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Ferhat Mehenni, l’artiste militant qui terrorise les dictateurs

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  • Ferhat Mehenni, l’artiste militant qui terrorise les dictateurs





    14 avril 2023
    Il est l’homme qui a bravé l’ordre établi et cassé les tabous. Il est le premier à remettre en cause la sacralité de l’intégrité territoriale de l’Algérie. Pour les uns c’est un héros. Pour d’autres, un pestiféré
    Terroriste, Ferhat Mehenni ? Chanteur, musicien, auteur-compositeur-interprète, il est, aussi, un redoutable homme politique. Plutôt militant politique. Il ne sait pas et n’aime pas faire dans les calculs politiques marqués par l’opportunisme, le mensonge et la fourberie. C’est un militant qui ne déroge jamais à ses principes quel que soit le prix à payer. Et il a chèrement payé, jusqu’ici.

    Diplômé en sciences politiques de l’Université d’Alger, cet ancien professeur d’arabe de l’enseignement du cycle moyen (collège) a connu dès son jeune âge les affres de la misère dans un village, en Kabylie, qui avait donné tous ses hommes pour l’indépendance de l’Algérie. Lorsque son père tombait au champ d’honneur, les armes à la main, il n’y avait plus d’hommes pour l’inhumer. Des femmes s’en chargèrent. Ferhat Mehenni était encore enfant. Malgré son jeune âge, il se voit, comme le veut la tradition, assumer la lourde charge de chef de famille dès qu’il atteint l’âge de 18 ans.

    Pour mieux lui faire sentir cette lourde mission, sa mère le marie et il ne tardera pas à répondre aux besoins de sa famille en stoppant ses études secondaires pour recevoir une formation d’enseignant des collèges. A 21 ans, il passe l’examen du baccalauréat en candidat libre et l’obtient. Il s’inscrit à l’Institut des Etudes Politiques d’Alger. De là, commence une nouvelle vie. Celle de la lutte pour la réhabilitation de la culture amazighe (berbère). Pour mener son combat il a pour armes une guitare, des textes qu’il écrit lui-même et une musique qu’il compose grâce à un don divin que lui envient beaucoup d’autres. Son armée : une troupe de jeune musiciens venus de Kabylie, cette région frondeuse et réfractaire. Mais, c’est, aussi, une région qui a enfanté aussi beaucoup d’artistes de renom dont El-Hadj M’hammed El Anka, Mohamed Iguerbouchen, Idir, Djamel Allem et Lounis Aït menguellat pour la musique, Mohamed Issiakhem pour la peinture, Mohamed Fellag pour le théâtre, Azzedine Meddour pour le cinéma et Ferhat Mehnni pour la chanson engagée, pour ne citer que ceux-là.

    Sa troupe musicale, Ferhat Mehenni lui donne le nom d’« Imazighen Imoula.» Les Berbères d’Imoula. D’où son nom artistique « Ferhat Imazighen Imoula » pour marquer son appartenance à son village qui l’a vu naître le 5 mars 1951, Iloula Oumalou.

    Son entrée dans l’arène de la lutte militante, il la marque par une chanson dédiée à la cause bebère « aqcic d uattar » (l’enfant et le mendiant) en 1976. Ainsi, commence le long chemin qu’empruntera Ferhat Mehenni avec tout ce qu’il charrie comme alliance, sympathie, soutien et aussi trahison. Beaucoup de trahisons. Ils ont été nombreux ces compagnons qui l’ont abandonné en cours de route. D’autres ont même tenté de l’assassiner comme il le raconte dans son livre « Noël en otage » paru en 2015. Beaucoup d’autres l’évitent depuis qu’il est classé Terroriste par le régime algérien. Terroriste par décret publié dans le Journal Officiel avec d’autres militants du MAK, d’autres militants du mouvement Rachad et d’autres blogueurs ou journaliste dont l’auteur de ces lignes.

    L’un des artisans du printemps berbère, avril 1980, Ferhat Mehenni sera aussi, membre fondateur de la première ligue de défense des droits de l’homme en Algérie sous la conduite de feu Maître Ali Yahia Abdenour avant de participer à la création du rassemblement pour la Culture et la Démocratie, parti d’opposition laïc, qu’il quittera en mai 1997, pour « cause de trahison envers les berbères », dit-il, en ajoutant : « Said Saadi (Ndlr résident du RCD) a bien trahi la berbérité et la démocratie. II forme des gens contre les démocrates en général et le FFS en particulier ».

    En 2001, en réaction aux violentes émeutes qui ont marqué la Kabylie, il fonde le MAK (Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie). Un mouvement qui se radicalisera davantage en passant de la revendication de l’autonomie de la Kabylie à l’autodétermination. Une revendication osée dans un pays où le pouvoir en place fait de l’intégrité territoriale et de l’unité nationale un fond de commerce juteux pour se maintenir même s’il est le premier à attenter à ces deux sacro-saints principes en marginalisant des régions et des populations entières.

    De ce mouvement tant redouté par le pouvoir politico-militaire d’Alger, nous avons demandé à Ferhat Mehenni de nous en parler pour éclairer la lanterne de notre lectorat sur son présent et ses perspectives. Avec sa bonhomie habituelle, il s’est bien prêté à notre jeu de questions-réponses.

    Pourriez-vous nous faire une présentation succincte de votre mouvement, le MAK ?

    Le Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK) est une organisation politique d’un type nouveau. C’est un mouvement de libération nationale non-violent. Il prône le droit à l’autodétermination du peuple kabyle sur la base des textes fondamentaux de l’ONU et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il remet en cause le principe de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation, érigé en dogme par l’Union Africaine qui, à son insu, prolonge ainsi le colonialisme auquel elle est censée mettre un terme depuis les années soixante.

    Quel est le taux de la population kabyle acquise à la cause de l’indépendance de la Kabylie ?

    Dans une Algérie où les sondages en général, et les statistiques sur la Kabylie en particulier, sont interdits, force est de recourir aux urnes et à la rue pour évaluer le taux d’adhésion du peuple kabyle à son indépendance. A l’appel du MAK au boycott des élections algériennes, la Kabylie a massivement répondu en réalisant un zéro votant aux présidentielles du 12/12/2019, à la révision constitutionnelle du 01/11/2020 et aux législatives du 12/06/2021. Ajoutez à cela, les gigantesques marches du peuple kabyle organisées en Kabylie et à l’étranger, et faites-vous, vous-mêmes, votre propre évaluation sur le taux d’adhésion de la Kabylie aux revendications légitimes du MAK.
    Je suis sûr que si le pouvoir était convaincu du résultat des urnes en sa faveur, qu’il serait le premier à demander une solution démocratique par voie référendaire.

    Vous étiez une figure de proue du mouvement berbériste en Algérie. Aujourd’hui, vous donnez l’impression d’avoir renoncé à la lutte pour la berbérité de l’Algérie et de l’Afrique du Nord, de manière générale

    Depuis la mise sur pied du Congrès Mondial Amazigh (septembre 1997), le combat culturel pour l’amazighité (berbérité) est pris en charge par des structures à l’échelle mondiale. Beaucoup d’avancées ont été réalisées, au Maroc et en Libye notamment. Cela m’a permis de m’en libérer pour réduire la voilure de mon engagement au seul droit du peuple kabyle à l’autodétermination. J’ai tant donné pour les Amazighs que ceux-ci comprennent parfaitement la priorité de mon investissement militant en faveur de la Kabylie.

    Vos adversaires, et notamment le régime algérien, vous accusent d’avoir trahi la mémoire de votre père, mort pour l’Algérie, alors que vous, vous vous battez pour séparer la Kabylie de l’Algérie. Pensez-vous que vos accusateurs sont restés fidèles à cette même mémoire paternelle ?

    Mon père est tombé au champ d’honneur, les armes à la main, pour l’idéal de liberté qui continue de m’animer. C’est ce même idéal qui anime la Kabylie toutes générations confondues depuis Fadma N Summer (1857) qui refusait l’annexion de la Kabylie à l’Algérie française, au même titre que ceux qui avaient organisé l’insurrection kabyle de 1871, à savoir Chikh Aheddad et le Roi Mokrani.

    Votre question est pertinente dans sa dernière partie. Il est fort probable que si, les militaires qui ont pris par la force le pouvoir en Algérie depuis 1963, étaient restés fidèles à la mémoire de ceux qui avaient consenti le sacrifice suprême pour la liberté des Algériens, nous aurions eu une autre histoire mais je suis sûr que j’en serais, de toutes les façons, arrivé à la même démarche que j’adopte, aujourd’hui, celle de revendiquer le droit à l’autodétermination de la Kabylie. Car un peuple digne de ce nom ne se dilue dans aucune autre entité politique que la sienne. Je n’en veux pour preuve que la construction de l’Union européenne et le Brexit !


    Le MAK, malgré son caractère entièrement pacifique, est classé comme organisation terroriste par le pouvoir algérien et des mandats d’arrêt internationaux contre vous ont été transmis à Interpol. Ne craignez-vous pas de vous voir arrêté et extradé ?

    Mon sort m’importe peu. J’ai 72 ans et toute ma vie est dédiée à la lutte pacifique pour les droits de l’homme et les droits des peuples. J’ai connu la prison à maintes reprises et elle m’est aussi familière que la menace de mort. Je sais que la mort, la torture et la prison sont le prix de la liberté. J’en assume les conséquences.

    Ma plus grande peine aujourd’hui est le sort réservé à toutes les militantes et tous les militants arrêtés, violentés et injustement condamnés lors des simulacres de procès expéditifs et au bout desquels 54 peines de morts sont prononcées contre des innocents, comme des centaines de condamnations à des années de prison, rien que pour l’amour de la liberté qu’ils veulent obtenir par des voies pacifiques pour le peuple kabyle.

    Je pense aussi à toute la Kabylie terrorisée par les tenants du colonialisme algérien et qui, par la prison et le chantage, tentent de lui imposer le silence. Je pense aux centaines de milliers de candidats au départ à l’étranger. Je pense aux 70.000 Kabyles interdits de quitter le territoire et pour lesquels l’Algérie est devenue une prison à ciel ouvert.

    Vous vous apprêtez à installer une nouvelle équipe du gouvernement provisoire que vous présidez, en même temps que vous organisez une marche le 16 avril à Paris, ainsi que des rassemblements à travers le monde. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?

    Le 5e Congrès du MAK vient d’avoir lieu le 15/01/2023. Monsieur Zidane Lafdal qui était Premier ministre depuis 2017 vient d’accéder à la Vice-présidence de l’Anavad et un nouveau Chef du gouvernement vient d’être nommé en la personne du jeune Hanafi Ferhouh, déjà condamné à mort par le régime colonial algérien.

    Quant à la marche du 16 avril qui aura lieu à Paris, de Bastille à République, elle sera grandiose et amplifiée par des actions de la diaspora kabyle à Montréal, San Francisco, Philadelphie et Chicago.

    A Paris, cette année, nous aurons beaucoup de délégations étrangères qui nous font la fraternité et l’amitié de leur présence solidaire.


    Hichem ABOUD
    Dernière modification par Anzoul, 15 avril 2023, 21h19.
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