LA CHRONIQUE DE CHRISTINE CLERC. Une majorité de députés s’est opposée à la proposition de LR, soutenue par Édouard Philippe, de dénoncer le traité de 1968.
Par Christine Clerc
Cessez de nous envoyer des travailleurs migrants, lançait le général de Gaulle au président algérien Ahmed Ben Bella, qu'il recevait au château de Champs-sur-Marne le 13 mars 1964, deux ans après la proclamation de l'indépendance de l'Algérie. Tous les Algériens disposaient d'un an pour opter pour la nationalité française. Ce délai est largement passé. Nous n'en admettrons plus. Débrouillez-vous pour les faire vivre sur votre sol ! » C'est Alain Peyrefitte qui, dans sa trilogie C'était de Gaulle, rapportait plusieurs années plus tard ces propos.
Qui eût imaginé alors, à la sortie d'une longue guerre sanglante, qu'un si grand nombre d'Algériens – et pas seulement les malheureux harkis, en grande partie abandonnés – viendraient chercher en France un emploi et des soins et que leur nombre atteindrait officiellement, en 2020, 846 000 immigrés adultes et plus de 1 200 000 enfants, sans compter les oncles, tantes et cousins – au total près de 3 millions – qui ont obtenu, depuis la guerre d'Algérie, la nationalité française ?
Et qui eût cru que l'actuel président algérien, Abdelmadjid Tebboune, 78 ans, invité à Paris en juin prochain par Emmanuel Macron, allait décider, en juin dernier, de réinscrire dans l'hymne national une phrase menaçante datant des lendemains de guerre, il y a cinquante ans : « Ô France ! Voici venu le temps où il te faut rendre des comptes. Prépare-toi ! » Et cela, alors même que ses compatriotes accueillent toujours les présidents français en visite en Algérie – de Chirac en 2002 jusqu'à Macron en 2022 en passant par Sarkozy en 2015 – aux cris de : « Des visas ! Des visas ! »
Des « arrangements satisfaisants » consentis à regret par de Gaulle
Envers et contre tout, la France pardonne et ouvre les bras. Car en dépit des déclarations de principes, la culpabilité du colonisateur – « cent trente-deux années d'occupation ! » scande Tebboune – mais aussi les besoins de main-d'œuvre l'ont emporté. Le 27 décembre 1968, par un accord signé par le président de Gaulle et qui allait être complété par un décret du 18 mars 1969 sous son règne finissant, Maurice Couve de Murville ayant alors remplacé Georges Pompidou à Matignon et Michel Debré le « souverainiste » occupant le poste de ministre des Affaires étrangères, la France consent un statut particulier à l'Algérie, en tant qu'ancien département français (ce qui n'était pas le cas du Maroc et de la Tunisie). Elle fixe à 35 000 par an le nombre de ses ressortissants autorisés à venir travailler dans l'Hexagone.
Cela se passe le plus discrètement possible. En tout cas, on ne trouve pas trace de ce virage politique déterminant dans les Discours et messages du Général, ni dans ses Mémoires, ni dans celles de son fils Philippe, ni dans celles de Debré ou de Pompidou. Une seule lettre, datée du 8 août 1968 et adressée par un président français très éprouvé par Mai 68 au président du Conseil algérien, Houari Boumediene, fait allusion à la mise au point « d'arrangements satisfaisants pour nos deux pays ». Ceux-ci marquent un tournant décisif, mais tout se passe comme s'ils devaient être tenus quasiment secrets.
Dix-sept ans plus tard, le biographe Jean Lacouture n'en parlera pas dans Le Souverain, tome 3 de sa formidable biographie gaullienne. Cinquante ans après, l'Anglais Julian Jackson n'y fera pas allusion non plus dans son De Gaulle, une certaine idée de la France. Entre-temps, pourtant, en dépit de combien de crises entre les deux pays, et malgré de vaines tentatives de la France pour durcir la loi qui autorise le regroupement familial (lequel ne peut être refusé que si le demandeur annonce plusieurs conjointes), le flot régulier d'immigrés en provenance d'Algérie n'a pas ralenti.
Ambassadeur en Algérie par deux fois – de 2008 à 2012 puis de 2017 à 2020 –, Xavier Driencourt se souvient d'avoir tenté de renégocier l'accord : « Chaque fois, on me répondait par un bras d'honneur ! » Chaque fois, des gouvernements timorés, « inhibés dès qu'il s'agit d'Algérie », lui exprimaient leur peur des réactions de la communauté algérienne en France. Cinquante-cinq ans après le fameux accord, alors que la France accueille de plus en plus de réfugiés et qu'elle a été l'an dernier le deuxième pays d'Europe derrière l'Allemagne à ouvrir ses frontières à des demandeurs d'asile en provenance d'Afrique, d'Afghanistan ou de Russie, on aurait pu juger le moment venu de prendre acte de la fin d'un cycle historique qui la reliait à l'Algérie depuis la colonisation. Une égalisation des statuts de réfugiés ou d'immigrés de travail avec ceux des Marocains ou des Tunisiens aurait pu paraître normale.
C'est du moins ce que disait l'ex-Premier ministre Édouard Philippe, dont le mouvement Horizons représente une trentaine de députés et une dizaine de sénateurs : « Le maintien d'un tel dispositif avec un pays avec lequel nous entretenons des relations compliquées ne me paraît plus justifié. » Un avis partagé par le président du Sénat, Gérard Larcher. Et par Éric Ciotti, le président du groupe LR – 62 députés – au Palais-Bourbon. Plusieurs députés macronistes, ébranlés par ce raisonnement, venaient le dire à leurs collègues. Le jour du vote, pourtant, jeudi 7 décembre, les députés ont rejeté par 151 voix contre 114 le projet LR de dénonciation de l'accord de 1968 « conférant un statut particulier aux Algériens en matière de circulation, de séjour et d'emploi en France ».
Le débat à l'Assemblée a été un concours de générosité. Huguette Tiegna, l'oratrice du groupe macroniste Renaissance, a estimé que « dénoncer cet accord de manière unilatérale serait une agression envers un pays voisin ami ». L'écologiste Sabrina Sebaihi a accusé : « Vous voulez faire plaisir à la frange de votre électorat la plus extrême ! » La communiste Soumya Bourouaha a délivré une leçon d'« histoire commune ». Et le LFI Bastien Lachaud, pointant les rangs LR, a déclaré : « On croirait lire un tract d'extrême droite ! » Le tout sous l'œil amusé de Marine Le Pen. Elle dont le père fut passionnément « Algérie française » et dont les électeurs sont aujourd'hui résolument en faveur d'une « prise d'indépendance » vis-à-vis du régime algérien croyait entendre les voix tomber par centaines, par milliers, dans son escarcelle.