François Brousseau
16 décembre 2019
En Algérie, l’élection à la présidence du 12 décembre a été suivie d’un vendredi comme les autres : des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour clamer — une 42e semaine d’affilée — leur refus du régime en place à Alger.
Pour ces hommes et ces femmes, le scrutin présidentiel de jeudi dernier — après deux tentatives, en avril et en juillet 2019, avortées sous la pression de la rue — n’était pas mieux que les précédents : une « farce électorale », jouée entre copains de l’élite, aux résultats connus d’avance.
On est loin, en effet, d’une élection qui marquerait l’aboutissement d’une véritable transition démocratique. Lancé le 22 février dernier, le Hirak algérien (« mouvement » en arabe) n’a pas encore atteint ses objectifs : un changement total de « système » (exigence à la fois radicale et floue) et un renouvellement complet du personnel politique.
Pour autant, peut-on parler d’une élection pour rien ? Soutenir que rien n’a changé en Algérie depuis dix mois ? La « farce » de jeudi était tout de même moins risible et outrancière que l’élection du 17 avril 2014, lorsqu’un zombie muet, paralytique et caché nommé Abdelaziz Bouteflika, qu’on ne voyait plus qu’en effigie, fut reporté au pouvoir avec (officiellement) plus de 80 % des suffrages exprimés, sans jamais avoir fait campagne.
Jeudi dernier, il y avait cinq noms sur les bulletins de vote. L’identité du gagnant est restée inconnue jusqu’à sa divulgation le lendemain. Celui qui est sorti du chapeau — un certain Abdelmadjid Tebboune, élu au premier tour avec 58 % des suffrages exprimés — n’était pas a priori le favori des parieurs.
Cependant, il est exact de dire que le choix offert aux Algériens ce 12 décembre était étriqué, qu’il ne représentait pas toutes les aspirations et tendances politiques.
Les cinq candidats sont tous issus de l’élite, ayant tous déjà servi, à un moment ou à un autre, le régime Bouteflika, ex-chefs de gouvernement ou proches conseillers : comme incarnation du « renouveau », on pourrait mieux faire…
Une des raisons expliquant le peu de diversité parmi les candidatures se trouve dans le boycottage efficace du vote, non seulement par une fraction importante des électeurs, mais aussi par des personnalités qui auraient pu être tentées, en d’autres circonstances, de légitimer le processus.
En juillet, le poids et le prestige du Hirak étaient encore tels que toute velléité de mise en candidature était étouffée. Les autorités avaient dû annuler la consultation… faute de candidats. Le général Ahmed Gaïd Salah, leader de facto du régime depuis la chute de Bouteflika, était furieux et il a voulu à tout prix « passer en force » à la tentative suivante : une élection aurait lieu en décembre, coûte que coûte.
L’élection a eu lieu, malgré un manque flagrant de légitimité et d’enthousiasme populaire. Annoncé vendredi, le taux de participation de 39,9 % est-il fiable ? Les manifestants ont répété que même ce chiffre modeste était « de la tricherie ». Des analystes ont cependant soutenu qu’il pouvait être proche de la réalité. On sait que celui de 2014 (environ 50 %) ne correspondait pas aux images de bureaux vides qui avaient abondamment circulé.
Jeudi, dans certaines régions comme la Kabylie, presque personne n’est allé voter, c’est vrai. La répression policière y a été très dure. La vieille Algérie autoritaire n’est pas morte ; le général Gaïd Salah en fait partie.
Mais on a aussi vu, ailleurs, des électeurs faisant la queue en grand nombre. Des endroits où des gens se déclaraient sympathisants du Hirak… tout en se rendant voter : « Ça fait dix mois qu’on dit non, il est temps de dire oui à quelque chose. » Ou encore : « Le pays a besoin de calme. » « Nous devons relancer l’économie. » Ces points de vue existent. Le Hirak, dans sa version plus radicale, n’est pas toute l’Algérie.
Une nouvelle étape s’ouvre, où les forces anciennes vont tenter de minimiser, voire de renverser les acquis énormes de 2019. Mal élu, faiblement légitime, contesté par la rue dès son arrivée, Abdelmadjid Tebboune pourrait-il devenir la révélation de 2020, l’homme d’une vraie transition démocratique, qui tiendrait tête à l’armée ?
François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada.
16 décembre 2019
En Algérie, l’élection à la présidence du 12 décembre a été suivie d’un vendredi comme les autres : des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues pour clamer — une 42e semaine d’affilée — leur refus du régime en place à Alger.
Pour ces hommes et ces femmes, le scrutin présidentiel de jeudi dernier — après deux tentatives, en avril et en juillet 2019, avortées sous la pression de la rue — n’était pas mieux que les précédents : une « farce électorale », jouée entre copains de l’élite, aux résultats connus d’avance.
On est loin, en effet, d’une élection qui marquerait l’aboutissement d’une véritable transition démocratique. Lancé le 22 février dernier, le Hirak algérien (« mouvement » en arabe) n’a pas encore atteint ses objectifs : un changement total de « système » (exigence à la fois radicale et floue) et un renouvellement complet du personnel politique.
Pour autant, peut-on parler d’une élection pour rien ? Soutenir que rien n’a changé en Algérie depuis dix mois ? La « farce » de jeudi était tout de même moins risible et outrancière que l’élection du 17 avril 2014, lorsqu’un zombie muet, paralytique et caché nommé Abdelaziz Bouteflika, qu’on ne voyait plus qu’en effigie, fut reporté au pouvoir avec (officiellement) plus de 80 % des suffrages exprimés, sans jamais avoir fait campagne.
Jeudi dernier, il y avait cinq noms sur les bulletins de vote. L’identité du gagnant est restée inconnue jusqu’à sa divulgation le lendemain. Celui qui est sorti du chapeau — un certain Abdelmadjid Tebboune, élu au premier tour avec 58 % des suffrages exprimés — n’était pas a priori le favori des parieurs.
Cependant, il est exact de dire que le choix offert aux Algériens ce 12 décembre était étriqué, qu’il ne représentait pas toutes les aspirations et tendances politiques.
Les cinq candidats sont tous issus de l’élite, ayant tous déjà servi, à un moment ou à un autre, le régime Bouteflika, ex-chefs de gouvernement ou proches conseillers : comme incarnation du « renouveau », on pourrait mieux faire…
Une des raisons expliquant le peu de diversité parmi les candidatures se trouve dans le boycottage efficace du vote, non seulement par une fraction importante des électeurs, mais aussi par des personnalités qui auraient pu être tentées, en d’autres circonstances, de légitimer le processus.
En juillet, le poids et le prestige du Hirak étaient encore tels que toute velléité de mise en candidature était étouffée. Les autorités avaient dû annuler la consultation… faute de candidats. Le général Ahmed Gaïd Salah, leader de facto du régime depuis la chute de Bouteflika, était furieux et il a voulu à tout prix « passer en force » à la tentative suivante : une élection aurait lieu en décembre, coûte que coûte.
L’élection a eu lieu, malgré un manque flagrant de légitimité et d’enthousiasme populaire. Annoncé vendredi, le taux de participation de 39,9 % est-il fiable ? Les manifestants ont répété que même ce chiffre modeste était « de la tricherie ». Des analystes ont cependant soutenu qu’il pouvait être proche de la réalité. On sait que celui de 2014 (environ 50 %) ne correspondait pas aux images de bureaux vides qui avaient abondamment circulé.
Jeudi, dans certaines régions comme la Kabylie, presque personne n’est allé voter, c’est vrai. La répression policière y a été très dure. La vieille Algérie autoritaire n’est pas morte ; le général Gaïd Salah en fait partie.
Mais on a aussi vu, ailleurs, des électeurs faisant la queue en grand nombre. Des endroits où des gens se déclaraient sympathisants du Hirak… tout en se rendant voter : « Ça fait dix mois qu’on dit non, il est temps de dire oui à quelque chose. » Ou encore : « Le pays a besoin de calme. » « Nous devons relancer l’économie. » Ces points de vue existent. Le Hirak, dans sa version plus radicale, n’est pas toute l’Algérie.
Une nouvelle étape s’ouvre, où les forces anciennes vont tenter de minimiser, voire de renverser les acquis énormes de 2019. Mal élu, faiblement légitime, contesté par la rue dès son arrivée, Abdelmadjid Tebboune pourrait-il devenir la révélation de 2020, l’homme d’une vraie transition démocratique, qui tiendrait tête à l’armée ?
François Brousseau est chroniqueur d’affaires internationales à Ici Radio-Canada.