconte Redha Malek, Krim a un moment d’hésitation. Dahlab le sort d’embarras, en déclarant que pour ce qui est de l’Algérie, seul le chef de sa délégation est habilité à signer.» Passé l’effet de surprise, «le vice-président du GPRA assume pour la postérité son acte historique, en toute simplicité, sous le regard ému de ses collègues». Une poignée de main entre les membres des deux délégations, qui s’en étaient abstenus jusqu’ici, scelle l’accord et la réconciliation. Il est 17h30.»(2)
«On ne fête pas Waterloo, m’avouera, un jour, un des négociateurs français les plus en vue. J’ai trouvé le jugement excessif, mais il décrivait sans doute le sentiment dominant. Pour ce qui est de la délégation algérienne, ses membres affichent clairement leur joie. L’autosatisfaction n’était pas le fort du FLN et, la fatigue aidant, le cœur n’y était plus pour savourer un moment si ardemment attendu. Nos pensées allaient plutôt à nos proches, aux figures amies, aux innombrables compagnons de lutte qui, victimes de l’idéal qui a remué l’Algérie dans ses profondeurs, n’étaient plus là pour assister avec nous à sa concrétisation. Non ! (…) Le lendemain, 19 mars 1962, à midi, la guerre d’Algérie sera officiellement terminée.»(2)
(Proverbe de l’Algérie profonde)
«Un moudjahid de la plume s’en est allé sans bruit, sans m’as-tu vu. Un hommage mérité de la nation lu a été rendu. Il était le dernier Algérien encore en vie ayant négocié ce texte historique qui mit fin à la guerre d’Algérie. Redha Malek était membre de la délégation algérienne lors des Accords d’Evian en mars 1962. Après l’indépendance de l’Algérie, le 5 juillet 1962, Redha Malek a mené une longue carrière diplomatique. Il fut tour à tour ambassadeur à Paris, Londres, Moscou, Washington, Belgrade et a été ministre des Affaires étrangères. Redha Malek a été membre du Haut-Comité de l’Etat (HCE), une instance collégiale qui a dirigé l’Algérie de 1992 à 1994. Il a aussi été Premier ministre de 1993 à 1994 avant de fonder un parti politique, l’Alliance nationale républicaine (ANR), en 1995. Auteur de plusieurs livres, il était partisan de la séparation du pouvoir et du religieux.»(1)
Voilà résumé en quelques lignes le sacerdoce d’un homme qui a consacré sa vie au service de l’Algérie. Cependant il nous a paru utile de retracer son parcours à travers trois haltes pour tenter de cerner la personnalité de ce patriote au long cours qui, comme tout homme a eu ses faiblesses, mais au final laissera, je l’espère, une trace qui servira de repère au même titre que les géants d’une Révolution qui fut dure avec ses enfants mais qui fut épique par le souvenir qu’elle a laissé au monde.
Le patriote dans la Révolution
Redha Malek est avant tout un intellectuel venu à la Révolution avec tout ce que cela comporte d’abandon de situation sociale. Il était étudiant et inscrit dans deux cursus. Il sera de ceux qui créèrent l’Ugema en s’engageant dans la lutte de libération. Les dirigeants algériens ne se trompèrent pas en lui confiant la direction de la création ex nihilo du journal de la Révolution El Moudjahid. Il en fit une référence et à titre personnel pour avoir lu les trois tomes édités dans les pays de l’Est, j’y ai trouvé une mine d’informations sur l’histoire de l’invasion coloniale, comme ces fêtes et bals donnés par Bugeaud où l’on faisait défiler, comme rapporté par le journal, des Algériens avec une pancarte accrochée au cou portant la mention : «Arabes soumis.» Il y eut des rédacteurs admirables et il n’est pas rare de trouver des éditoriaux signés par de grands hommes, je veux citer Abane Ramdane, Redha Malek, Pierre Chaulet, Franz Fanon et tant d’autres qui ont réussi le tour de force, avec des moyens dérisoires, de donner une dimension planétaire à la Révolution.
Yves Courrière raconte comment — avec des faibles moyens, en utilisant les possibilités d’une grande ville pour faire le tirage de communiqués — les diplomates algériens, faisant preuve d’audace et naturellement de compétences, damèrent le pion aux Nations unies où ils luttèrent pied à pied contre la propagande de la délégation française en proposant aux diplomates des Nations unies des analyses pertinentes qui contredisaient les arguments de l’adversaire et d’année en année l’Algérie combattante engrangeait les soutiens. Ce sera la même école qui donna une dimension aussi importante que celle du maquis à la Révolution.
C’est donc tout naturellement que Redha Malek sera nommé porte-parole des négociations, d’abord à Melun, puis à Evian. Dans son ouvrage L’Algérie à Evian, Redha Malek raconte comment les négociations furent difficiles – qui n’ont rien à voir avec celles ayant amené à l’indépendance du Maroc et de la Tunisie, voire de la dizaine de pays africains qui le furent d’un coup avec des négociateurs français rompus aux arcanes de la diplomatie et des diplomates algériens qui, pour certains, étaient trentenaires, purent tenir la distance.
Redha Malek a souligné dans son ouvrage L’Algérie à Evian, véritable mine d’informations, quelques moments difficiles des négociations ; l’entêtement de la France à revendiquer la partition du Sahara, et l’extraterritorialité de la communauté européenne – une enclave française en terre algérienne – qui furent finalement abandonnés par la partie française Zineb Merzouk rapporte aussi des extraits de l’ouvrage : «Les derniers jours, lit-on, des négociations sont ponctués par de la nervosité, des incertitudes, des désaccords de part et d’autre. Et le temps paraît si long… Le samedi 17 mars, l’ambiance est fébrile à l’Hôtel du Parc. Nous devons les revoir et vérifier, en particulier, si les différents amendements qui ont donné lieu à tant de veilles y figurent bien», écrit Redha Malek. Dimanche 18 mars. Les négociateurs se retrouvent en fin de matinée pour une dernière lecture avant le moment tant attendu. (…) Malek qualifie la scène qui suit de spectacle insolite : «les membres de la délégation française nous lisant, tour à tour et à haute voix, les 98 pages des accords. Nous suivons studieusement sur nos documents. (…) Le moment historique arrive enfin. La signature du document. Les membres de la délégation sont surpris de voir les trois ministres français apposer successivement leur paraphe. Quant vient le tour de la délégation algérienne, raconte Redha Malek, Krim a un moment d’hésitation. Dahlab le sort d’embarras, en déclarant que pour ce qui est de l’Algérie, seul le chef de sa délégation est habilité à signer.» Passé l’effet de surprise, «le vice-président du GPRA assume pour la postérité son acte historique, en toute simplicité, sous le regard ému de ses collègues». Une poignée de main entre les membres des deux délégations, qui s’en étaient abstenus jusqu’ici, scelle l’accord et la réconciliation. Il est 17h30.»(2)
«On ne fête pas Waterloo, m’avouera, un jour, un des négociateurs français les plus en vue. J’ai trouvé le jugement excessif, mais il décrivait sans doute le sentiment dominant. Pour ce qui est de la délégation algérienne, ses membres affichent clairement leur joie. L’autosatisfaction n’était pas le fort du FLN et, la fatigue aidant, le cœur n’y était plus pour savourer un moment si ardemment attendu. Nos pensées allaient plutôt à nos proches, aux figures amies, aux innombrables compagnons de lutte qui, victimes de l’idéal qui a remué l’Algérie dans ses profondeurs, n’étaient plus là pour assister avec nous à sa concrétisation. Non ! (…) Le lendemain, 19 mars 1962, à midi, la guerre d’Algérie sera officiellement terminée.»(2)
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