Le ministre de l'Agriculture annonce que l'Etat infligera "des amendes et des pénalités" aux propriétaires et bénéficiaires du domaine foncier agricole qui n'exploitent pas la terre. Malgré la disponibilité de la terre et de l'argent, l'agriculture refuse de décoller. Depuis 1962, on aura tout essayé : d'abord, le modèle autogéré yougoslave, le sovkhoze et le kolkhoze soviétiques. Sans autonomie de gestion et assurés du financement de leurs déficits, ces "domaines" servaient de villages aux derniers paysans sans terre.
Dans leur situation d'agriculteurs sous-payés, ils songeaient à quitter la ferme pour une place de planton dans une prospère société nationale. Et leurs enfants, quand ils ne réussissaient pas leurs études, rêvaient de devenir agents de l'administration. Dans cette situation provisoire, qui penserait à entreprendre des travaux de mise en valeur, à planter et à soigner un verger ? L'Etat avait donné l'exemple avec l'arrachage des vignes. L'éloge des "industries industrialisantes" achevait de signifier le mépris national pour l'agriculture. Ce fut l'exode vers les couronnes urbaines et les pompeux "pôles" industriels. Au passage, on massacra les plaines de la Mitidja, d'Arzew. On bétonna. On inventa les cités bidonvilles.
Comme l'industrialisation n'allait pas sans la socialisation, il fallait nationaliser les exploitations. Certains des propriétaires remettaient leurs terres au fonds de la Révolution agraire avec un zèle paradoxal : ils devaient trouver plus d'intérêt à soutenir le socialisme qu'à travailler la terre. Le résultat fut de créer une nouvelle catégorie de "coopérateurs salariés" qui trouva plus avantage à transporter du sable dans une remorque et à tracter des citernes d'eau qu'à labourer un sol où ils sont de passage. On essaya encore autre chose : les EAC (exploitations agricoles collectives) et les EAI (exploitations agricoles individuelles). Elles ont servi, le plus souvent, à quelques-uns des citadins bureaucrates, devenus majoritaires dans le pays et possédant l'entrisme nécessaire à ce genre d'opportunités, à vérifier qu'on ne s'improvise pas agriculteur. Ils auront eu le temps de revendre des serres et des matériels financés à crédit avant d'avouer l'impossibilité de leur reconversion professionnelle.
Le paysan a disparu. Pour la bureaucratie toute-puissante comme pour le nouveau bénéficiaire, la terre n'est plus qu'un fonds, pas un capital, quelque chose dont la valeur est dans sa propriété, non dans son exploitation. Seuls les paysans des profondeurs rurales s'acharnent encore à tirer leur subsistance d'un sol émietté et souvent ingrat. Par les expériences appliquées à la gestion de la terre et par les statuts successifs qu'on lui a décernés, on l'a éloigné de son objet. Le spéculateur a progressivement remplacé l'agriculteur, qui, peu à peu, a disparu, éradiqué par les politiques agraires.
Avant d'espérer relancer l'agriculture, il faudrait peut-être réinventer l'agriculteur, le fellah.
Mustapha Hammouche
Liberté
courrierinternational.com
Dans leur situation d'agriculteurs sous-payés, ils songeaient à quitter la ferme pour une place de planton dans une prospère société nationale. Et leurs enfants, quand ils ne réussissaient pas leurs études, rêvaient de devenir agents de l'administration. Dans cette situation provisoire, qui penserait à entreprendre des travaux de mise en valeur, à planter et à soigner un verger ? L'Etat avait donné l'exemple avec l'arrachage des vignes. L'éloge des "industries industrialisantes" achevait de signifier le mépris national pour l'agriculture. Ce fut l'exode vers les couronnes urbaines et les pompeux "pôles" industriels. Au passage, on massacra les plaines de la Mitidja, d'Arzew. On bétonna. On inventa les cités bidonvilles.
Comme l'industrialisation n'allait pas sans la socialisation, il fallait nationaliser les exploitations. Certains des propriétaires remettaient leurs terres au fonds de la Révolution agraire avec un zèle paradoxal : ils devaient trouver plus d'intérêt à soutenir le socialisme qu'à travailler la terre. Le résultat fut de créer une nouvelle catégorie de "coopérateurs salariés" qui trouva plus avantage à transporter du sable dans une remorque et à tracter des citernes d'eau qu'à labourer un sol où ils sont de passage. On essaya encore autre chose : les EAC (exploitations agricoles collectives) et les EAI (exploitations agricoles individuelles). Elles ont servi, le plus souvent, à quelques-uns des citadins bureaucrates, devenus majoritaires dans le pays et possédant l'entrisme nécessaire à ce genre d'opportunités, à vérifier qu'on ne s'improvise pas agriculteur. Ils auront eu le temps de revendre des serres et des matériels financés à crédit avant d'avouer l'impossibilité de leur reconversion professionnelle.
Le paysan a disparu. Pour la bureaucratie toute-puissante comme pour le nouveau bénéficiaire, la terre n'est plus qu'un fonds, pas un capital, quelque chose dont la valeur est dans sa propriété, non dans son exploitation. Seuls les paysans des profondeurs rurales s'acharnent encore à tirer leur subsistance d'un sol émietté et souvent ingrat. Par les expériences appliquées à la gestion de la terre et par les statuts successifs qu'on lui a décernés, on l'a éloigné de son objet. Le spéculateur a progressivement remplacé l'agriculteur, qui, peu à peu, a disparu, éradiqué par les politiques agraires.
Avant d'espérer relancer l'agriculture, il faudrait peut-être réinventer l'agriculteur, le fellah.
Mustapha Hammouche
Liberté
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