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A Constantine, la mémoire du général Ahmed Gaïd Salah saluée sans ferveur

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  • A Constantine, la mémoire du général Ahmed Gaïd Salah saluée sans ferveur

    Après la mort de l’homme fort du régime, la vie ne s’est pas interrompue dans la troisième ville d’Algérie, où la jeunesse tente, comme ailleurs dans le pays, de joindre les deux bouts.

    Par Ali Ezhar Publié aujourd’hui à 10h27, mis à jour à 14h34

    Le monde Afrique


    Depuis dix mois déjà, la destinée de l’Algérie semble être suspendue, comme l’un des huit ponts de Constantine. Dans la troisième ville du pays, avec quelque 460 000 habitants, comme à Alger la capitale, des foules de manifestants continuent de marcher plusieurs fois par semaine pour réclamer le changement. Nichée sur les hauteurs vertigineuses de son « rocher », Constantine, capitale de l’est de l’Algérie, n’a pas été épargnée par la fièvre du Hirak, ce mouvement populaire et pacifique qui exige inlassablement le départ du pouvoir en place.

    Malgré cette pression constante de la rue, la vieille cité a tenu à saluer, mercredi 25 décembre, sous un soleil éblouissant, la mémoire de la figure absolue de ce pouvoir, celle du général Ahmed Gaïd Salah (« AGS »), mort d’une crise cardiaque deux jours plus tôt à 79 ans. Orchestrateur de l’élection présidentielle très contestée du 12 décembre – remportée par Abdelmadjid Tebboune –, le chef d’état-major des armées était considéré comme le véritable gardien du système.

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    Un écran géant a été installé au pied du théâtre régional du centre-ville afin que la population puisse suivre en direct les obsèques du « Lion », retransmises par la télévision publique. « Jamais il n’y a eu une telle cérémonie pour un général, c’est digne d’un chef d’Etat. Ça veut tout dire ! Les Algériens s’aperçoivent de la valeur d’un homme lorsqu’il meurt », clame un metteur en scène à la retraite. Cet homme d’une soixante d’années croise un ami, un jeune comédien qui ne souhaite pas s’attarder dans ce coin de Constantine surveillé par la police en civil. Activiste du Hirak, deux fois arrêté, il ne porte pas « AGS » dans son cœur, mais assure respecter ceux qui veulent le pleurer, « car c’est aussi ça la démocratie », dit-il.

    Selfies devant un pont suspendu

    Des cafés sont branchés sur les chaînes diffusant les funérailles : sirotant un kawa serré, certains clients n’ont pas manqué une image des hommages à Gaïd Salah tandis que d’autres préféraient s’attarder sur leur grille de mots croisés. Contrairement à Alger, la foule ne s’est pas massée pour vivre l’événement. Dans la capitale algérienne, hauts dignitaires et citoyens se sont recueillis devant la dépouille du chef d’état-major, exposée toute la matinée au Palais du peuple, avant d’être inhumé dans l’après-midi dans le carré des Martyrs, où reposent les anciens chefs d’Etat et les grandes figures de la lutte contre le pouvoir colonial français.


    Constantine, elle, ne s’est pas mise entre parenthèses le temps d’un recueillement, malgré le deuil national de trois jours décrété par Abdelmadjid Tebboune. En cette fin d’année, les artères grouillent de monde. Des couples se prennent en selfie devant l’impressionnant pont suspendu de Sidi M’Cid. Près du théâtre, de jeunes vendeurs tentent de refourguer pour quelques dinars des écouteurs ou des chargeurs de téléphone, d’autres proposent des parts de pizza, des macarons ou même des poussins. Il faut bien survivre dans un pays où le chômage frappe près de 30 % des 16-24 ans.

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    Un peu plus loin, dans le quartier de Belle-Vue, autre ambiance. D’autres adolescents prennent des cours d’anglais dans une école privée sans prétention : le Higher Learning Center. La nuit, glaciale, commence à tomber et la fondatrice, Sonia Redjdal, vient d’arriver. Cette jeune Constantinoise au sourire immuable qui laisse apparaître des bagues a une confiance en son pays déroutante, un argumentaire ciselé, et une détermination en titane. En novembre, elle a obtenu son diplôme en chirurgie dentaire. « Je suis une Algérienne typique. Je viens d’une famille modeste et la blouse blanche est un signe de réussite », souligne-t-elle. Et ce n’est pas tout : elle possède aussi des parts dans un fast-food de la ville. Son âge ? « 25 », répond-elle en riant.

    Assise au côté de son ami Youcef, Sonia pourrait parler des heures de Constantine et de son âme qui s’est échappée depuis longtemps. « Je veux la récupérer, répète-t-elle. Je veux revoir les gens sourire. » Elle souhaite retrouver une ville où résonnerait davantage la musique malouf ; où l’ennui ne serait plus l’unique compagnon d’une partie de la jeunesse, qui trouve un réconfort en avalant des cachets ; où les femmes pourraient marcher sans se faire harceler ; où l’envie de fuir l’Algérie ne serait plus une obsession. « Il y a des jeunes qui partent en Tunisie parce qu’ils trouvent l’Algérie moche », regrette-t-elle.

    Tisser un maillage

    Pour Sonia, le déclic a été un voyage aux Etats-Unis financé par l’ambassade américaine en 2012 avec vingt-quatre autres Algériens. Elle découvre qu’elle ressemble aux autres. Que l’on vienne d’Alger, d’Oran, d’Annaba, de Batna, de Tindouf ou de Djanet, la jeunesse algérienne aspire finalement à la même chose : vivre. « Il fallait un espace où nous pouvions nous rencontrer, nous accepter, discuter », explique Sonia.

    Pour toutes ces raisons, elle crée en 2013, avec cinq autres amis, un réseau de jeunes à travers ce vaste pays, le plus grand d’Afrique, appelé « Algerian Youth Camp » (AYC). L’idée est de secouer et de relier cette force vive d’une nation où plus de la moitié de la population (42 millions d’habitants) a moins de 30 ans. Mais, avant de tisser un maillage entre de grandes villes pour s’entraider, il fallait expliquer que le réseau n’était pas un gros mot. « Chez nous, le réseau est un terme péjoratif », explique Youcef en grattant sa barbe de hipster, également cofondateur de l’AYC. En effet, en Algérie, la méritocratie souffre du « piston », qui permet à des personnes bien installées de placer leurs proches, même sans compétence. « Pour notre première session, nous avions galéré à trouver des participants ; aujourd’hui, il y a près de mille postulants pour trente places », se réjouit Sonia.



    Lorsque des millions d’Algériens sont sortis le 22 février, point de départ des marches hebdomadaires contre le régime, Sonia a immédiatement embrassé le Hirak. « On a été en hibernation pendant tellement longtemps. L’Algérien s’est réveillé. C’est comme après un cauchemar, on ne sait pas quoi faire mais on est réveillés, raconte-t-elle. D’une certaine façon, l’AYC a contribué au Hirak. »


    Après près d’une année à réclamer le départ du « système », la jeune femme souhaite que la contestation se politise davantage. Mais, plus encore, elle veut que les jeunes restent au pays pour bâtir l’Algérie de demain. Sonia Redjdal ne veut plus qu’on abandonne son rocher.

    Ali Ezhar (Constantine, envoyé spécial)
    « Great minds discuss ideas; average minds, events; small minds, people. » Eleanor ROOSEVELT
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