Maroc : la nouvelle route de la cocaïne
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 20 mars 2019 à 12h33 | Par Fahd Iraqi - à Rabat
Mis à jour le 12 novembre 2019 à 16h35
Depuis plusieurs années, le royaume est la cible des cartels sud-américains qui veulent en faire un hub de transit de « la blanche » vers le marché européen. Une offensive que les services antidrogues s’emploient à contrecarrer.
Le sobriquet est définitivement exagéré… Pablo ne vit pas à Medellin, mais à Harhoura, dans la banlieue de Rabat. Il n’est pas à la tête d’un cartel, c’est juste un petit dealer à la sauvette. En journée, ce trentenaire, père de famille, est un visiteur médical sans histoires.
À la tombée de la nuit, il écume pubs et cabarets de l’axe Skhirat-Témara pour écouler en douce ses petits sachets de coke, calibrés à un gramme. « Je suis ce qu’on appelle un coursier particulier, nous confie-t-il. Mon fournisseur me réserve une dizaine de grammes par soir, jusqu’à 30 g les week-ends, que je revends avec une petite marge à des amis. »
363 personnes interpellées en 2018
Depuis plusieurs années, « la blanche » s’est invitée dans les soirées de la jeunesse marocaine, y compris celles des classes moyennes. Le gramme de coke s’achète 600 dirhams en moyenne. Et ces trois dernières années, les saisies et les arrestations pour consommation ont presque doublé : 363 personnes interpellées en 2018, une saisie totale de 180 g. Les rails qui tournent dans les assiettes ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
De plus grandes quantités transitent par le royaume pour être acheminées vers leur destination finale, à savoir le marché européen. L’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) établit ce constat, dans son rapport annuel 2018 : « Alors que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale étaient auparavant les principales zones de transit pour le trafic de cocaïne, la sous-région de l’Afrique du Nord a représenté 69 % de l’ensemble de la cocaïne saisie dans le continent […]. C’est le Maroc qui a déclaré les plus grosses saisies de la région. » Les coups de filet sont dignes de séries comme Narcos. Le dernier en date n’a pas encore livré tous ses secrets…

Réseaux transnationaux
Le 8 décembre 2018, un camion transportant des choux-fleurs est intercepté à un barrage routier près d’El Jadida. Les éléments du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) sont là pour le « cueillir ». Le renseignement fourni par la Direction générale de la sécurité du territoire (dont le BCIJ est l’aile judiciaire) se révèle exact. Les fouilles permettent de retrouver trente paquets de cocaïne brute, soigneusement dissimulés dans les caisses de légumes.
L’enquête préliminaire révèle que la cargaison avait été larguée au large d’El Jadida par un navire sud-américain pour être récupérée par un bateau de pêche qui a par la suite passé le relais à deux canots pneumatiques pour débarquer celle-ci sur une petite plage discrète, au sud d’El Jadida. Les sept arrestations effectuées à l’annonce de l’opération ne sont qu’un début. Dix-sept personnes, interpellées au fil des investigations, ont révélé les ramifications de réseaux criminels transnationaux de trafic de cocaïne entre le Maroc, l’Amérique latine et l’Europe.
« Ce mode de transbordement maritime est l’un des moyens préférés des trafiquants pour acheminer leurs stupéfiants, nous explique Abderrahim Habib, chef du service central de lutte contre le trafic de drogue à la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Le Maroc, avec son positionnement stratégique et une façade atlantique assez vaste, est naturellement très exposé. »
>>> À LIRE – Antiterrorisme : le modèle marocain
C’est d’ailleurs par le même procédé que la première grosse cargaison de cocaïne avait échoué au Maroc… En juin 1997, les plages entre Casablanca et Safi avaient subi une « marée blanche », après qu’un navire battant pavillon du Belize s’est débarrassé d’une cargaison de six tonnes de cocaïne. Et toujours cette même voie maritime, empruntée pour les 2,5 t de cocaïne quasi pure saisie dans une ferme près de Skhirat en 2017.
Soigneusement emballés, les ballots retrouvés sont tous frappés d’un logo qui porte la marque des grands cartels sud-américains. Les enquêteurs découvrent que cette importante quantité était stockée au Maroc depuis au moins 2014. La même année, 226 kg sont saisis à Marrakech. Depuis 2014, la DGSN a mis la main sur plus de 6,8 t en tout.

Contrer les plans des puissants cartels n’est pas une mince affaire et nécessite une coopération internationale permanente. « Le trafic de drogue est une menace commune qui nécessite une réponse commune. Outre les enquêtes conjointes, il y a en continu des échanges d’informations pour démanteler des réseaux structurés avec des ramifications internationales », souligne Abderrahim Habib, lui-même en charge de la coordination avec les différents services étrangers.
Ainsi, c’est l’information fournie par le Centre maritime d’opération antidrogue (MAOC) basé à Lisbonne qui a permis d’intercepter en février un bateau panaméen transbordant 9,5 t de cocaïne. Cette cargaison devait initialement transiter par le port de Tanger mais a finalement été saisie au Cap-Vert, où le bateau a été contraint de faire une escale technique après le décès d’un membre d’équipage.
Labo clandestin
Autre dossier dans lequel la coopération avec les services européens bat son plein : la Mocro Maffia. Cette organisation criminelle, dite aussi « Amsterdamse onderwereld », est réputée être active entre le Maroc, le sud de l’Espagne et les Pays-Bas, avec des prolongements dans toute l’Europe, et de solides contacts avec les cartels sud-américains.
Au Maroc, cette Mocro Maffia fait valoir son expertise dans le trafic de cannabis – dont elle maîtrise les rouages – qu’elle met au service du trafic de cocaïne dans toutes ses étapes : de la réception au transit, en passant par le stockage et l’écoulement. Mais ces nouvelles routes ne sont qu’une des facettes de l’organisation mise en place par des narcotrafiquants sans scrupules et aux moyens illimités.
En 2016, le Maroc a failli devenir un pays de transformation de la cocaïne. Dans une ferme située sur la bande frontalière orientale du royaume, pas loin d’Oujda, un laboratoire clandestin de traitement de la pâte de cocaïne avait été démantelé. Deux Péruviens chapeautaient une poignée de Marocains. La bande avait déjà réussi à produire une quantité de 50 kg écoulée sur le marché local et s’apprêtait à exporter 250 kg en Europe. « La pureté de la cocaïne saisie dépassait souvent les 90 %. Ce qui veut dire qu’une fois coupée avec du talc ou des amphétamines, vous pouvez quintupler la quantité », explique Abderrahim Habib.

Voie aérienne
En décembre dernier, les services sécuritaires ont mis en échec l’installation d’une base aérienne, près de Boujdour, destinée au stockage et au convoyage de la cocaïne vers l’Europe. Outre ces pistes d’atterrissages clandestins, que les cartels essaient de multiplier, l’aviation civile reste un des moyens de transport de prédilection des trafiquants. Pas une semaine ne s’écoule sans qu’une arrestation ne soit effectuée à l’aéroport Mohammed-V de Casablanca.
En janvier, près de 10 kg ont été saisis au niveau des aéroports du royaume, dont un quart au moins destiné au marché marocain. Un vol en particulier est sous haute surveillance : le São Paulo-Casablanca, qui atterrit quatre fois par semaine. Les passagers subissent un premier contrôle à leur descente d’avion. Les bagages sont systématiquement et minutieusement fouillés. Et les prises, souvent au rendez-vous.
« Il arrive que plusieurs passagers, sur le même vol, transportent de la cocaïne », nous confie l’homme chargé de la lutte contre le trafic de stupéfiants à la DGSN. Un profil type se détache pour ces mules humaines qui voyagent avec de la drogue dans la panse ou dans les bagages : ce sont souvent des Subsahariens ou des Sud-Américains en transit au Maroc. « Une fois, nous avons interpellé une personne avec 2,6 kg de cocaïne dans l’estomac, nous confie notre source. Elle est restée vingt-cinq jours sous observation médicale pour rejeter toute cette quantité. »
RÉSERVÉ AUX ABONNÉS | 20 mars 2019 à 12h33 | Par Fahd Iraqi - à Rabat
Mis à jour le 12 novembre 2019 à 16h35

Depuis plusieurs années, le royaume est la cible des cartels sud-américains qui veulent en faire un hub de transit de « la blanche » vers le marché européen. Une offensive que les services antidrogues s’emploient à contrecarrer.
Le sobriquet est définitivement exagéré… Pablo ne vit pas à Medellin, mais à Harhoura, dans la banlieue de Rabat. Il n’est pas à la tête d’un cartel, c’est juste un petit dealer à la sauvette. En journée, ce trentenaire, père de famille, est un visiteur médical sans histoires.
À la tombée de la nuit, il écume pubs et cabarets de l’axe Skhirat-Témara pour écouler en douce ses petits sachets de coke, calibrés à un gramme. « Je suis ce qu’on appelle un coursier particulier, nous confie-t-il. Mon fournisseur me réserve une dizaine de grammes par soir, jusqu’à 30 g les week-ends, que je revends avec une petite marge à des amis. »
363 personnes interpellées en 2018
Depuis plusieurs années, « la blanche » s’est invitée dans les soirées de la jeunesse marocaine, y compris celles des classes moyennes. Le gramme de coke s’achète 600 dirhams en moyenne. Et ces trois dernières années, les saisies et les arrestations pour consommation ont presque doublé : 363 personnes interpellées en 2018, une saisie totale de 180 g. Les rails qui tournent dans les assiettes ne sont que la partie émergée de l’iceberg.
De plus grandes quantités transitent par le royaume pour être acheminées vers leur destination finale, à savoir le marché européen. L’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) établit ce constat, dans son rapport annuel 2018 : « Alors que l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale étaient auparavant les principales zones de transit pour le trafic de cocaïne, la sous-région de l’Afrique du Nord a représenté 69 % de l’ensemble de la cocaïne saisie dans le continent […]. C’est le Maroc qui a déclaré les plus grosses saisies de la région. » Les coups de filet sont dignes de séries comme Narcos. Le dernier en date n’a pas encore livré tous ses secrets…

Réseaux transnationaux
Le 8 décembre 2018, un camion transportant des choux-fleurs est intercepté à un barrage routier près d’El Jadida. Les éléments du Bureau central des investigations judiciaires (BCIJ) sont là pour le « cueillir ». Le renseignement fourni par la Direction générale de la sécurité du territoire (dont le BCIJ est l’aile judiciaire) se révèle exact. Les fouilles permettent de retrouver trente paquets de cocaïne brute, soigneusement dissimulés dans les caisses de légumes.
L’enquête préliminaire révèle que la cargaison avait été larguée au large d’El Jadida par un navire sud-américain pour être récupérée par un bateau de pêche qui a par la suite passé le relais à deux canots pneumatiques pour débarquer celle-ci sur une petite plage discrète, au sud d’El Jadida. Les sept arrestations effectuées à l’annonce de l’opération ne sont qu’un début. Dix-sept personnes, interpellées au fil des investigations, ont révélé les ramifications de réseaux criminels transnationaux de trafic de cocaïne entre le Maroc, l’Amérique latine et l’Europe.
« Ce mode de transbordement maritime est l’un des moyens préférés des trafiquants pour acheminer leurs stupéfiants, nous explique Abderrahim Habib, chef du service central de lutte contre le trafic de drogue à la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN). Le Maroc, avec son positionnement stratégique et une façade atlantique assez vaste, est naturellement très exposé. »
>>> À LIRE – Antiterrorisme : le modèle marocain
C’est d’ailleurs par le même procédé que la première grosse cargaison de cocaïne avait échoué au Maroc… En juin 1997, les plages entre Casablanca et Safi avaient subi une « marée blanche », après qu’un navire battant pavillon du Belize s’est débarrassé d’une cargaison de six tonnes de cocaïne. Et toujours cette même voie maritime, empruntée pour les 2,5 t de cocaïne quasi pure saisie dans une ferme près de Skhirat en 2017.
Soigneusement emballés, les ballots retrouvés sont tous frappés d’un logo qui porte la marque des grands cartels sud-américains. Les enquêteurs découvrent que cette importante quantité était stockée au Maroc depuis au moins 2014. La même année, 226 kg sont saisis à Marrakech. Depuis 2014, la DGSN a mis la main sur plus de 6,8 t en tout.

LE TRAFIC DE DROGUE EST UNE MENACE COMMUNE QUI NÉCESSITE UNE RÉPONSE COMMUNE, SOULIGNE ABDERRAHIM HABIB
Contrer les plans des puissants cartels n’est pas une mince affaire et nécessite une coopération internationale permanente. « Le trafic de drogue est une menace commune qui nécessite une réponse commune. Outre les enquêtes conjointes, il y a en continu des échanges d’informations pour démanteler des réseaux structurés avec des ramifications internationales », souligne Abderrahim Habib, lui-même en charge de la coordination avec les différents services étrangers.
Ainsi, c’est l’information fournie par le Centre maritime d’opération antidrogue (MAOC) basé à Lisbonne qui a permis d’intercepter en février un bateau panaméen transbordant 9,5 t de cocaïne. Cette cargaison devait initialement transiter par le port de Tanger mais a finalement été saisie au Cap-Vert, où le bateau a été contraint de faire une escale technique après le décès d’un membre d’équipage.
Labo clandestin
Autre dossier dans lequel la coopération avec les services européens bat son plein : la Mocro Maffia. Cette organisation criminelle, dite aussi « Amsterdamse onderwereld », est réputée être active entre le Maroc, le sud de l’Espagne et les Pays-Bas, avec des prolongements dans toute l’Europe, et de solides contacts avec les cartels sud-américains.
Au Maroc, cette Mocro Maffia fait valoir son expertise dans le trafic de cannabis – dont elle maîtrise les rouages – qu’elle met au service du trafic de cocaïne dans toutes ses étapes : de la réception au transit, en passant par le stockage et l’écoulement. Mais ces nouvelles routes ne sont qu’une des facettes de l’organisation mise en place par des narcotrafiquants sans scrupules et aux moyens illimités.
En 2016, le Maroc a failli devenir un pays de transformation de la cocaïne. Dans une ferme située sur la bande frontalière orientale du royaume, pas loin d’Oujda, un laboratoire clandestin de traitement de la pâte de cocaïne avait été démantelé. Deux Péruviens chapeautaient une poignée de Marocains. La bande avait déjà réussi à produire une quantité de 50 kg écoulée sur le marché local et s’apprêtait à exporter 250 kg en Europe. « La pureté de la cocaïne saisie dépassait souvent les 90 %. Ce qui veut dire qu’une fois coupée avec du talc ou des amphétamines, vous pouvez quintupler la quantité », explique Abderrahim Habib.

Voie aérienne
En décembre dernier, les services sécuritaires ont mis en échec l’installation d’une base aérienne, près de Boujdour, destinée au stockage et au convoyage de la cocaïne vers l’Europe. Outre ces pistes d’atterrissages clandestins, que les cartels essaient de multiplier, l’aviation civile reste un des moyens de transport de prédilection des trafiquants. Pas une semaine ne s’écoule sans qu’une arrestation ne soit effectuée à l’aéroport Mohammed-V de Casablanca.
En janvier, près de 10 kg ont été saisis au niveau des aéroports du royaume, dont un quart au moins destiné au marché marocain. Un vol en particulier est sous haute surveillance : le São Paulo-Casablanca, qui atterrit quatre fois par semaine. Les passagers subissent un premier contrôle à leur descente d’avion. Les bagages sont systématiquement et minutieusement fouillés. Et les prises, souvent au rendez-vous.
« Il arrive que plusieurs passagers, sur le même vol, transportent de la cocaïne », nous confie l’homme chargé de la lutte contre le trafic de stupéfiants à la DGSN. Un profil type se détache pour ces mules humaines qui voyagent avec de la drogue dans la panse ou dans les bagages : ce sont souvent des Subsahariens ou des Sud-Américains en transit au Maroc. « Une fois, nous avons interpellé une personne avec 2,6 kg de cocaïne dans l’estomac, nous confie notre source. Elle est restée vingt-cinq jours sous observation médicale pour rejeter toute cette quantité. »
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