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Quand la mendicité devient une profession

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  • Quand la mendicité devient une profession

    Le fait de tendre la main pour demander l’aumône ne fait plus rougir de nos jours comme au bon vieux temps où il était difficile, même pour les plus intrépides de quémander une croûte de pain sans se sentir diminués. Vieil homme, jeune fille ou mère de famille traînant derrière elle ses enfants, tout le monde se met au goût du jour et s’improvise mendiant.

    Devant la montée vertigineuse du taux du chômage que connaît le pays, il reste peu de chance aux jeunes et encore moins aux pères, remerciés pour la plupart, de dénicher un petit boulot en mesure de les arracher à l’endettement, au vol et à la mendicité. Les femmes et les jeunes filles sont les plus exposées au fléau du «quémandage». Elles n’hésitent pas à tendre la main, et pour une raison ou une autre, se voient contraintes d’aller vers d’autres créneaux aussi vils que dangereux, telle la prostitution et ses dérivés.

    Les enfants, cette catégorie fragile et innocente, n’échappe pas, elle aussi, aux rets de la mendicité. Accompagnés de personnes adultes ou seuls, certains n’arrêtent pas de sillonner la ville pour tendre la main aux passants. Dans le quartier de la gare routière où se concentrent les voyageurs, venus de différents horizons, une ribambelle d’enfants se rend chaque matin pour y mendier.

    Qui quémande et qui mérite la charité?

    Elles sont deux gamines, entre 12 et 14 ans, accompagnées parfois d’un petit garçon âgé d’à peine 6 ans, munies de sachets ou de sacs de semoule vides, les petites descendent, chaque matin, vers la gare routière où elles passent le plus clair de leur temps à tendre la main aux passagers et aux voyageurs. Une fois devant l’arrêt des bus, le petit groupe se disperse et chacun va quémander de son côté. Avant d’entamer une première virée au marché des fruits et légumes jouxtant la gare, les enfants se dirigent d’abord vers les véhicules en stationnement pour repérer les étrangers qui sont pour eux des «proies» faciles. Les trois mendiants ne font jamais du «sur-place» comme cela se fait dans les quartiers du centre-ville où on rencontre des femmes avec enfants, des vieux et des personnes infirmes assises à même le sol et criant à tue-tête à qui veut bien les entendre.

    Au niveau des escaliers menant de la gare routière au marché des fruits et légumes, une jeune fille en hidjab, âgée d’une vingtaine d’années, ne rate pas un jour sans venir supplier les gens de lui tendre une pièce. La jeune fille, originaire de Lakhdaria dit être d’une famille très pauvre et vivant en zone rurale. Elle fait quotidiennement plus d’une trentaine de kilomètres dans le but de gagner quelques dinars et rentrer le soir chez elle.

    Pour déroger à «la règle», et esquiver au diktat du besoin, des centaines d’enfants, quand ils ne sont pas à l’école, s’affairent à ramasser les déchets recyclables pour les céder à un prix très dérisoire ou vendre des sachets en plastique entre les étals du marché. D’autres, en revanche, et ils sont nombreux, préfèrent investir les immeubles et frapper aux portes pour récolter quelques dons. Mais dans ce genre de situations, doit-on ou pas parler de carence éducative lorsqu’on sait à quel point les chefs de famille se débattent pour nourrir et habiller décemment leur progéniture? Et tous ces exemples qu’on vient d’évoquer ne représentent qu’un infime échantillon d’une liste qui risque d’être très longue. C’est dans ce contexte donc, bourré de contraintes souvent dures à surmonter pour les démunis, et face à une absence de prise en charge de la part des pouvoirs publics, que certains dévient de la norme sociale pour sombrer dans des fléaux et dont la mendicité détient la tête du classement.

    D’un autre côté, il vrai aussi que la majeure partie des mendiants qui peuplent les rues et envahissent les trottoirs pour demander, voire «exiger» l’aumône aux passants, s’adonnent à cette pratique non pas par nécessité ou besoin absolu, mais par une sorte de délectation ou habitude lucrative. Autrefois, c’était aux seuils des boulangeries que les personnes démunies prenaient place dès les premières heures de la matinée. Leur seul souci était de ramener quelques baguettes de pain juste de quoi nourrir la famille. A l’époque, contrairement à ce qui se produit aujourd’hui, l’argent n’était pas un objectif ou une fin en soi. Ceux qui le demandaient, prenaient leur courage à deux mains et avaient de solides raisons pour le faire.

    De nos jours, en revanche, cette «déontologie» si on peut se permettre le vocable, est loin d’être respectée. Les gens de bonne foi et les âmes charitables ne savent plus à quel saint se vouer et vivent souvent des situations cornéliennes en présence de personnes douteuses demandant l’aumône à tout vent et sans le moindre scrupule. En somme, le fait de tendre la main aux gens et leur demander de l’aide a fini par s’ériger en un véritable métier dont l’exercice, n’exigeant aucune qualification ou qualité, est ouvert à tout le monde. En effet, ceux et celles qui demandent la charité sont partout et on les trouve même à l’entrée des édifices publics tels que les postes et les banques où les usagers viennent généralement retirer de l’argent. Chef-lieu de wilaya, grande ville s’entend, où sont concentrées directions et administrations, hauts lieux du business et des grands rendez-vous, Bouira attire, chaque matin, des milliers de personnes venues de toutes les régions environnantes. Il y a ceux qui viennent pour y travailler, y régler un besoin administratif ou s’y rendre chez un médecin spécialiste; il y a aussi ceux et celles qui nourrissent d’autres espoirs et visent d’autres objectifs en se déplaçant à Bouira pour une raison tout autre. Tous les jours, et même les week-ends, le flux des fourgons et des bus pleins de gens à craquer ne s’arrêtent pas de faire le va-et-vient entre les autres villages et localités et le chef-lieu de la wilaya. Les gens viennent de partout et les mendiants aussi.

    Ces derniers, en majorité, arrivent de bonne heure en ville et prennent ainsi le premier véhicule de transport public en partance de leur village. Une fois arrivés à destination, comme ils ont l’habitude de le faire, les demandeurs d’aumône prennent place au niveau des grandes artères et des rues fortement fréquentées pour vaquer à leur besogne.

    A présent, dans les rues de Bouira, on ne sait même plus qui quémande et qui reçoit la charité. A l’entrée des mosquées, au seuil des magasins et des marchés, le long des trottoirs où il devient difficile de se frayer un passage sans y être agressé par des complaintes et des sollicitudes, les mains, en quête d’une pièce de monnaie, sont partout et s’agrippent à tout ce qui bouge.

    La petite Lila

    Pour forcer la pitié et toucher la sensibilité des âmes, certains «professionnels» de la manche vont jusqu’à imaginer de pitoyables scénarios à jouer en public. D’autres n’hésitent pas à agripper chaque passant, pour lui coller au nez une carte de handicapé ou un certificat médical et font dans l’improvisation pour raconter à qui veut bien les écouter, leurs histoires.
    Le but étant de convaincre et de soutirer le maximum d’argent quand ils réussissent à faire avaler les couleuvres à leurs «proies». Habillées en haillons, les mendiantes utilisent, quant à elles, d’autres méthodes, plus poignantes. Qui un bébé, sale et tout morveux, dans son giron, qui entourées, d’une armada de chérubins en loques, elles n’hésitent devant rien pour exhiber leur misère et pour semer l’émoi dans les coeurs sensibles.

    Pour l’anecdote, tout le monde à Bouira connaît la petite Lila, une fille handicapée, habillée en loques crasseuses que la maman ramène en ville, chaque jour, à bord d’un transport collectif. La malheureuse est déposée tel un sac de pommes de terre sur un chemin très fréquenté (le pont Sayeh) où elle doit faire la manche jusqu’au crépuscule. La petite Lila a été repérée, ces dernier temps, à M’Chedellah soit à plus de soixante kilomètres de chez elle.
    Mais tout cela ne semble pas émouvoir, outre mesure, les pouvoirs publics qui restent inertes face à ces situations du moins scandaleuses et dégradantes aussi bien pour l’être humain que pour la société.

    Par L'Expression
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