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Rachid Ouaissa. politologue : «Avec la crise de la rente, le système n’arrive plus à clientéliser les classes moyennes»

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  • Rachid Ouaissa. politologue : «Avec la crise de la rente, le système n’arrive plus à clientéliser les classes moyennes»

    -De qui parle-t-on lorsque l’on évoque les classes moyennes en Algérie ?

    D’abord, il faut préciser que la classe moyenne n’est pas facile à délimiter empiriquement. C’est pour cela qu’il vaut mieux parler de classes moyennes au pluriel. Selon les définitions purement économiques, le revenu et le pouvoir d’achat, les classes moyennes se situent au «milieu de la société», avec un revenu moyen et une position sociétale moyenne. On peut identifier trois catégories de classes moyennes : supérieure, intermédiaire et basse.

    A ces classes moyennes appartiennent les professions libérales, les enseignants, officiers, cadres de la bureaucratie, petits commerçants, entrepreneurs et propriétaires, etc. Sociologiquement et culturellement parlant, il faut peut-être parler des différents milieux de la classe moyenne correspondants aux styles de vie et aux valeurs des différents segments des classes moyennes. Mais pour identifier ces milieux, des études sociologiques approfondies sont nécessaires.

    La spécificité des classes moyennes dans les pays du Sud en général et en Algérie en particulier, c’est leur nature rentière. Elles ne sont pas le résultat de l’intensification de l’industrialisation et de la stratification sociale par le travail ou par le niveau d’instruction et le mérite, et ne sont pas non plus le résultat du conflit entre l’aristocratie et la classe laborieuse. En Europe, l’émergence de la classe moyenne est liée à la cupidité de l’aristocratie à accroître son profit. Cela a permis l’émergence de nouveaux groupes professionnels (ingénieurs, soldats, technocrates, scientifiques, etc.). Cela a soulevé des revendications politiques, notamment la participation politique et les droits de l’homme. Ce qui a provoqué ce que Hobsbawm appelle «self-disempowerement of the aristocratie».

    Les classes moyennes algériennes sont liées à la politique de l’Etat et à la dépendance de la rente. Dès l’indépendance, un segment des classes moyennes, marginalisées sous le colonialisme et qui étaient le principal pilier du mouvement nationaliste et de la lutte anticoloniale, a pris le pouvoir. Ainsi, il n’y avait donc pas de lutte entre les classes moyennes et une classe dirigeante, vu que la classe dirigeante provient des classes moyennes. Les classes moyennes en Europe industrialisée ont été contraintes de se battre pour leurs droits de participation et pour la démocratie.

    Cela n’a été possible que lorsqu’elles ont acquis une position avantageuse dans le système de production pour négocier leurs intérêts par l’intensification de l’industrialisation axée sur le profit. En revanche, les classes moyennes en Algérie ont acquis la légitimité politique et l’accès aux rentes par la légitimité révolutionnaire. Les stratégies de développement basées sur la rente, l’industrie industrialisante, ont fait émerger de nouvelles classes moyennes étatiques, rentières et clientélistes de la classe dirigeante.

    La relation clientéliste entre les classes moyennes et l’Etat a commencé à se détériorer avec la chute du prix du pétrole dans les années 1980. La politique d’ouverture a fait émerger des catégories sociales comme la tchitchi et le trabendiste. Les années rouges et la politique néolibérale de Bouteflika ont donné naissance à la figure du nouveau riche, arriviste, ou Beggar.

    Quel rôle ont joué ces couches moyennes dans l’émergence du mouvement populaire, selon vous ?

    Il est souvent souligné que les classes moyennes sont d’une grande importance dans les processus de transformation démocratique. Cependant, ce n’est pas un automatisme, car les classes moyennes peuvent aussi être des piliers des mouvements extrémistes et fascistes. Les classes moyennes allemandes des années 1930, paniquées par la crise économique, ont porté Hitler au pouvoir. Les exemples de l’Asie montrent que la démocratisation n’est pas toujours l’objectif principal des classes moyennes. Tant que de bons revenus et un certain prestige sont assurés, les classes moyennes sont prêtes à cohabiter avec des régimes autoritaires. Ce sont surtout les classes moyennes bloquées qui sont porteuses des grands mouvements de protestation et révolutionnaires.

    La classe moyenne bloquée sous le colonialisme a enfanté le mouvement de libération et le nationalisme algérien. Le système Boumediène a produit une classe moyenne technocratique. Sensible au narratif anticolonial et nationaliste, cette classe moyenne étatique était le socle de la dictature de Boumediène et son économie dirigiste. La crise pétrolière des années 1980 a plongé cette classe dans la crise. Bloquée dans son extension, cette classe était porteuse des émeutes à travers tout le pays qui ont abouti aux révoltes d’Octobre 1988. La guerre des années 1990 était aussi une guerre entre deux segments de classes moyennes : d’un côté, l’ancienne classe moyenne, francophone, étatique et contre l’ouverture totale du marché et de l’autre, une classe moyenne arabisée, pieuse qui ne trouve pas de place sur le marché du travail et préconisant un rôle faible de l’Etat dans l’économie. Cette dernière est représentée par la frange djazariste du FIS.

    Le système Bouteflika a donné naissance à de nouvelles classes moyennes, mais a aussi réussi, vu l’abondance de la rente, à clientéliser les classes moyennes en conflit dans les années 1990. Trouver le MSP et le RCD dans un même gouvernement était la traduction politique de ce projet de conciliation des classes moyennes rivales. Le bouteflikisme a réussi un assemblage qui, à première vue, était contre nature, notamment le néolibéralisme et l’islamisme. Le religieux entrepreneur, l’entrepreneur religieux, les officiers businessmen et les nouveaux riches (beggarine) tous unis par la rente et des formes de consommation et style de vie moderne et des valeurs conservatrices.

    -Dans quelle mesure l’incertitude économique risque-t-elle d’aggraver la situation de cette catégorie sociale ? Quelles en seraient les répercussions politiques ?

    Avec la crise de la rente qui se manifeste depuis 2014/15, le système Bouteflika n’arrive plus à clientéliser les classes moyennes. Cela a donné naissance au hirak. Ce mouvement de protestation à caractère urbain est porté depuis février 2019 par deux classes moyennes concurrentielles, notamment une islamo-conservatrice et l’autre laïco-moderniste. Ces deux faces de la classe moyenne ont d’ailleurs des bases sociales communes, notamment les milieux universitaires, intellectuels, urbains et les fonctions libérales en Algérie et dans la diaspora.

    Ces deux franges de la classe moyenne étaient pactées par la revendication «Yetnahaw gaâ», et évitent à tout prix les débats de fond, comme les projets de société et les visions économiques de l’Algérie de demain. Il faut noter qu’aucune de ces franges n’a thématisé l’ordre néolibéral installé en Algérie, mais place toutes les deux dans une certaine économie morale concernant la corruption du système de Bouteflika.

    Avec la crise sanitaire et l’accentuation de la crise économique, le hirak est joint par la classe moyenne basse et les couches démunies. Ainsi le hirak se radicalise depuis, de plus en plus. Plusieurs scénarios sont possibles, entre autres, la radicalisation totale du mouvement, ce qui va inviter le pouvoir militaire à utiliser la violence (octobre bis), ou peut-être la cooptation d’une des classes moyennes protagonistes par le pouvoir, et c’est d’ailleurs le but politique principal des élections de juin 2021.

    -Qu’est-ce qui, selon vous, bloque la classe moyenne algérienne dans son désir d’ascension sociale ?

    Les données sociologiques de la société algérienne ont changé et les recettes du pouvoir en place pour cette société n’ont pas changé depuis l’indépendance. Nous avons une jeunesse beaucoup plus instruite et qui a accumulé un capital culturel et éducatif important et elle est bien globalisée et connectée. Ces jeunes parlent anglais et savent manier les nouvelles technologies et ne sont plus sensibles aux narratifs archaïques. Cette frange de la classe moyenne veut établir des règles d’ascension nouvelles, basées sur le mérite et le travail. L’Etat est dépassé, il fonctionne encore avec les schémas du siècle passé qui sont : la cooptation, la clientélisation et le bakchich.



    Propos recueillis par Amel B.

  • #2
    https://www.algerie-dz.com/forums/al...80#post8224180
    Othmane BENZAGHOU

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