En Algérie, le ministre des Affaires religieuses tente, depuis plusieurs années, de mettre sur le carreau le Haut- Conseil islamique. Pour ce faire, Bouabdallah Ghoulamallah souhaite imposer une maison de la fetwa (Dar El-Ifta), une structure administrative placée sous la tutelle de son département. Que cache cette opération menée tambour battant contre l’institution que préside Cheikh Bouamrane ?
Voilà près de cinq ans que Bouabdallah Ghoulamallah s’obstine à vouloir imposer aux plus hautes instances du pays son projet de Dar el-Ifta. Le ministre des Affaires religieuses a choisi de doter cette nouvelle instance du statut d’établissement public à caractère administratif qui serait dirigée par un mufti de la République et par un secrétaire général, tous deux nommés par décret présidentiel. Aussi cette structure serait-elle rattachée directement à son département.
L’article 4 du projet de décret présidentiel portant création de Dar el-Ifta nous donne un aperçu de ses prérogatives. «Dar El-Ifta est chargée des missions suivantes : prononcer des fetwas et participer activement à leur promotion programmer, organiser et présenter des études et des recherches sur les fetwas ; rassembler tous documents et données relatifs à ce domaine et se charger de leur diffusion sur un large plan ; prononcer des fetwas et des avis à toute institution ou instance qui en émet la demande directement ; prendre en charge tous travaux confiés par la tutelle ministère des Affaires religieuses) dans le cadre des lois en vigueur.»
Structure budgétivore
Pour mener à bien ces «missions», le projet de Ghoulamallah a prévu la mise en place d’un organigramme digne d’un département ministériel. Celui-ci comprend une direction générale des moyens, divisée elle-même en une sous-direction des moyens, du budget et de la comptabilité ainsi que d’une sous-direction des ressources humaines. Une autre direction générale dédiée aux études, recherches, communication, documentation et aux relations divisée, là aussi, en deux autres sous-directions. Sans oublier le conseil scientifique, qui sera composé de 8 à 10 membres. Il va sans dire que cette machine à fabriquer les fetwas nécessitera un nombre impressionnant de fonctionnaires et d’un budget colossal pour son fonctionnement. Un caprice qui risque de coûter très cher à la collectivité. Mais au fait, pourquoi créer une telle administration alors que l’Etat algérien s’est doté d’une institution dont la principale mission et l’ijtihad : le Haut-Conseil islamique. Institué par la Constitution de 1989, le HCI a vu ses prérogatives renforcées et ses missions clairement définies à la faveur de la Constitution de 1996 (article 171). Cette nouvelle orientation été dictée par la nécessité de contrer l’intégrisme religieux prôné par le GIA (Groupe islamique armé) et les oulémas étrangers. Ces derniers encourageaient la violence en Algérie à travers leurs fetwas. Le HCI a donc pour principale prérogative de promouvoir l’ijtihad, l’effort de réflexion. Les articles 2 et 3 du décret présidentiel relatif au Haut-Conseil islamique définissent clairement ses missions. «Le Haut-Conseil islamique développe en tant qu’institution nationale de référence toute action de nature à encourager et promouvoir l’effort de réflexion, l’ijtihad, en mettant l’Islam à l’abri des rivalités politiques, en rappelant sa mission universelle et en se réclamant de ses principes authentiques qui sont en parfaite harmonie avec les composantes fondamentales de l’identité nationale et du caractère démocratique et républicain de l’Etat. Dans ce cadre, en aucun cas les avis ne peuvent se substituer, empiéter sur les attributions des instances que sont l’Assemblée populaire nationale ou le Conseil de la nation, ou sur celles du Conseil constitutionnelle et des cours de justice (art 2). Dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de l’article 2 du présent avis, le Haut-Conseil islamique prend en charge toutes questions liées à l’Islam, permettant de corriger les perceptions erronées, la mise en évidence de ses véritables fondements, sa juste et fidèle compréhension, l’orientation religieuse et la diffusion de la culture islamique en vue de son rayonnement à l’intérieur et à l’extérieur du pays (art3)». Ce décret stipule également que le HCI dispose du pouvoir de prononcer des fetwas (art 6). «Le Haut-Conseil islamique peut être saisi en vue de prononcer éventuellement des fetwas dans le domaine du fikh, sur initiative du président de la République.»
Cascade de correspondances
On constate clairement que le projet de Dar el-Ifta n’a pas lieu d’être puisqu’il s’arroge les attributions du HCI. Mais Bouabdallah Ghoulamallah ne l’entend pas de cette oreille. Depuis 2003, il a adressé au président de la République une série de correspondances afin que celui-ci signe l’acte de naissance de cette structure administrative. Sauf que l’argumentaire juridique et législatif qu’il présente n’est pas assez solide. «La création de Dar el-Ifta en Algérie — à l’instar de ce qui se fait dans les pays arabes et musulmans — constituera un saut qualitatif dans le processus d’édification d’Institutions de l’Etat solides et efficaces qui se veut en interactivité avec le développement rapide de la société. Elle (Dar el-Ifta) peut devenir une des institutions pivot pour dynamiser votre politique et votre ambitieux programme que le peuple a adopté en toute liberté le 8 avril 2004», écrit-il à Bouteflika pour l’exhorter à soutenir son initiative. Le ministre des Affaires religieuses a saisi également le chef de l’exécutif ainsi que le SGG (Secrétariat général du gouvernement) afin de demander à ce que son projet de texte soit programmé «dans les plus brefs délais» en Conseil des ministres.
Forcing infructueux
En fait, il est aujourd’hui quasiment certain que ce projet ne verra pas le jour du fait de l’existence du HCI. Ce dernier étant une institution inscrite dans la Constitution, il ne peut être dissous… à moins de réviser la loi fondamentale. «Le vœux le plus cher de Bouabdallah Ghoulamallah serait que le HCI soit dissous à l’occasion de l’amendement de la Constitution. Il est clair que le ministre n’a aucun problème avec cette institution en tant que telle, mais voue une haine sans limites à ses membres, notamment envers Cheïkh Bouamrane, le président du HCI. Pour bien comprendre la situation, il faut savoir que les personnalités qui siègent au sein du Haut-Conseil islamique sont des représentants des confréries religieuses les plus importantes et les plus influentes d’Algérie. Ces personnalités font de l’ombre à Ghoulamallah, lui-même issu d’une zaouïa dont l’influence n’est que très limitée », explique une source très au fait de ce dossier. Selon elle, Ghoulamallah n’a aucune chance de voir son projet aboutir. Et ce pour diverses raisons. «Pourquoi Bouteflika irait-il s’en prendre à des personnalités aussi importantes que les membres du HCI à quelques mois seulement des élections présidentielles ? D’autant plus que les confréries religieuses ont toujours été un de ses principaux soutien. Sur un autre plan, les textes actuels attribuent au seul président de la République le droit de saisir le HCI pour prononcer des fetwas, ce qui n’est pas le cas dans le projet de Ghoulamallah. A ce titre, pourquoi Abdelaziz Bouteflika accepterait de partager ce droit ?
Enfin, le bilan de Ghoulamallah à la tête du ministère des Affaires religieuses est considéré comme catastrophique. Sa gestion est entachée de scandales. Il suffit de revenir sur l’affaire du Hadj, le dossier du Fonds de la Zakat ou encore la gestion des biens habous pour s’en rendre compte. D’ailleurs Ghoulamallah reconnaît lui-même que l’IGF (Inspection générale des finances) a élu domicile dans son département.» Pourtant ces derniers temps, le ministre des Affaires religieuses est revenu à la charge en annonçant la création de Dar el-Ifta «pour le courant du mois de septembre». Alors, info ou intox ?
Par le soir
Voilà près de cinq ans que Bouabdallah Ghoulamallah s’obstine à vouloir imposer aux plus hautes instances du pays son projet de Dar el-Ifta. Le ministre des Affaires religieuses a choisi de doter cette nouvelle instance du statut d’établissement public à caractère administratif qui serait dirigée par un mufti de la République et par un secrétaire général, tous deux nommés par décret présidentiel. Aussi cette structure serait-elle rattachée directement à son département.
L’article 4 du projet de décret présidentiel portant création de Dar el-Ifta nous donne un aperçu de ses prérogatives. «Dar El-Ifta est chargée des missions suivantes : prononcer des fetwas et participer activement à leur promotion programmer, organiser et présenter des études et des recherches sur les fetwas ; rassembler tous documents et données relatifs à ce domaine et se charger de leur diffusion sur un large plan ; prononcer des fetwas et des avis à toute institution ou instance qui en émet la demande directement ; prendre en charge tous travaux confiés par la tutelle ministère des Affaires religieuses) dans le cadre des lois en vigueur.»
Structure budgétivore
Pour mener à bien ces «missions», le projet de Ghoulamallah a prévu la mise en place d’un organigramme digne d’un département ministériel. Celui-ci comprend une direction générale des moyens, divisée elle-même en une sous-direction des moyens, du budget et de la comptabilité ainsi que d’une sous-direction des ressources humaines. Une autre direction générale dédiée aux études, recherches, communication, documentation et aux relations divisée, là aussi, en deux autres sous-directions. Sans oublier le conseil scientifique, qui sera composé de 8 à 10 membres. Il va sans dire que cette machine à fabriquer les fetwas nécessitera un nombre impressionnant de fonctionnaires et d’un budget colossal pour son fonctionnement. Un caprice qui risque de coûter très cher à la collectivité. Mais au fait, pourquoi créer une telle administration alors que l’Etat algérien s’est doté d’une institution dont la principale mission et l’ijtihad : le Haut-Conseil islamique. Institué par la Constitution de 1989, le HCI a vu ses prérogatives renforcées et ses missions clairement définies à la faveur de la Constitution de 1996 (article 171). Cette nouvelle orientation été dictée par la nécessité de contrer l’intégrisme religieux prôné par le GIA (Groupe islamique armé) et les oulémas étrangers. Ces derniers encourageaient la violence en Algérie à travers leurs fetwas. Le HCI a donc pour principale prérogative de promouvoir l’ijtihad, l’effort de réflexion. Les articles 2 et 3 du décret présidentiel relatif au Haut-Conseil islamique définissent clairement ses missions. «Le Haut-Conseil islamique développe en tant qu’institution nationale de référence toute action de nature à encourager et promouvoir l’effort de réflexion, l’ijtihad, en mettant l’Islam à l’abri des rivalités politiques, en rappelant sa mission universelle et en se réclamant de ses principes authentiques qui sont en parfaite harmonie avec les composantes fondamentales de l’identité nationale et du caractère démocratique et républicain de l’Etat. Dans ce cadre, en aucun cas les avis ne peuvent se substituer, empiéter sur les attributions des instances que sont l’Assemblée populaire nationale ou le Conseil de la nation, ou sur celles du Conseil constitutionnelle et des cours de justice (art 2). Dans le cadre de la mise en œuvre des dispositions de l’article 2 du présent avis, le Haut-Conseil islamique prend en charge toutes questions liées à l’Islam, permettant de corriger les perceptions erronées, la mise en évidence de ses véritables fondements, sa juste et fidèle compréhension, l’orientation religieuse et la diffusion de la culture islamique en vue de son rayonnement à l’intérieur et à l’extérieur du pays (art3)». Ce décret stipule également que le HCI dispose du pouvoir de prononcer des fetwas (art 6). «Le Haut-Conseil islamique peut être saisi en vue de prononcer éventuellement des fetwas dans le domaine du fikh, sur initiative du président de la République.»
Cascade de correspondances
On constate clairement que le projet de Dar el-Ifta n’a pas lieu d’être puisqu’il s’arroge les attributions du HCI. Mais Bouabdallah Ghoulamallah ne l’entend pas de cette oreille. Depuis 2003, il a adressé au président de la République une série de correspondances afin que celui-ci signe l’acte de naissance de cette structure administrative. Sauf que l’argumentaire juridique et législatif qu’il présente n’est pas assez solide. «La création de Dar el-Ifta en Algérie — à l’instar de ce qui se fait dans les pays arabes et musulmans — constituera un saut qualitatif dans le processus d’édification d’Institutions de l’Etat solides et efficaces qui se veut en interactivité avec le développement rapide de la société. Elle (Dar el-Ifta) peut devenir une des institutions pivot pour dynamiser votre politique et votre ambitieux programme que le peuple a adopté en toute liberté le 8 avril 2004», écrit-il à Bouteflika pour l’exhorter à soutenir son initiative. Le ministre des Affaires religieuses a saisi également le chef de l’exécutif ainsi que le SGG (Secrétariat général du gouvernement) afin de demander à ce que son projet de texte soit programmé «dans les plus brefs délais» en Conseil des ministres.
Forcing infructueux
En fait, il est aujourd’hui quasiment certain que ce projet ne verra pas le jour du fait de l’existence du HCI. Ce dernier étant une institution inscrite dans la Constitution, il ne peut être dissous… à moins de réviser la loi fondamentale. «Le vœux le plus cher de Bouabdallah Ghoulamallah serait que le HCI soit dissous à l’occasion de l’amendement de la Constitution. Il est clair que le ministre n’a aucun problème avec cette institution en tant que telle, mais voue une haine sans limites à ses membres, notamment envers Cheïkh Bouamrane, le président du HCI. Pour bien comprendre la situation, il faut savoir que les personnalités qui siègent au sein du Haut-Conseil islamique sont des représentants des confréries religieuses les plus importantes et les plus influentes d’Algérie. Ces personnalités font de l’ombre à Ghoulamallah, lui-même issu d’une zaouïa dont l’influence n’est que très limitée », explique une source très au fait de ce dossier. Selon elle, Ghoulamallah n’a aucune chance de voir son projet aboutir. Et ce pour diverses raisons. «Pourquoi Bouteflika irait-il s’en prendre à des personnalités aussi importantes que les membres du HCI à quelques mois seulement des élections présidentielles ? D’autant plus que les confréries religieuses ont toujours été un de ses principaux soutien. Sur un autre plan, les textes actuels attribuent au seul président de la République le droit de saisir le HCI pour prononcer des fetwas, ce qui n’est pas le cas dans le projet de Ghoulamallah. A ce titre, pourquoi Abdelaziz Bouteflika accepterait de partager ce droit ?
Enfin, le bilan de Ghoulamallah à la tête du ministère des Affaires religieuses est considéré comme catastrophique. Sa gestion est entachée de scandales. Il suffit de revenir sur l’affaire du Hadj, le dossier du Fonds de la Zakat ou encore la gestion des biens habous pour s’en rendre compte. D’ailleurs Ghoulamallah reconnaît lui-même que l’IGF (Inspection générale des finances) a élu domicile dans son département.» Pourtant ces derniers temps, le ministre des Affaires religieuses est revenu à la charge en annonçant la création de Dar el-Ifta «pour le courant du mois de septembre». Alors, info ou intox ?
Par le soir