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Des lieux et des voix : Le Viking de Bouzaréah

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    Des lieux et des voix : Le Viking de Bouzaréah





    Dernière modification 20 Juil 2022
    horizon dz




    Un réveil dans le brouillard. On ne distingue plus les toitures des bâtisses qui ceinturent le ravin qui se jette dans le port. Cette fois-ci, le brouillard ne descend pas des montagnes mais remonte de la mer. La rade d’Alger, ses navires-cargos et son voilier à mille mâts de la marine nationale se cachent quelque part entre la pointe de Tamenfoust et Raïs Hamidou. L’appel de la mer tape contre nos tympans, insistant même, mais celui des hauteurs est plus fort. Plus percutant. Comme le restaurant Le Mallard n’est plus sur la carte, le rendez-vous est pris devant une clinique où l’on répare la vue, la vision des choses n’étant pas une spécialité ophtalmique. Nous l’attendons parmi les patients venus de l’Algérie tout entière. Il est à peine 9h dans un Châteauneuf bien silencieux et au haut duquel Oued Kniss tient sa source.

    Il descend de plus haut. De Bouzaréah où il est né, où il a fait ses classes et où il a épuisé un tas de mines de crayon. Il n’a pas la carrure d’un coureur porteur de tronc d’arbre mais il a le visage d’un Viking qui marche dans le brouillard. Et ce n’est pas à bord d’une galère qu’il débarque dans la ruelle mais à bord d’un véhicule utilitaire moins blanc que le tee-shirt qu’il porte, flanqué de couleurs criardes des îles Féroé ou semblables. C’est un fou amoureux de l’Italie, de son peuple, de ses écoles d’art et de la Méditerranée en général mais ses traits (de visage) n’inspirent pas cette homogénéité plutôt basanée. Contrairement à sa spontanéité, ses rires à la limite de la folie, sa gestuelle ne laisse plus aucun doute. Le peintre et céramiste Karim Sergoua est un Algérois qui, du haut de sa Bouzaréah natale, n’a jamais lâché du regard cette Baie d’Alger qui a vu grandir ses rêves, qui a vu mourir ses désillusions et a vu grimper sa notoriété parmi les grands. S’il nous a donné rendez-vous au coin de cette villa chirurgicale, au pied duquel patients et leurs accompagnateurs ronflent à bord de véhicules immatriculés à Aïn Defla, Biskra, Tiaret.., c’est parce que son atelier se cache non loin. Juste en face. Nous sommes chez les Merzoug. Surtout, chez le patriarche, membre fondateur du Parti communiste algérien. Nous nous engouffrons dans une allée, aux murs hauts, qui s’incline vers le bas.

    Sergoua nous présente son épouse, une céramiste qui finit d’enfiler son tablier. Son univers est tout bleu ou presque. En bon taquin, l’homme venu d’en haut lui rappelle qu’elle lui a piqué son atelier. Ces histoires de couple qui finissent par de la fine malice dans un regard et un sourire échangés. Les espaces, Sergoua sait en trouver et sait même en construire. Nous voici dans son atelier qui ne pourrait contenir trois vrais Vikings. Le bleu n’y est pas dominant mais tout est éclatant et joyeux. Ne manquerait plus à Sergoua que de sortir remercier Dieu sous le figuier du jardin pour cet atelier, étroit soit-il. D’autres peintres, et pas n’importe lesquels, sont forcés de plaquer leur table de cuisine contre le mur pour pouvoir peindre. De la débrouillardise qui a développé chez certains d’étranges procédés de travail. Et surtout chez ceux qui travaillent sur le grand format. Ça pourrait bien s’appeler de la peinture par déroulage progressif. Histoire de gagner de l’espace dans les réduits et finir la toile une fois la galerie acquise à la veille d’une exposition.

    L’espace, ce mal injustifié

    Alger manquerait-elle de friches, d’anciens hangars, de garages abandonnés pour accueillir tous ces artistes, connus et moins connus, en mal d’espace de création ? Si sa mémoire ne le trahit pas, Sergoua retient le chiffre de 110 lieux, uniquement entre le port d’Alger et El Harrach, qui pourraient effacer d’un coup d’éponge le cauchemar en cuisine. Et ce n’est pas que le déroulage de la toile qui pose problème, son stockage est également un véritable calvaire. Nous ne sommes pas à Paris ou à Rome où l’arrangement entre institutions, entrepreneurs et artistes a été scellé. Les premiers louant des toiles, exposées dans les halls de leurs administrations ou entreprises, en contrepartie d’une rémunération pour le peintre contractant. Mais tout n’est pas noir, nous rassure Sergoua, avec son sourire qu’on croit sorti tout droit d’une ronéo. Certes, le flacon d’acrylique est à 4.200 DA, mais on peut prétendre que la peinture se porte moins bien qu’ailleurs.

    Avant d’aller chercher loin dans sa mémoire et son désamour étendu pour les galeries et les expos trop conformistes. Durant toute sa carrière, celle de l’éternel beaux-ariste se compte en décennies, il lui est arrivé deux ou trois fois de fouler le parquet clinquant d’un pareil espace fait de murs et de lumières, tout blanc. Quitte à parsemer, à quelques heures de l’ouverture de son exposition, le parquet luisant d’une galerie à Saïd Hamdine de cinq bottes de foin qu’il est parti chercher à Draria, en costume cravate. Chaque jour que Dieu fait, avec ou sans brouillard, Sergoua se plaît dans son atelier. Et quand il ne peint pas ou ne sculpte pas le bois, une matière qu’il sait entendre respirer, il passe son temps à lire. A se documenter, à savoir tout ce qui se passe ailleurs. Il se sent mal s’il lui venait de ne pas passer par l’atelier et de renter directement chez lui. Il se sent mieux loti que beaucoup d’autres artistes qui viennent passer du temps en sa compagnie et à certains à l’envier quant à la liberté de réflexion et de création que peut offrir un atelier, comptant peu sa superficie de poulailler. Il y a un autre lieu dont l’enfant d’Air de France ne se sépare jamais. Pas même dans les rêves d’un défunt publiciste qui lui offrait le triple de son salaire au début des années 90.

    «C’était une fortune, ce qu’il me proposait mais je ne changerai pas les beaux arts pour rien au monde.» Aveu sincère de Karim Sergoua qui se souvient de ses 6.000 DA de salaire. Le peintre Denis Martinez gagnait le double avant son exil forcé à Marseille, en 2014. Si celui-ci a dû partir avec tout son amour pour Port-aux-Poules, son port de naissance, Sergoua est, lui, resté. A Alger, à Bouzaréah mais surtout aux beaux-arts. Il y est toujours au milieu de ce havre de paix qui, pourtant, a vu mourir les Asselah père et fils. On n’oserait même pas lui demander ce qui le retient aux beaux-arts d’Alger où la veille et l’avant-veille il a sué en tant que délibérateur. Il est peintre, aussi céramiste et sculpteur, mais son âme de maître pédagogue rôde partout dans les allées boisées de l’Ecole. Également, ailleurs, dans le patio et l’escalier qui descend jusqu’à son atelier. Il y est dessus encore, ce projet nommé zouj b zouj (deux par deux) où il sera question de guider deux visiteurs dans la villa des Merzoug.

    Léguer ses connaissances

    Prendre le temps d’expliquer l’origine du monde et de ses œuvres. D’où lui vient cette inspiration féconde, le temps pris pour soigner chaque coup de pinceau. C’est un peu comme chez le médecin, on prend rendez-vous pour guérir les bobos. L’enseignant Sergoua veut sévir partout. Apprendre aux autres ce qu’il a appris et peu importe le statut, étudiant, visiteur, amoureux ou non de ses peintures, de ses céramiques ou de ses sculptures sur bois dont il ne cesse de parler tout au long de notre échange. Un caisson, ramassé au pied des éditions Casbah, hante sa mémoire de mammouth, résistant à la chaleur, à présent écrasante sous le ciel de Châteauneuf. Il était justement sur cette même paille dans la galerie de Saïd Hamdine et qui semble avoir rapporté une belle somme à Sergoua.

    Du moins de quoi offrir un téléviseur plasma à son neveu qui l’avait aidé à préparer cette rare exposition et qui a rêvé de suivre la coupe du monde au Brésil sur un bel écran aux millions de pixels. De pareilles et généreuses histoires, la tête de Sergoua en déborde. Ce n’est pas qu’il soit figé dans le passé, la nostalgie n’étant pas le meilleur remède pour questionner son présent. Et ce présent, justement, l’homme qui regarde La Casbah d’Alger du haut de sa montagne urbanisée le titille, le provoque, le retourne dans tous les sens. La récente et brusque disparition du jeune directeur de l’Ecole des beaux-arts d’Alger lui injecte de force ou de gré une dose d’appréhension. Il aurait réussi de belles choses au sein de l’institution artistique.

    Sergoua aurait tant aimé le voir vivre pour l’éternité. Il aurait, peut-être, convaincu de qui de droit de construire cette résidence universitaire, ne serait-ce qu’à l’échelle de son atelier de Châteauneuf, quelque part sous les arbres des beaux-arts, avenue Krim-Belkacem. Il a de la peine pour ses étudiantes en tronc-commun qui résident dans des chambres U à El Affroun et qui doivent démarrer à 5h du matin, hiver comme été, pour arriver juste à l’heure des cours. C’est dire qu’il ne suffit pas de corriger la vue chirurgicalement pour espérer une vision juste des choses. Il en est conscient mais ne perd jamais espoir de voir les choses changer dans le bon sens du regard. D’un optimiste convaincu qui croit savoir que l’histoire de son art est en marche. Rien d’officiel mais les pourparlers sont bien engagés pour la création d’une école de design à Sétif. L’œuvre d’un entrepreneur qui n’a jamais tourné le dos à l’art. Nous quittons l’atelier Sergoua avec son sourire contagieux et sans dire au revoir à la douce gardienne de maison, Lara, qui obéit aux caresses de son maître. Dehors, les patients de la clinique sont encore plus nombreux, assis à l’ombre de la mosquée voisine. La passion pour l’art devient semblable à la compassion que nous exprimons à ces Algériens venus de très loin.

    Anis Djaad


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