Dernier espace médiatique libre en Algérie, le siège de Radio M a été mis sous scellés, son directeur arrêté
Ihsane El-Kadi, qui dirige Radio M, a été arrêté dans la nuit du vendredi à samedi, à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Alger
Par Karim Amrouche( Alger, correspondance)
Publié aujourd’hui à 18h59, mis à jour à 18h59
La scène a bouleversé les journalistes de Radio M et du site d’information Maghreb Emergent : Ihsane El-Kadi, leur directeur, a été amené menotté, samedi 24 décembre au soir, au siège des deux médias, dans le centre d’Alger, par des agents de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Ils ont procédé à une perquisition et à la saisie des équipements informatiques et de tournage, avant de mettre les locaux sous scellés et de quitter les lieux.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés En Algérie, pour les militants des droits humains, l’exil ou la prison
Ihsane El-Kadi, qui dirige Radio M, dernier et fragile espace de débat libre en Algérie, avait été interpellé dans la nuit du vendredi à samedi, chez lui, à Zemmouri, dans la wilaya de Boumerdes, à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Alger. Sa fille, Tin Hinan, avait indiqué sur les réseaux sociaux qu’une brigade de la DGSI, composée de six hommes, dans deux véhicules, lui avait ordonné à minuit et demi de les « suivre immédiatement à la caserne d’Antar » à Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Deux heures auparavant, rapporte le site de Radio M, Ihsane El-Kadi avait reçu un appel lui enjoignant de se présenter immédiatement à cette caserne, mais le journaliste avait expliqué se trouver loin de la capitale.
Ihsane El-Kadi a déjà été convoqué à Ben Aknoun le 27 novembre dernier : des agents de la DGSI étaient venus au siège d’Interface Média et lui avaient dit : « Suivez-nous, vous connaissez l’adresse. » Une allusion à une précédente visite forcée à la caserne d’Antar, le 10 juin 2021, à la veille des élections législatives. Le journaliste Khaled Drareni et l’opposant Karim Tabbou avaient été également arrêtés à cette occasion et conduits au même endroit.
Harcèlement judiciaire
Aucune indication n’a été donnée officiellement sur les raisons de cette nouvelle interpellation. S’agit-il d’un article récent dans lequel Ihsane El-Kadi évoquait l’attitude de l’armée à propos d’un éventuel deuxième mandat du président Abdelmadjid Tebboune ? Est-ce son dernier tweet, dans lequel il conteste vertement l’affirmation de ce dernier sur la récupération de 20 milliards de dollars chez les oligarques qui gravitaient autour du clan de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika ?
Les observateurs se perdent en conjectures. La mise sous scellés des locaux semble néanmoins indiquer que les autorités algériennes ont décidé d’en finir avec ce qui pouvait paraître comme une anomalie : un média autonome dans un paysage médiatique sous contrôle.
Lire aussi : En Algérie, l’incarcération d’un journaliste provoque la sidération
Ihsane El-Kadi, qui fait face à un harcèlement judiciaire incessant depuis plus de trois ans – il a notamment été condamné en juin 2021 à six mois de prison ferme sans mandat de dépôt pour un article d’opinion sur la place des islamistes dans le Hirak –, n’a pas, dans un contexte de répression tous azimuts, gardé un profil bas. Il continuait à s’exprimer librement alors que les médias du pays étaient largement caporalisés.
« Dernier samouraï de la presse libre en Algérie »
Pour nombre de journalistes et d’acteurs de la société civile, même ceux qui sont loin de partager les points de vue d’Ihsane El-Kadi, cette voix détonante au milieu du conformisme général constituait de fait le dernier balbutiement d’une presse indépendante. « Sale temps pour la liberté de la presse et pour toutes les libertés démocratiques en Algérie », a réagi Abdelouahab Fersaoui, président de l’association Rassemblement actions jeunesse (RAJ), dissoute en octobre 2021 par les autorités. Pour lui, Radio M et Maghreb Emergent étaient « les derniers samouraïs de la presse libre en Algérie ».
Lire aussi : En Algérie, le journaliste Ihsane El-Kadi condamné à six mois de prison ferme
De manière prémonitoire, le conseil d’administration d’Interface Média, l’agence qui rassemble les deux titres, notait le 23 décembre que le harcèlement que « subit depuis trois ans notre plate-forme médiatique n’a pas de fondement autre que celui d’empêcher l’exercice libre du métier d’informer pourtant garanti par toutes les constitutions depuis février 1989 ». Le communiqué soulignait que les autorités visent « aujourd’hui de plus en plus clairement à nous retirer, par différents moyens, notre statut établi d’éditeur de presse électronique ».
Outre un contexte politique très restrictif sur les libertés, les médias algériens connaissent une situation financière qui les rend totalement dépendants de la publicité étatique. Même les journaux qui semblaient avoir une assise financière solide sont en crise. Le milliardaire Issad Rebrab a liquidé le journal Liberté avant de passer la main à ses héritiers. Le journal El Watan, dont les comptes sont bloqués pour cause d’arriérés d’impôts et de crédits non remboursés, n’arrive pas à payer ses salariés. Dans ces conditions de grande précarité, une mobilisation pour préserver l’espace occupé par Radio M paraît peu probable.
Karim Amrouche(Alger, correspondance)
Ihsane El-Kadi, qui dirige Radio M, a été arrêté dans la nuit du vendredi à samedi, à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Alger
Par Karim Amrouche( Alger, correspondance)
Publié aujourd’hui à 18h59, mis à jour à 18h59
La scène a bouleversé les journalistes de Radio M et du site d’information Maghreb Emergent : Ihsane El-Kadi, leur directeur, a été amené menotté, samedi 24 décembre au soir, au siège des deux médias, dans le centre d’Alger, par des agents de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Ils ont procédé à une perquisition et à la saisie des équipements informatiques et de tournage, avant de mettre les locaux sous scellés et de quitter les lieux.
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Ihsane El-Kadi, qui dirige Radio M, dernier et fragile espace de débat libre en Algérie, avait été interpellé dans la nuit du vendredi à samedi, chez lui, à Zemmouri, dans la wilaya de Boumerdes, à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Alger. Sa fille, Tin Hinan, avait indiqué sur les réseaux sociaux qu’une brigade de la DGSI, composée de six hommes, dans deux véhicules, lui avait ordonné à minuit et demi de les « suivre immédiatement à la caserne d’Antar » à Ben Aknoun, sur les hauteurs d’Alger. Deux heures auparavant, rapporte le site de Radio M, Ihsane El-Kadi avait reçu un appel lui enjoignant de se présenter immédiatement à cette caserne, mais le journaliste avait expliqué se trouver loin de la capitale.
Ihsane El-Kadi a déjà été convoqué à Ben Aknoun le 27 novembre dernier : des agents de la DGSI étaient venus au siège d’Interface Média et lui avaient dit : « Suivez-nous, vous connaissez l’adresse. » Une allusion à une précédente visite forcée à la caserne d’Antar, le 10 juin 2021, à la veille des élections législatives. Le journaliste Khaled Drareni et l’opposant Karim Tabbou avaient été également arrêtés à cette occasion et conduits au même endroit.
Harcèlement judiciaire
Aucune indication n’a été donnée officiellement sur les raisons de cette nouvelle interpellation. S’agit-il d’un article récent dans lequel Ihsane El-Kadi évoquait l’attitude de l’armée à propos d’un éventuel deuxième mandat du président Abdelmadjid Tebboune ? Est-ce son dernier tweet, dans lequel il conteste vertement l’affirmation de ce dernier sur la récupération de 20 milliards de dollars chez les oligarques qui gravitaient autour du clan de l’ancien président Abdelaziz Bouteflika ?
Les observateurs se perdent en conjectures. La mise sous scellés des locaux semble néanmoins indiquer que les autorités algériennes ont décidé d’en finir avec ce qui pouvait paraître comme une anomalie : un média autonome dans un paysage médiatique sous contrôle.
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Ihsane El-Kadi, qui fait face à un harcèlement judiciaire incessant depuis plus de trois ans – il a notamment été condamné en juin 2021 à six mois de prison ferme sans mandat de dépôt pour un article d’opinion sur la place des islamistes dans le Hirak –, n’a pas, dans un contexte de répression tous azimuts, gardé un profil bas. Il continuait à s’exprimer librement alors que les médias du pays étaient largement caporalisés.
« Dernier samouraï de la presse libre en Algérie »
Pour nombre de journalistes et d’acteurs de la société civile, même ceux qui sont loin de partager les points de vue d’Ihsane El-Kadi, cette voix détonante au milieu du conformisme général constituait de fait le dernier balbutiement d’une presse indépendante. « Sale temps pour la liberté de la presse et pour toutes les libertés démocratiques en Algérie », a réagi Abdelouahab Fersaoui, président de l’association Rassemblement actions jeunesse (RAJ), dissoute en octobre 2021 par les autorités. Pour lui, Radio M et Maghreb Emergent étaient « les derniers samouraïs de la presse libre en Algérie ».
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De manière prémonitoire, le conseil d’administration d’Interface Média, l’agence qui rassemble les deux titres, notait le 23 décembre que le harcèlement que « subit depuis trois ans notre plate-forme médiatique n’a pas de fondement autre que celui d’empêcher l’exercice libre du métier d’informer pourtant garanti par toutes les constitutions depuis février 1989 ». Le communiqué soulignait que les autorités visent « aujourd’hui de plus en plus clairement à nous retirer, par différents moyens, notre statut établi d’éditeur de presse électronique ».
Outre un contexte politique très restrictif sur les libertés, les médias algériens connaissent une situation financière qui les rend totalement dépendants de la publicité étatique. Même les journaux qui semblaient avoir une assise financière solide sont en crise. Le milliardaire Issad Rebrab a liquidé le journal Liberté avant de passer la main à ses héritiers. Le journal El Watan, dont les comptes sont bloqués pour cause d’arriérés d’impôts et de crédits non remboursés, n’arrive pas à payer ses salariés. Dans ces conditions de grande précarité, une mobilisation pour préserver l’espace occupé par Radio M paraît peu probable.
Karim Amrouche(Alger, correspondance)
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