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61 ans après «Gerboise bleue», premier essai nucléaire français en Algérie Mensonges d’Etat, omissions, silence et archi

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  • 61 ans après «Gerboise bleue», premier essai nucléaire français en Algérie Mensonges d’Etat, omissions, silence et archi

    61 ans après «Gerboise bleue», premier essai nucléaire français en Algérie
    Mensonges d’Etat, omissions, silence et archives gelées


    Photo : D. R. - Photo prise à Reggane, le 27 décembre 1960, lors du troisième essai nucléaire français dans le Sahara



    elwatan.com

    NADJIA BOUZEGHRANE
    13 FÉVRIER 2021

    Le 13 février 1960, l’Etat français faisait exploser, en surface, sa première bombe nucléaire «Gerboise bleue» à Reggane, dans le Sud algérien. Une bombe de 70 kilotonnes, l’équivalent de quatre fois celle d’Hiroshima. Trois autres essais en surface seront effectués en une année. Au total, ce sont 17 essais que la France réalisera en Algérie.

    Les retombées radioactives de «Gerboise bleue» ont touché une grande partie de l’Afrique au nord de l’équateur. Treize jours après, elles atteignent les côtes espagnoles et recouvrent la moitié de la Sicile ! Sur les treize tirs effectués entre 1961 et 1966, douze ont fait l’objet de fuites radioactives.

    Le jour suivant l’explosion de «Gerboise bleue», la première bombe atomique larguée dans le désert de Reggane, le nuage radioactif arrive en Libye, traverse une partie du Niger pour atteindre les alentours de N’Djamena, capitale du Tchad. A J+4, les retombées recouvrent des milliers de kilomètres carrés pour atteindre le Nigeria, le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Mali.

    Neuf jours après le largage, le nuage recouvre tout le Sud algérien et l’Afrique subsaharienne. De même, 12 jours après l’explosion, les retombées radioactives atteignent Alger en passant par le Sahara occidental et le Maroc.

    Et le lendemain, le nuage traverse la mer Méditerranée et approche des côtes espagnoles et de la Sicile, selon un document révélé par l’Observatoire des armements/Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC)* en 2009, le rapport de 1996 intitulé «La genèse de l’organisation et les expérimentations au Sahara (CSEM et CEMO)» et rendu public par la presse française.


    La chape du «secret-défense»

    La France a réalisé 17 essais nucléaires en Algérie entre le 13 février 1960 et le 16 février 1966, dont 4 atmosphériques, qui ont laissé sur le sol des fragments noirs de sable vitrifié et 13 souterrains, dont 4 (Béryl, Améthyste, Rubis, Jade) provoqueront une diffusion massive dans l’atmosphère de gaz et de roches radioactives.

    Cette activité nucléaire a été précédée d’un programme d’essais d’armes chimiques et biologiques en 1935, au centre d’essais de Beni Ouenif, qui a pris ensuite le nom de B2-Namous, considéré comme le plus grand centre d’essais d’armes chimiques et biologiques dans le monde, après le centre situé en ex-URss, comme l’a rappelé à juste titre El Djeich.

    Outre les gaz toxiques, les autorités coloniales ont également utilisé le napalm contre les maquis des moudjahidine et les lieux de regroupement des populations rurales, de 1957 jusqu’à l’indépendance.

    C’est dire l’ampleur incommensurable du prix payé par l’Algérie – population, environnement et régions entières – à la «grandeur de la France» et pour que cet Etat colonial soit une puissance nucléaire.

    Selon l’Observatoire des armements, le nombre global de documents classés secret-défense relatifs aux essais nucléaires français au Sahara et en Polynésie (1960-1996) déclassifiés par le ministère français de la Défense est dérisoire : moins de 5%. Et cette déclassification résulte de la procédure judiciaire engagée en 2004 par des associations de victimes des essais nucléaires français en Algérie et en Polynésie, l’Aven et Moruroa e tatou auprès du Parquet de Paris.

    Le secret-défense a été renforcé par l’adoption en 2008 d’une loi rendant les archives sur les essais nucléaires non communicables sans une autorisation spécifique du ministère de la Défense.

    Sur les 154 documents déclassifiés en mars 2013 relatifs à l’Algérie – récupérés par les associations françaises des victimes des essais nucléaires en novembre 2013 –, une trentaine ont de l’intérêt, selon feu Bruno Barrillot, co-fondateur avec Patrice Bouveret de l’Observatoire des armements/Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC), qui les avait analysés.

    Bruno Barillot soulignait que la carte de «Gerboise bleue» qui faisait partie de ces documents déclassifiés «contredit la carte des retombées radioactives publiée par le ministère de la Défense français en 2007 dans un document sur les essais français au Sahara, présenté comme un gage de transparence au moment où le gouvernement algérien organisait à Alger une conférence internationale sur les conséquences environnementales et sanitaires des essais nucléaires».

    «La délimitation des retombées de ‘‘Gerboise bleue’’ du document de 2007 avait été sérieusement modifiée par rapport à ce qui s’est réellement produit en 1960 et n’indiquait plus qu’un minuscule ‘‘secteur angulaire’’ ‘‘couvrant une zone non habitée à l’est du point zéro’’ de Hamoudia».

    Et d’indiquer que c’est cette carte de 2007 qui a servi à délimiter la zone géographique saharienne où devraient se trouver les personnels civils et militaires et les populations pour bénéficier de la loi d’indemnisation des victimes des essais nucléaires français du 5 janvier 2010, dite loi Morin, du nom du ministre de la Défense qui l’avait fait voter.

    A ce propos, il convient de signaler que seules 363 personnes ont bénéficié en dix ans d’existence de la loi Morin. Soit une seule indemnisation a été accordée à une personne habitant en Algérie, 63 à des personnes résidant en Polynésie et 299 à des membres du personnel civil ou militaire.


    «Relecture officielle»

    Tandis que le rapport de 1996 intitulé «La genèse de l’organisation et les expérimentations au Sahara (CSEM et CEMO)» ne faisait pas partie des documents déclassifiés de la série saharienne alors qu’il avait été largement diffusé et commenté dans la presse en 2010, sa divulgation, en 2009, par Damoclès (revue de l’Observatoire n° 128-129) a mis en évidence que les essais nucléaires français au Sahara n’ont pas été «propres».

    Ce rapport, classé «confidentiel-défense», est une synthèse rédigée à partir des documents militaires d’époque, classés «secret» ou «confidentiel-défense» «Même s’il apporte des informations jusque-là non connues, il s’agit bien d’une ‘‘relecture officielle’’ de la période des essais nucléaires français», note la revue Damoclès.

    «Les rédacteurs ont dû trier dans les documents sources, ce qui explique les incohérences et surtout les silences et les omissions». «C’est manifestement le cas pour les ‘‘ratés’’ des essais au Sahara, notamment ‘‘Gerboise verte’’ ou l’accident du tir Béryl». Ainsi, on apprend que sur les treize tirs effectués entre 1961 et 1966, douze ont fait l’objet de fuites radioactives. Seul le tir «Turquoise» du 28 novembre 1964 n’aura pas provoqué de radioactivité à l’extérieur.

    «Les conséquences de ces radiations ne se sont pas arrêtées avec la fin des essais et la fermeture administrative des sites, mais perdurent aujourd’hui encore, à la fois compte tenu de la très longue durée de vie de certains éléments radioactifs et du fait que la France a laissé de nombreux déchets nucléaires enfouis dans le désert».

    Premières études indépendantes à partir de 1990

    Il faudra attendre les années 1990 pour lire les premières études indépendantes relatant certains événements sombres de cette période. En effet, les premières recherches spécifiques sur les conséquences des essais nucléaires français ont débuté en 1990, avec les travaux de l’Observatoire des armements, sous la direction de feu Bruno Barrillot.

    «Face à l’absence de documents et au poids du secret-défense, l’objectif était alors d’apporter de l’information sur le programme des essais nucléaires et sur leurs conséquences, en recueillant le plus grand nombre de témoignages sur les différents acteurs, sur l’implantation des sites, sur les conditions de vie et sur les accidents qui se sont produits tant au Sahara qu’en Polynésie», soulignent Patrice Bouveret et Jean-Marie Collin auteurs de Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie. Analyse au regard du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires.**

    Les révélations sur des accidents lors de certains essais, sur la mise en danger des populations comme des soldats, en Algérie comme en Polynésie, permettront de parvenir à l’adoption de la loi du 5 janvier 2010 «relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français». Mais celle-ci ne prend pas en compte les conséquences environnementales.

    Les auteurs de l’étude sus-citée précisent que «si aujourd’hui, les connaissances sur les essais nucléaires, les accidents et leurs conséquences sont plus nombreuses, il manque toujours d’importantes informations concernant la présence de grandes quantités de déchets nucléaires et non nucléaires pour assurer la sécurité des populations et la réhabilitation de l’environnement».

    Dès le début des expérimentations nucléaires, la France a pratiqué une politique d’enfouissement de tous les déchets dans les sables, rappelle l’étude.

    Le désert est alors vu comme un «océan», ou du simple tournevis – comme le montre dans cette étude des notes «Secret-défense» et des photos – aux avions et chars, tout ce qui est susceptible d’avoir été contaminé par la radioactivité doit être enterré. «La France n’a jamais dévoilé où étaient enterrés ces déchets, ni leur quantité.

    A ces matériaux contaminés, laissés volontairement sur place aux générations futures, s’ajoutent deux autres catégories : des déchets non radioactifs… et des matières radioactives (sables vitrifiés, roche et lave contaminées) issues des explosions nucléaires».

    Pour Jean-Marie Collin, expert et porte-parole de ICAN France, «nous avons identifié des déchets non radioactifs, du matériel contaminé par la radioactivité volontairement enterrés et des matières radioactives issues des explosions nucléaires. Ces déchets sont de la responsabilité de la France et aujourd’hui du président Macron. Il n’est plus possible que ce gouvernement attende encore pour remettre aux autorités algériennes la liste complète des emplacements où ils ont été enfouis. Pourquoi continuer de faire peser sur ces populations des risques sanitaires, transgénérationnels et environnementaux ?»

    Soixante-et-un ans après le largage de la première bombe à Reggane, le gouvernement français devrait en effet enfin prendre en compte les demandes d’information et d’accès aux archives des essais nucléaires émanant des autorités et des associations de victimes algériennes. Parce qu’assurer la transparence sur les essais nucléaires en déclassifiant les dossiers et rapports significatifs – il en reste des milliers – contribuerait à faire avancer la vérité et rendre justice aux victimes directes et aux générations futures.

    Et aussi parce que la communication de la cartographie des sites d’enfouissement est primordiale pour les sécuriser et éventuellement regrouper les déchets selon des normes conformes à la réglementation internationale.

    Aussi, «l’absence d’informations techniques sur la nature des explosions nucléaires et le matériel pollué enfoui» est un «crime majeur commis par la France coloniale», selon les termes du général Bouzid Boufrioua, chef de service du génie de combat du Commandement des forces terrestres de l’ANP .

    * L’Observatoire des armements dont le siège est à Lyon est un centre d’expertise indépendant, membre de l’ICAN, campagne pour l’abolition des armes nucléaires, prix Nobel de la paix 2017. L’Observatoire a publié de nombreuses études sur les conséquences des essais nucléaires. Pour en savoir plus : www.obsarm.org

    ** Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie. Analyse au regard du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Etude de l’Observatoire des armements et de ICAN France, publiée par la Fondation Heinrich Böll, 2020.
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