La crise politique et diplomatique entre la France et l’Algérie a pris des proportions inédites. Mediapart est allé à la rencontre de binationaux qui se sentent pris au piège, particulièrement dans une ville où l’extrême droite surfe sur la nostalgie de l’Algérie française.
Khedidja Zerouali
PerpignanPerpignan (Pyrénées-Orientales).– Les récentes déclarations de Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur, concernant l’Algérie, Ahmed* les a toutes suives avec assiduité. « La période est dure à vivre,explique l’Algérien arrivé à Perpignan pour ses études et resté depuis. On a l’impression que l’extrême droite est déjà au pouvoir. »
Ces dernières semaines, le gouvernement est monté en tension face à Alger, allant jusqu’à envisager, dans la bouche du premier ministre François Bayrou, de réexaminer « tous les accords » avec l’Algérie.
Ahmed a passé la moitié de sa vie à Alger, l’autre moitié à Perpignan. À 36 ans, son titre de séjour en poche, il est à la recherche d’un emploi et enchaîne, en attendant, les missions dans le secteur culturel local. Dès petit, le Kabyle a été biberonné à la France. Branché sur la télé française à la maison, parlant français à l’école... L’immigration était pour lui une évidence. « Ma mère, effrayée par la décennie noire, voulait envoyer son fils en France. Elle voulait pour moi le meilleur cadre de vie possible. Et il y avait une histoire commune, une proximité culturelle avec ce pays-là. »
Les tensions exacerbées entre la France et l’Algérie viennent tout perturber. « Ils s’attaquent d’abord aux sans-papiers, après ils s’attaqueront à nous, puis ils iront chercher les Algériens naturalisés français. »
Mohamed et Mehdy, de toutes les bagarres
« Ils jettent de l’huile sur le feu,résume Mohamed Moulay, cadre à la retraite. Et après avoir colonisé l’Algérie pendant cent trente-deux ans, ils n’ont toujours pas compris comment les Algériens fonctionnent. Si tu les attaques, ils t’attaqueront plus fort. On appelle ça avoir du nif. »

Né en Algérie, Mohamed Moulay est issu d’une famille décimée par l’armée coloniale ; il est arrivé en France dans les années 1970 et à Perpignan vingt ans plus tard. Des deux côtés de la Méditerranée, le militant antiraciste a été de toutes les luttes.
En Algérie, en tant qu’étudiant, puis plus tard pendant le hirak, mouvement de contestation pour plus de démocratie dans le pays. En France, et plus particulièrement à Perpignan, l’Algérien s’est mobilisé pour l’installation d’une mosquée dans la ville, de carrés musulmans dans les cimetières, il a été membre fondateur d’un festival de cinéma maghrébin… Aujourd’hui, il fait partie du Collectif pour une histoire franco-algérienne non falsifiée.
En militant aguerri, Mohamed Moulay ne nous donne pas rendez-vous n’importe où dans la ville mais sur l’esplanade Pierre-Sergent, charmante place boisée du centre-ville. Pierre Sergent, présenté par Louis Aliot, maire frontiste de la ville, comme « ancien résistant » et « député des Pyrénées-Orientales », est surtout l’un des chefs de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Cette organisation terroriste d’extrême droite a tenté d’imposer le maintien de la France en Algérie par la violence, faisant plus de 3 000 morts. Malgré les manifestations de citoyen·nes choqué·es, le mairie a maintenu le nom de cette esplanade.
Le 4 février 2025, le tribunal administratif de Montpellier a finalement jugé que la dénomination de l’esplanade « heurte la sensibilité du public » et a sommé de la débaptiser. Louis Aliot, par ailleurs vice-président du RN, a annoncé faire appel. Alors, ce 6 mars 2025, l’écriteau « Pierre Sergent » est toujours là et Mohamed Moulay est dépité : « Nous, on doit faire face aux attaques nationales et locales en même temps. »
Rejoint par son ami Mehdy Belabbes, fonctionnaire du ministère de la justice et militant écologiste, ils discutent typo, couleur d’impression, présentation. C’est qu’ils préparent un tract pour l’événement qu’ils organisent bientôt en mémoire de « l’autre » 8 mai 1945, date à partir de laquelle des dizaines de milliers d’Algériens ont été massacrés pour avoir manifesté pour la libération de leur pays. Mais, surtout, ce qui occupe les deux hommes, ce sont les attaques incessantes du gouvernement français à l’endroit de l’Algérie et de ses ressortissants.
« Stupide, inutile, contreproductif. » Mehdy, originaire d’Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), où il a été adjoint, Perpignanais depuis trois ans, n’a pas de mots assez durs pour qualifier l’attitude de la France : « Ils essayent de rejouer un match qui a été réglé en 1962, lors de la libération de l’Algérie. Nous, les enfants de l’histoire franco-algérienne, il faut qu’on s’oppose à ce petit commerce de la haine. »
Les deux amis en sont persuadés : si le bras de fer persiste, la France aurait infiniment plus à perdre que l’Algérie. « Le total des échanges commerciaux, c’est 12 milliards d’euros par an. Ils ne voient pas que l’Algérie est un pays en développement qui pourrait très bien se débrouiller sans la France. Une population jeune, une grande manne de gaz, un des pays les plus importants du continent africain. »
Lydia contre le maire
Née en Seine-Saint-Denis de parents kabyles, puis débarquée à Perpignan il y a vingt-deux ans pour trouver un cocon où élever des enfants, Lydia Rabehi, formatrice dans une association, s’est engagée en arrivant dans la cité catalane. Dans le milieu associatif, en tant que parent d’élève, puis politiquement, sur une liste d’union de la gauche pour les municipales de 2020 et un an plus tard pour les départementales. « Mais je ne suis pas encartée », tient-elle à préciser.
« Quand je suis arrivée à Perpignan, je n’ai pas tout de suite senti le racisme ni l’obsession des élus pour l’Algérie française, j’ai mis quelques années à réaliser », raconte-t-elle. Elle a découvert la force des nostalgiques de l’Algérie française sur la scène politique locale, les associations « aux propos révisionnistes qui expliquent que la France n’a fait que du bien à l’Algérie ».
L’arrivée de Louis Aliot à la mairie en 2020 a poussé la cadre à s’engager d’avantage. « Je suis allée à plusieurs rassemblements, dont la manifestation contre l’exposition comparant le FLN au Hamas, avec des photos bien dégueulasses. Il y avait du monde, c’était réconfortant de rencontrer d’autres Perpignanais qui, eux aussi, trouvaient ça odieux. »

Agrandir l’image : Illustration 2Lydia Rabehi, habitante engagée contre l’extrême droite locale. À Perpignan, le 7 mars 2025. © Khedidja Zerouali / Mediapart
« Le maire, il va aller jusqu’où ? Toutes les semaines, il invente une nouvelle provocation. On a compris qu’il ne voulait ni apaiser ni réconcilier. Mais que veut-il ? S’il ne veut pas la paix, il veut quoi ? » Et de conclure : « À vivre au quotidien, c’est l’enfer. Depuis 2020, je ne me sens plus en sécurité dans ma ville. » Elle promet de continuer à lutter.
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