En principe, une rébellion estudiantine est apte à tout balayer car manifester et se révolter est une seconde nature chez elle (gent estudiantine).
- Dans la capitale de la petite Kabylie, les manifestations étudiantes dénoncent, pêle-mêle, le chômage, l’islamisme et le pouvoir militaire qui a succédé au régime Bouteflika.
« On n’est pas spectateurs, on est tous concernés ! », entend-on, en français. Il est 10 heures, ce mardi 28 mai, sur le campus Targa Ouzemmour de Béjaïa, capitale de la petite Kabylie. Les drapeaux algériens et amazighs sont de sortie. C’est l’heure du rappel des troupes devant la bibliothèque centrale, sous un soleil déjà pesant. « Faites le tour, ramenez les gens ! », se démène Lemnouar Hammamouche dit « Nonor », 25 ans.
Militants d’extrême gauche, du Front des forces socialistes (FFS)… Toutes les nuances de l’opposition politique locale se déclinent devant l’entrée de l’édifice. Seule exception : les indépendantistes du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), qui se regroupent seuls un peu plus loin, à l’ombre. « Ils se considèrent en dehors du mouvement car c’est un mouvement algérien, national. De toute façon, les autres ne veulent pas non plus se mélanger à eux », observe un étudiant.
Les syndicats reconnus ont été balayés
Nonor, Juba, Titi, Houda et une vingtaine de leurs camarades, inscrits en droit, français, génie civil ou sport, déploient leurs banderoles et dégainent les mégaphones. Si le paysage politique local était un amphithéâtre, ils occuperaient les travées les plus à gauche. Certains ne cachent d’ailleurs pas leur sympathie, voire leur appartenance au Parti socialiste des travailleurs (PST, anticapitaliste), très actif dans la région.
« Un Etat civil, pas un Etat islamiste ! »
Le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) et le Conseil national des enseignants du supérieur (CNES) suivent le cortège étudiant au nom d’un « collectif des enseignants et travailleurs de l’université ».
Mais il n’est pas facile de mobiliser et le résultat est parfois jugé décevant comparé aux mobilisations étudiantes du mardi à Alger, où « ça descend en masse ». La chaleur et le ramadan font aussi leur effet. Après avoir convaincu deux étudiants de la rejoindre, une enseignante finit par les libérer – « c’est quand même bien d’être venu ». Agacée, elle désigne d’autres fautifs : ses propres collègues qui ont maintenu des examens.
« Il y a des examens qui commencent cette semaine, confirme Nacer, professeur de biologie, plus mesuré. Ailleurs en Algérie, des facs ont décidé de voter la grève ou le boycott. Je ne suis pas sûr que ce soit dans l’intérêt des étudiants. Ici on organise des journées, le jeudi, le vendredi, c’est mieux. » Il craint une bataille encore longue : « Nous sommes dans un système qui a tout gangrené, du sommet de l’Etat à l’université. Le gang Bouteflika est parti, le système politique s’effondre, mais il reste le pouvoir réel : les généraux, le haut commandement de l’armée. »
Son inquiétude ne déteint pas sur la bonne humeur revendicative du défilé, qui s’élance sur les trois kilomètres de boulevard qui le séparent de la place Saïd-Mekbel, du nom d’un journaliste assassiné pendant la décennie noire. « Dis à Gaïd de ne pas pleurer, le 4 juillet je n’irai pas voter », chante-t-on (en arabe) en référence au général Ahmed Gaïd Salah, l’homme fort du pays, et sur l’air de Menfi, un chant populaire repris en France par Rachid Taha, auquel répondent les classiques « C’est une république, pas une caserne », « Un Etat civil, pas un Etat militaire », et sa variante locale : « Un Etat civil, pas un Etat islamiste ».
Aidée par l’absence de tout uniforme policier – une autre constante locale –, cette ambiance est vite mise à mal quand l’annonce du décès de Kamel Eddine Fekhar parcourt les rangs. Emprisonné depuis le 31 mars, ce militant des droits humains, défenseur de la minorité mozabite (des Berbères de rite ibadite), est mort mardi après une grève de la faim. Un « crime » qui ici convoque d’autres morts. Ceux de 2001, quand la Kabylie s’était embrasée après la mort d’un lycéen tué dans une gendarmerie. La répression avait fait 128 victimes.
La colère n’est jamais retombée, pas plus que les slogans d’alors n’ont été oubliés. Les « Dégagez » d’aujourd’hui s’effacent alors devant les « Pouvoir assassin » d’hier, au fur et à mesure que les manifestants s’approchent du lieu de dispersion. Les appels à manifester vendredi dédient au militant décédé le prochain défilé-.
Le Monde.fr (extraits).
- Dans la capitale de la petite Kabylie, les manifestations étudiantes dénoncent, pêle-mêle, le chômage, l’islamisme et le pouvoir militaire qui a succédé au régime Bouteflika.
« On n’est pas spectateurs, on est tous concernés ! », entend-on, en français. Il est 10 heures, ce mardi 28 mai, sur le campus Targa Ouzemmour de Béjaïa, capitale de la petite Kabylie. Les drapeaux algériens et amazighs sont de sortie. C’est l’heure du rappel des troupes devant la bibliothèque centrale, sous un soleil déjà pesant. « Faites le tour, ramenez les gens ! », se démène Lemnouar Hammamouche dit « Nonor », 25 ans.
Militants d’extrême gauche, du Front des forces socialistes (FFS)… Toutes les nuances de l’opposition politique locale se déclinent devant l’entrée de l’édifice. Seule exception : les indépendantistes du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), qui se regroupent seuls un peu plus loin, à l’ombre. « Ils se considèrent en dehors du mouvement car c’est un mouvement algérien, national. De toute façon, les autres ne veulent pas non plus se mélanger à eux », observe un étudiant.
Les syndicats reconnus ont été balayés
Nonor, Juba, Titi, Houda et une vingtaine de leurs camarades, inscrits en droit, français, génie civil ou sport, déploient leurs banderoles et dégainent les mégaphones. Si le paysage politique local était un amphithéâtre, ils occuperaient les travées les plus à gauche. Certains ne cachent d’ailleurs pas leur sympathie, voire leur appartenance au Parti socialiste des travailleurs (PST, anticapitaliste), très actif dans la région.
« Un Etat civil, pas un Etat islamiste ! »
Le Syndicat national autonome des personnels de l’administration publique (Snapap) et le Conseil national des enseignants du supérieur (CNES) suivent le cortège étudiant au nom d’un « collectif des enseignants et travailleurs de l’université ».
Mais il n’est pas facile de mobiliser et le résultat est parfois jugé décevant comparé aux mobilisations étudiantes du mardi à Alger, où « ça descend en masse ». La chaleur et le ramadan font aussi leur effet. Après avoir convaincu deux étudiants de la rejoindre, une enseignante finit par les libérer – « c’est quand même bien d’être venu ». Agacée, elle désigne d’autres fautifs : ses propres collègues qui ont maintenu des examens.
« Il y a des examens qui commencent cette semaine, confirme Nacer, professeur de biologie, plus mesuré. Ailleurs en Algérie, des facs ont décidé de voter la grève ou le boycott. Je ne suis pas sûr que ce soit dans l’intérêt des étudiants. Ici on organise des journées, le jeudi, le vendredi, c’est mieux. » Il craint une bataille encore longue : « Nous sommes dans un système qui a tout gangrené, du sommet de l’Etat à l’université. Le gang Bouteflika est parti, le système politique s’effondre, mais il reste le pouvoir réel : les généraux, le haut commandement de l’armée. »
Son inquiétude ne déteint pas sur la bonne humeur revendicative du défilé, qui s’élance sur les trois kilomètres de boulevard qui le séparent de la place Saïd-Mekbel, du nom d’un journaliste assassiné pendant la décennie noire. « Dis à Gaïd de ne pas pleurer, le 4 juillet je n’irai pas voter », chante-t-on (en arabe) en référence au général Ahmed Gaïd Salah, l’homme fort du pays, et sur l’air de Menfi, un chant populaire repris en France par Rachid Taha, auquel répondent les classiques « C’est une république, pas une caserne », « Un Etat civil, pas un Etat militaire », et sa variante locale : « Un Etat civil, pas un Etat islamiste ».
Aidée par l’absence de tout uniforme policier – une autre constante locale –, cette ambiance est vite mise à mal quand l’annonce du décès de Kamel Eddine Fekhar parcourt les rangs. Emprisonné depuis le 31 mars, ce militant des droits humains, défenseur de la minorité mozabite (des Berbères de rite ibadite), est mort mardi après une grève de la faim. Un « crime » qui ici convoque d’autres morts. Ceux de 2001, quand la Kabylie s’était embrasée après la mort d’un lycéen tué dans une gendarmerie. La répression avait fait 128 victimes.
La colère n’est jamais retombée, pas plus que les slogans d’alors n’ont été oubliés. Les « Dégagez » d’aujourd’hui s’effacent alors devant les « Pouvoir assassin » d’hier, au fur et à mesure que les manifestants s’approchent du lieu de dispersion. Les appels à manifester vendredi dédient au militant décédé le prochain défilé-.
Le Monde.fr (extraits).