Pourquoi, les chiites libannais, les sunnites libannais, les Maronites, les Juifs et les autres ont réussi à créer des lobbies, et par les les Algériens, un début d'explication.
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Première partie.
L'héritage aurait dû fructifier. Forte d'une communauté immigrée de deux millions d'âmes et de nombreux réseaux de solidarité nés du combat pour l'indépendance, l'Algérie avait de jolies cartes à jouer à Paris. Toute la perception française du monde arabe s'est reconstruite à partir du cataclysme algérien. La France de Sartre et de Jeanson, solidaire du FLN algérien, croyait à cette Algérie nouvelle. Parallèlement, la communauté algérienne en France continuait à revendiquer haut et fort son identité nationale. On ne pouvait atteindre l'immigré dans son jardin secret. Sa vraie vie était ailleurs, de l'autre côté de la Méditerranée. Cet attachement était un atout considérable pour Alger.
Or le nouvel Etat algérien n'est pas parvenu à mobiliser ces fidélités. Jamais les réseaux militants n'ont été transformés en véritable lobby. Jamais les forces vives de l'immigration n'ont servi de véritable courroie de transmission entre Paris et Alger. Encadrés, infantilisés lorsqu'ils n'étaient pas rejetés, les immigrés algériens et leurs enfants ne jouent pratiquement aucun rôle politique dans les relations entre les deux pays.
Au moment de l'indépendance, en 1962, l'Algérie possédait à Paris un bel outil de mobilisation avec la Fédération de France du FLN. Mais, hélas, les cadres de la "septième wilaya" sont suspect d'indépendance au yeux du premier président algérien, Ahmed Ben Bella. La Fédération est dissoute.
Reconstruite sur ses décombres, l'Amicale des Algériens n'a pas permis l'émergence d'une conscience collective des Algériens de Paris, solidaires de leur pays d'origine. Construite à l'image de l'Etat algérien qu'elle représente, cette machine bureaucratique et policière est seulement parvenue à détruire le capital de confiance que le FLN victorieux avait acquis en France avant 1962.
Rue Boileau, au coeur du XVIe arrondissement, le siège de l'Amicale paraît aujourd'hui désert. L'influence de l'association est désormais pratiquement nulle : 28 000 adhérents en 1991, 18 000 adhérents en 1992, puis une scission en 1993 qui accélère l'érosion des effectifs. Deux amicales se disputent le maigre héritage, des luttes qui ne sont que les répliques des batailles que se livrent les clans du régime, en pleine crise, à Alger. Le représentant officiel nommé par le FLN, Aït Ouazzou, est contesté par l'ancien responsable de l'Amicale à Paris, Seghir, qui tente de redynamiser l'ancien réseau de la Fédération de France, passablement usé. Propriétaire d'une boucherie en région parisienne, ce contestataire est soutenu à Alger par Ali Haroun, un ancien dirigeant de la Fédération de France, avocat d'affaire, défendant les intérêts de nombreux pieds-noirs expatriés en 1962, et qui est devenu l'un des cinq membres du Haut Comité d'Etat qui succéda en janvier 1991 au président Chadli. Alors que Ait Ouazzou, en revanche, est soutenu par le courant réformateur du FLN, dirigé par l'ex-chef du gouvernement Mouloud Hamrouche. Autant de querelles accumulées, depuis la guerre d'Algérie à nos jours, qui accélèrent la décomposition du cadavre.
Les années qui suivirent la proclamation de l'indépendance algérienne furent celles d'un lent maillage du territoire français. Sous Boumediene, l'Etat algérien a une vision claire du rôle qu'il veut jouer à Paris. L'Europe est scindée en neuf régions, elles-mêmes divisées en sections. L'Amicale emploie jusqu'à cinq cents personnes dirigées sans état d'âme par son premier président, Mahmoud Guennez, excellent instructeur et bon organisateur pendant la guerre d'indépendance. En 1959, ce colonel fut envoyé en France pour aider les activistes du FLN. Six ans plus tard, ce "terroriste" préside la première assemblée de l'Amicale des Algériens en Europe au théatre de Bobino.
Sous son impulsion, l'Amicale acquiert en France un vaste patrimoine immobilier qui s'étend rapidement à une centaine d'appartements : les immeubles sont mis au nom des responsables, ou quelquefois attribués à l'ambassade. Peu à peu, l'Amicale pratique un encadrement serré de la communauté. Ses permanents surveillent les oppositions au régime algérien, comme le raconte le deuxième président de l'Amicale, Abdelkrim Gheraieb, l'homme fort du pouvoir algérien à Paris dans les années 70 : "Une fois par mois, Boumediene me convoquait, très inquiet des agissements des opposants en France. Ils étaient en effet fort nombreux : le Parti de la révolution socialiste (PRS) de Boudiaf, l'Organisation révolutionnaire populaire (ORP) avec l'historien Mohamed Harbi, le Mouvement démocratique de la révolution algérienne (MDRA) de Krim Belkacem, l'Académie berbère..."
Obsédée par cette surveillance politique, l'Amicale s'éloigne de la communauté algérienne. Chère à Boumediene, l'idée de retour est le seul horizon proposé à l'immigration. Le quotidien du FLN, El Moudjahid, démontre en 1976 que l'économie algérienne peut réinsérer la totalité de son émigration. La même année, Rhedha Malek, "l'intellectuel du parti" et le rédacteur de toutes les "chartes nationales" du FLN, qui deviendra plus tard Premier ministre, n'hésite pas quant à lui à établir un lien direct entre le développement économique et l'émigration : "Une nouvelle étape dans le progrès du pays (...) constitue le prélude à un retour définitif des émigrés à la terre natale." Ce qui, à l'époque, n'est pas complètement absurde dans un pays qui fait appel à une main-d'oeuvre étrangère pour construire les bases d'une industrie. L'encouragement à rentrer au pays tient lieu de politique : réduction sur les prix des transports aériens vers l'Algérie, prise en charge des séjours de vacances pour les enfants, organisation de cours d'arabe, création d'un fonds mutualiste pour le rapatriement des corps, dont l'Amicale eut longtemps le monopole avant d'être concurrencée par des groupes intégristes. A chaque assemblée générale, les responsables algériens le répètent : "Il faut poursuivre les actions destinées à permettre aux émigrés de sauvegarder et de renforcer leur personnalité nationale et culturelle ainsi que celle de leurs enfants."
Alger soutient tous les artistes qui chantent "la très dure vie des exilés" et le retour au pays comme "la fin d'un calvaire". Tous ceux qui s'expriment en "langue étrangère", à savoir la langue française, sont bannis. Lorsque la chanteuse Nora ose, à l'occasion d'un gala à l'Olympia destiné aux travailleurs émigrés, une chansonnette en français, "Paris dans mon sac", son initiative est ressentie comme une provocation. Cette chanson restera pourtant un tube culte pour les épouses des émigrés restées au pays. Si aujourdh'ui Nora ne chante plus et coule des jours heureux à Barbès avec son mari, Kamel Hamadi, le célèbre compositeur kabyle, recyclé depuis dans la musique raï, sa chanson demeure interdite sur les radios algériennes, malgré les nombreuses demandes des auditeurs. Rien n'échappe à la vigilance des bureaucrates, zélés jusque dans la recherche du détail futile. Au détriment de l'essentiel !
A suivre...
Nicolas Beau
source "Paris, Capitale, Arabe"
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Première partie.
L'héritage aurait dû fructifier. Forte d'une communauté immigrée de deux millions d'âmes et de nombreux réseaux de solidarité nés du combat pour l'indépendance, l'Algérie avait de jolies cartes à jouer à Paris. Toute la perception française du monde arabe s'est reconstruite à partir du cataclysme algérien. La France de Sartre et de Jeanson, solidaire du FLN algérien, croyait à cette Algérie nouvelle. Parallèlement, la communauté algérienne en France continuait à revendiquer haut et fort son identité nationale. On ne pouvait atteindre l'immigré dans son jardin secret. Sa vraie vie était ailleurs, de l'autre côté de la Méditerranée. Cet attachement était un atout considérable pour Alger.
Or le nouvel Etat algérien n'est pas parvenu à mobiliser ces fidélités. Jamais les réseaux militants n'ont été transformés en véritable lobby. Jamais les forces vives de l'immigration n'ont servi de véritable courroie de transmission entre Paris et Alger. Encadrés, infantilisés lorsqu'ils n'étaient pas rejetés, les immigrés algériens et leurs enfants ne jouent pratiquement aucun rôle politique dans les relations entre les deux pays.
Au moment de l'indépendance, en 1962, l'Algérie possédait à Paris un bel outil de mobilisation avec la Fédération de France du FLN. Mais, hélas, les cadres de la "septième wilaya" sont suspect d'indépendance au yeux du premier président algérien, Ahmed Ben Bella. La Fédération est dissoute.
Reconstruite sur ses décombres, l'Amicale des Algériens n'a pas permis l'émergence d'une conscience collective des Algériens de Paris, solidaires de leur pays d'origine. Construite à l'image de l'Etat algérien qu'elle représente, cette machine bureaucratique et policière est seulement parvenue à détruire le capital de confiance que le FLN victorieux avait acquis en France avant 1962.
Rue Boileau, au coeur du XVIe arrondissement, le siège de l'Amicale paraît aujourd'hui désert. L'influence de l'association est désormais pratiquement nulle : 28 000 adhérents en 1991, 18 000 adhérents en 1992, puis une scission en 1993 qui accélère l'érosion des effectifs. Deux amicales se disputent le maigre héritage, des luttes qui ne sont que les répliques des batailles que se livrent les clans du régime, en pleine crise, à Alger. Le représentant officiel nommé par le FLN, Aït Ouazzou, est contesté par l'ancien responsable de l'Amicale à Paris, Seghir, qui tente de redynamiser l'ancien réseau de la Fédération de France, passablement usé. Propriétaire d'une boucherie en région parisienne, ce contestataire est soutenu à Alger par Ali Haroun, un ancien dirigeant de la Fédération de France, avocat d'affaire, défendant les intérêts de nombreux pieds-noirs expatriés en 1962, et qui est devenu l'un des cinq membres du Haut Comité d'Etat qui succéda en janvier 1991 au président Chadli. Alors que Ait Ouazzou, en revanche, est soutenu par le courant réformateur du FLN, dirigé par l'ex-chef du gouvernement Mouloud Hamrouche. Autant de querelles accumulées, depuis la guerre d'Algérie à nos jours, qui accélèrent la décomposition du cadavre.
Les années qui suivirent la proclamation de l'indépendance algérienne furent celles d'un lent maillage du territoire français. Sous Boumediene, l'Etat algérien a une vision claire du rôle qu'il veut jouer à Paris. L'Europe est scindée en neuf régions, elles-mêmes divisées en sections. L'Amicale emploie jusqu'à cinq cents personnes dirigées sans état d'âme par son premier président, Mahmoud Guennez, excellent instructeur et bon organisateur pendant la guerre d'indépendance. En 1959, ce colonel fut envoyé en France pour aider les activistes du FLN. Six ans plus tard, ce "terroriste" préside la première assemblée de l'Amicale des Algériens en Europe au théatre de Bobino.
Sous son impulsion, l'Amicale acquiert en France un vaste patrimoine immobilier qui s'étend rapidement à une centaine d'appartements : les immeubles sont mis au nom des responsables, ou quelquefois attribués à l'ambassade. Peu à peu, l'Amicale pratique un encadrement serré de la communauté. Ses permanents surveillent les oppositions au régime algérien, comme le raconte le deuxième président de l'Amicale, Abdelkrim Gheraieb, l'homme fort du pouvoir algérien à Paris dans les années 70 : "Une fois par mois, Boumediene me convoquait, très inquiet des agissements des opposants en France. Ils étaient en effet fort nombreux : le Parti de la révolution socialiste (PRS) de Boudiaf, l'Organisation révolutionnaire populaire (ORP) avec l'historien Mohamed Harbi, le Mouvement démocratique de la révolution algérienne (MDRA) de Krim Belkacem, l'Académie berbère..."
Obsédée par cette surveillance politique, l'Amicale s'éloigne de la communauté algérienne. Chère à Boumediene, l'idée de retour est le seul horizon proposé à l'immigration. Le quotidien du FLN, El Moudjahid, démontre en 1976 que l'économie algérienne peut réinsérer la totalité de son émigration. La même année, Rhedha Malek, "l'intellectuel du parti" et le rédacteur de toutes les "chartes nationales" du FLN, qui deviendra plus tard Premier ministre, n'hésite pas quant à lui à établir un lien direct entre le développement économique et l'émigration : "Une nouvelle étape dans le progrès du pays (...) constitue le prélude à un retour définitif des émigrés à la terre natale." Ce qui, à l'époque, n'est pas complètement absurde dans un pays qui fait appel à une main-d'oeuvre étrangère pour construire les bases d'une industrie. L'encouragement à rentrer au pays tient lieu de politique : réduction sur les prix des transports aériens vers l'Algérie, prise en charge des séjours de vacances pour les enfants, organisation de cours d'arabe, création d'un fonds mutualiste pour le rapatriement des corps, dont l'Amicale eut longtemps le monopole avant d'être concurrencée par des groupes intégristes. A chaque assemblée générale, les responsables algériens le répètent : "Il faut poursuivre les actions destinées à permettre aux émigrés de sauvegarder et de renforcer leur personnalité nationale et culturelle ainsi que celle de leurs enfants."
Alger soutient tous les artistes qui chantent "la très dure vie des exilés" et le retour au pays comme "la fin d'un calvaire". Tous ceux qui s'expriment en "langue étrangère", à savoir la langue française, sont bannis. Lorsque la chanteuse Nora ose, à l'occasion d'un gala à l'Olympia destiné aux travailleurs émigrés, une chansonnette en français, "Paris dans mon sac", son initiative est ressentie comme une provocation. Cette chanson restera pourtant un tube culte pour les épouses des émigrés restées au pays. Si aujourdh'ui Nora ne chante plus et coule des jours heureux à Barbès avec son mari, Kamel Hamadi, le célèbre compositeur kabyle, recyclé depuis dans la musique raï, sa chanson demeure interdite sur les radios algériennes, malgré les nombreuses demandes des auditeurs. Rien n'échappe à la vigilance des bureaucrates, zélés jusque dans la recherche du détail futile. Au détriment de l'essentiel !
A suivre...
Nicolas Beau
source "Paris, Capitale, Arabe"