DROITS DE L’HOMME ET INGÉRENCE
De l’humanitaire au monopole de la violence légitime
Les «gendarmes du monde» pourront, au nom du «droit international» adapté à leur nouvelle politique d’hégémonie, se lancer impunément dans de véritables expéditions de prédation des souverainetés nationales.
Il convient, tout d’abord, de signaler que l’Unesco a décidé, lors de la 33e session de sa conférence générale, qui s’est tenue le mois d’octobre dernier à Paris, de faire de l’année 2008, l’année de commémoration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, signée le 10 décembre 1948 par l’assemblée des Nations unies. Auparavant, de nombreux débats avaient eu lieu à l’Unesco, à la fois pour déterminer le plan d’action qu’il convenait de réserver à ce généreux projet que pour savoir si, compte tenu de l’état de dégradation permanente des droits de l’Homme dans le monde, il fallait parler de célébration ou, plus modestement, de commémoration.
On aura compris que c’est cette dernière proposition qui remporta les suffrages des délégués qui s’étaient, dans l’ensemble, résolus à faire preuve de retenue à l’endroit de cette question cruciale, évitant ainsi la tentation habituelle d’un discours apologétique sur une notion qui a, de nos jours, le plus grand mal à trouver un ancrage véritable dans un monde chaque jour plus violent et plus convulsif.
C’est dans ce locus particulier qu’il m’a été récemment (février 2008) donné de dire mon opinion sur certains aspects peu étudiés en matière de droits de l’Homme. Ces aspects dont on verra qu’ils ne travaillent pas toujours à glorifier cette nouvelle doxa des temps modernes, méritent tout de même que l’on s’y attarde un instant pour expliquer comment ils participent d’un processus savamment imaginé de dénaturation, sinon de disqualification de l’esprit, qui fut à l’origine de la promulgation du texte de l’ONU en 1948.
Aussi, est-ce en ma qualité de délégué permanent d’une organisation intergouvernementale (l’Isesco) (1) que j’ai été amené à prendre la parole à l’Unesco, pour dire à un auditoire nombreux comment j’avais depuis longtemps acquis la certitude que la nouvelle configuration du monde procède, tout compte fait, d’un nouvel hégémonisme occidental qui n’est pas sans rappeler celui auquel le politologue égyptien Anouar Abdelmalek avait, dès le années soixante-dix, donné le nom d’occidentalocentrisme.
On sait que beaucoup d’analystes admettent, aujourd’hui, qu’il existe une forte corrélation entre une mondialisation économique donnée pour inévitable et ce nouvel hégémonisme que l’Occident triomphant et orgueilleux tente d’imposer partout pour donner corps à son vaste projet du nouvel ordre mondial.
Impérialisme post-moderne
Prenant des apparences plus feutrées et moins tapageuses qu’au siècle dernier et s’abritant derrière les oripeaux d’un humanisme trompeur, la résurgence de cet «occidentalocentrisme» d’un nouveau genre, apparaît maintenant et pour une kyrielle d’observateurs de la scène internationale comme étant d’une dangerosité extrême pour l’avenir de la paix dans le monde. Pour la raison évidente que cet impérialisme postmoderne, comme on le dit aujourd’hui, ne rechigne même plus à «faire feu de tout bois», en bricolant et en instrumentalisant à profusion toutes les valeurs humaines et philosophiques que l’humanité a, pourtant, mis des siècles à produire. Ce que nous appelions, par exemple, les universaux culturels, soit toutes ces valeurs de l’esprit dont on aurait pu penser - sans doute naïvement - qu’elles seraient naturellement à l’abri de la contingence politique en tant que telles représentent une bonne partie du patrimoine commun de l’humanité, ces universaux - dis-je - n’échappent même plus à l’excès de cette manipulation qui conduit à leur dégradation réelle et symbolique: minoration de la valeur culturelle altière, réduction de l’Islam à un obscur catalogue sur la violence politique et le terrorisme et, depuis peu, perversion volontaire du corps doctrinal et de l’esprit des droits de l’homme.
Ce dernier volet, objet de cette courte réflexion, aura ainsi subi durant la dernière décennie l’instrumentalisation politique des va-t-en guerre de tout poil; et, à force d’un bricolage répété du corpus humanitaire, celui-ci a eu déjà pour effet d’avoir conduit les sociétés dites émergentes qui s’essayaient difficilement aux catégories de la démocratie et des droits de l’homme à s’interroger sur le sens réel à donner à l’éthique de la norme humanitaire et pour certaines mêmes à en douter. Pour bien comprendre cet aspect peu analysé de la question, suivons de près deux exemples de ce que je considère comme étant une forme de violence délibérément faite à l’esprit de la doctrine humanitaire:
1-La violence symbolique: elle pourrait trouver un début d’application dans la volonté de l’Europe et de l’Occident, en général, de réaliser pour eux-mêmes une sorte de «barricadement culturel et identitaire», et ce, par la multiplication de mesures de dissuasion des mouvements migratoires traditionnels. Or, cette volonté de repli des sociétés occidentales va permettre, en toute bonne conscience, d’expurger juridiquement du champ des valeurs endogènes l’altérité de l’Autre. La raison - évidemment non reconnue - est que la trop grande différence des caractères psychologiques et culturels de celui-ci est fondamentalement porteuse d’insécurité pour la société endogène.
Et c’est ainsi que vont, de proche en proche, se généraliser et se justifier dans toute l’Europe de ce début du XXIe siècle ces nouvelles politiques extrêmement répressives en matière d’émigration et ce, alors même que le droit à la mobilité de la personne humaine est, depuis 1948, consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Ceci expliquant sans doute cela, il faut donc bien comprendre aujourd’hui que dans l’esprit des accords de Schengen, par exemple, la recomposition des populations de l’Europe était déjà programmée à se réaliser dans une logique volontaire d’exclusion de l’altérité culturelle et religieuse, ce tour étant la notion primaire de l’endogroupe (ou de l’entre’soi) étant légitimée, en France comme ailleurs, par la prétendue incapacité culturelle et historique des populations émigrées à réaliser une saine intégration à la société d’accueil et aux lois de la République.
Si bien et alors même que le plan d’action de l’Unesco en matière de droits de l’homme pour 2008 prévoit, entre autres modalités de symbolisation de cet anniversaire historique, la «diffusion la plus large possible du message de la déclaration universelle» au moyen, notamment, d’un «passeport pour la dignité» distribué aux jeunes du monde entier, on peut déjà se demander ce qu’en penseraient, le moment venu, ces heureux récipendiaires et en particulier ces jeunes «harragas» comme on les appelle ici et qui, au péril de leur vie, tentent quotidiennement de rejoindre l’autre rive de la Méditerranée pour mettre un terme au désespoir qui les tenaille dans leur pays?
Bien qu’elle parte d’un principe positif, il m’a semblé que l’idée de ce «passeport de la dignité» pouvait être ressentie par ces jeunes déshérités du monde comme une forme de provocation, une violence symbolique homologuant le déni de leur misère sociale et existentielle. Car il faut tout de même, une sacré dose de cynisme, pour parler, comme le dit le vieil adage chinois, «de corde dans la maison d’un pendu»? Telle fut textuellement mon observation du haut de la tribune de l’Unesco.
De l’humanitaire au monopole de la violence légitime
Les «gendarmes du monde» pourront, au nom du «droit international» adapté à leur nouvelle politique d’hégémonie, se lancer impunément dans de véritables expéditions de prédation des souverainetés nationales.
Il convient, tout d’abord, de signaler que l’Unesco a décidé, lors de la 33e session de sa conférence générale, qui s’est tenue le mois d’octobre dernier à Paris, de faire de l’année 2008, l’année de commémoration du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, signée le 10 décembre 1948 par l’assemblée des Nations unies. Auparavant, de nombreux débats avaient eu lieu à l’Unesco, à la fois pour déterminer le plan d’action qu’il convenait de réserver à ce généreux projet que pour savoir si, compte tenu de l’état de dégradation permanente des droits de l’Homme dans le monde, il fallait parler de célébration ou, plus modestement, de commémoration.
On aura compris que c’est cette dernière proposition qui remporta les suffrages des délégués qui s’étaient, dans l’ensemble, résolus à faire preuve de retenue à l’endroit de cette question cruciale, évitant ainsi la tentation habituelle d’un discours apologétique sur une notion qui a, de nos jours, le plus grand mal à trouver un ancrage véritable dans un monde chaque jour plus violent et plus convulsif.
C’est dans ce locus particulier qu’il m’a été récemment (février 2008) donné de dire mon opinion sur certains aspects peu étudiés en matière de droits de l’Homme. Ces aspects dont on verra qu’ils ne travaillent pas toujours à glorifier cette nouvelle doxa des temps modernes, méritent tout de même que l’on s’y attarde un instant pour expliquer comment ils participent d’un processus savamment imaginé de dénaturation, sinon de disqualification de l’esprit, qui fut à l’origine de la promulgation du texte de l’ONU en 1948.
Aussi, est-ce en ma qualité de délégué permanent d’une organisation intergouvernementale (l’Isesco) (1) que j’ai été amené à prendre la parole à l’Unesco, pour dire à un auditoire nombreux comment j’avais depuis longtemps acquis la certitude que la nouvelle configuration du monde procède, tout compte fait, d’un nouvel hégémonisme occidental qui n’est pas sans rappeler celui auquel le politologue égyptien Anouar Abdelmalek avait, dès le années soixante-dix, donné le nom d’occidentalocentrisme.
On sait que beaucoup d’analystes admettent, aujourd’hui, qu’il existe une forte corrélation entre une mondialisation économique donnée pour inévitable et ce nouvel hégémonisme que l’Occident triomphant et orgueilleux tente d’imposer partout pour donner corps à son vaste projet du nouvel ordre mondial.
Impérialisme post-moderne
Prenant des apparences plus feutrées et moins tapageuses qu’au siècle dernier et s’abritant derrière les oripeaux d’un humanisme trompeur, la résurgence de cet «occidentalocentrisme» d’un nouveau genre, apparaît maintenant et pour une kyrielle d’observateurs de la scène internationale comme étant d’une dangerosité extrême pour l’avenir de la paix dans le monde. Pour la raison évidente que cet impérialisme postmoderne, comme on le dit aujourd’hui, ne rechigne même plus à «faire feu de tout bois», en bricolant et en instrumentalisant à profusion toutes les valeurs humaines et philosophiques que l’humanité a, pourtant, mis des siècles à produire. Ce que nous appelions, par exemple, les universaux culturels, soit toutes ces valeurs de l’esprit dont on aurait pu penser - sans doute naïvement - qu’elles seraient naturellement à l’abri de la contingence politique en tant que telles représentent une bonne partie du patrimoine commun de l’humanité, ces universaux - dis-je - n’échappent même plus à l’excès de cette manipulation qui conduit à leur dégradation réelle et symbolique: minoration de la valeur culturelle altière, réduction de l’Islam à un obscur catalogue sur la violence politique et le terrorisme et, depuis peu, perversion volontaire du corps doctrinal et de l’esprit des droits de l’homme.
Ce dernier volet, objet de cette courte réflexion, aura ainsi subi durant la dernière décennie l’instrumentalisation politique des va-t-en guerre de tout poil; et, à force d’un bricolage répété du corpus humanitaire, celui-ci a eu déjà pour effet d’avoir conduit les sociétés dites émergentes qui s’essayaient difficilement aux catégories de la démocratie et des droits de l’homme à s’interroger sur le sens réel à donner à l’éthique de la norme humanitaire et pour certaines mêmes à en douter. Pour bien comprendre cet aspect peu analysé de la question, suivons de près deux exemples de ce que je considère comme étant une forme de violence délibérément faite à l’esprit de la doctrine humanitaire:
1-La violence symbolique: elle pourrait trouver un début d’application dans la volonté de l’Europe et de l’Occident, en général, de réaliser pour eux-mêmes une sorte de «barricadement culturel et identitaire», et ce, par la multiplication de mesures de dissuasion des mouvements migratoires traditionnels. Or, cette volonté de repli des sociétés occidentales va permettre, en toute bonne conscience, d’expurger juridiquement du champ des valeurs endogènes l’altérité de l’Autre. La raison - évidemment non reconnue - est que la trop grande différence des caractères psychologiques et culturels de celui-ci est fondamentalement porteuse d’insécurité pour la société endogène.
Et c’est ainsi que vont, de proche en proche, se généraliser et se justifier dans toute l’Europe de ce début du XXIe siècle ces nouvelles politiques extrêmement répressives en matière d’émigration et ce, alors même que le droit à la mobilité de la personne humaine est, depuis 1948, consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Ceci expliquant sans doute cela, il faut donc bien comprendre aujourd’hui que dans l’esprit des accords de Schengen, par exemple, la recomposition des populations de l’Europe était déjà programmée à se réaliser dans une logique volontaire d’exclusion de l’altérité culturelle et religieuse, ce tour étant la notion primaire de l’endogroupe (ou de l’entre’soi) étant légitimée, en France comme ailleurs, par la prétendue incapacité culturelle et historique des populations émigrées à réaliser une saine intégration à la société d’accueil et aux lois de la République.
Si bien et alors même que le plan d’action de l’Unesco en matière de droits de l’homme pour 2008 prévoit, entre autres modalités de symbolisation de cet anniversaire historique, la «diffusion la plus large possible du message de la déclaration universelle» au moyen, notamment, d’un «passeport pour la dignité» distribué aux jeunes du monde entier, on peut déjà se demander ce qu’en penseraient, le moment venu, ces heureux récipendiaires et en particulier ces jeunes «harragas» comme on les appelle ici et qui, au péril de leur vie, tentent quotidiennement de rejoindre l’autre rive de la Méditerranée pour mettre un terme au désespoir qui les tenaille dans leur pays?
Bien qu’elle parte d’un principe positif, il m’a semblé que l’idée de ce «passeport de la dignité» pouvait être ressentie par ces jeunes déshérités du monde comme une forme de provocation, une violence symbolique homologuant le déni de leur misère sociale et existentielle. Car il faut tout de même, une sacré dose de cynisme, pour parler, comme le dit le vieil adage chinois, «de corde dans la maison d’un pendu»? Telle fut textuellement mon observation du haut de la tribune de l’Unesco.
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