À BORD D'UN NAVIRE DE MSF, AU SECOURS DES MIGRANTS EN MÉDITERRANÉE
3 QUESTIONS À ANNE-CORINNE MORAINE
Thalassa était à bord du Dignity One, l’un des deux navires de secours de Médecins Sans Frontières qui patrouillent en Méditerranée pour porter secours à ceux qui fuient des guerres ou la misère économique.
Ils sont souvent plus de 120, entassés dans des bateaux pneumatiques de 9 mètres de long… A chaque sauvetage, tout l’équipage se mobilise pour accueillir et soigner des femmes, des enfants, des hommes. Pour Thalassa, la journaliste Anne-Corinne Moraine revient sur ce tournage un peu spécial.
QUELLE ÉTAIT L'AMBIANCE À BORD DE DIGNITY ONE ?
MSF nous avait donné rendez-vous dans le port de La Valette, à Malte. C’est là, dans un chantier naval, que leur navire de secours, le Dignity One, subissait ses dernières révisions avant une nouvelle mission de sauvetage en Méditerranée. Nous embarquons pour une mission qui, habituellement, dure maximum 10 jours. Mais l’automne pointe son nez. Sur la Méditerranée, une belle houle commençait à se soulever et la météo est de moins en moins propice au départ des migrants. Laure Linot, ma camerawoman, et moi attendons à bord près d’une semaine sans aucune embarcation à l’horizon. Faute de sauvetage possible, la capitaine du Dignity One décide alors de rentrer à Malte pour une rotation de techniciens. Nous demandons à MSF d’embarquer pour une deuxième mission. Accordé !
Cap au large des eaux libyennes. 24 heures après notre arrivée sur zone, l’équipe de MSF accomplit deux sauvetages de bateaux pneumatiques successifs. Les migrants du premier sont transférés sur un navire de la Guardia Civil espagnole, et ceux du second, emmenés directement en Sicile. Au total, nous avons passé près de trois semaines à bord du navire de secours de MSF.
À bord se mêlent harmonieusement équipe médicale, marins, logisticiens, coordinateur de secours.Venus d’horizons professionnels différents, du monde entier, ils semblent tous soudés autour d’une même cause. Certains consacrent quelques mois à MSF, d’autres leur carrière. Des acteurs humanitaires dans l’âme qui parlent le même langage, en anglais, espagnol, grec ou français. Cela se voit et s’entend. Entre les sauvetages, ils apprennent peu à peu à se connaître, dans la joie et la bonne humeur.
Pendant les sauvetages, la solidarité est omniprésente. Tout le monde est sur le pont. Même le cuisinier, les marins et mécaniciens aident les migrants épuisés à monter à bord. Sur leurs visages, des sourires, et dans leurs gestes, des manifestations d’empathie profonde à l’égard de tous ces hommes, femmes et enfants qui viennent de vivre l’enfer en mer.
Et nous nous sommes intégrés au milieu de l’équipage, au même titre que tous. Avec le sentiment d’en faire presque partie…
DANS VOTRE REPORTAGE, ON ASSISTE AU SAUVETAGE D'UNE CENTAINE DE RÉFUGIÉS DÉRIVANT SUR UN CANOT PNEUMATIQUE. ÉTAIT-CE COMPLIQUÉ DE TOURNER DANS LES CONDITIONS D'UNE MISSION HUMANITAIRE D'URGENCE ?
Lors des sauvetages, Laure et moi devons être omniprésentes pour filmer des actions rapides, multiples et simultanées. C'est le cas, lorsqu'est signalé au loin un canot dérivant avec une centaine de migrants à son bord.
Après le briefing de la capitaine sur la passerelle, avec tout l’équipage, la machine humanitaire est en route.
Laure doit embarquer très vite avec les premières équipes de MSF qui partent dans des canots pneumatiques apporter aux migrants les premiers gilets de sauvetage. Elle doit se faire la plus petite possible pour ne pas gêner les secours, tout en témoignant de la réalité de ce sauvetage délicat.
Une fois à bord du Dignity One, nous filmons l’accueil de plus de 120 migrants traumatisés, éreintés, hissés parfois difficilement … Les hommes les plus vaillants sont installés sur les ponts inférieurs et supérieurs, les femmes et les enfants à l’intérieur du bateau. L’équipe de l’ONG leur distribue des rations alimentaires, des combinaisons pour pouvoir changer leurs vêtements mouillés.
Nous voulons être les témoins de ces actions humanitaires à bord, à travers certains membres de l’équipe de MSF, capitaine, infirmière et sage-femme… Nous suivrons également deux migrants. Parce que leur histoire nous émeut, parce qu’ils sont ce jour-là , parmi les plus vulnérables.
Nous passerons beaucoup de temps avec l’équipe médicale du navire, notamment aux côtés d’un jeune ghanéen inanimé, et de son ami qui nous raconte leur périple infernal… Nous nous attachons à eux pendant tout le voyage de retour vers l’Europe. Jour et nuit. Pendant près d’une semaine de sauvetage, nous sommes sur le pont 20 heures sur 24...
QUEL EST LE SOUVENIR LE PLUS FRAPPANT QUE VOUS GARDEREZ DE CE TOURNAGE ?
Je me souviendrai toute ma vie de cette jeune camerounaise débarquant du canot pneumatique, enceinte de 9 mois. Elles étaient 6 ce jour-là, enceintes, à prendre tous les risques pour traverser la Méditerranée.
Collins a fui comme beaucoup d’autres la terreur et l’horreur des actions du groupe islamiste terroriste Boko Haram dans son pays. Quand elle monte à bord de Dignity One, elle est sur le point d'accoucher.
Immédiatement, Collins est allongée dans la salle médicale. Deux heures de travail, avec à ses côtés, Astride, la sage-femme de MSF, Noelia l’infirmière et Javier le médecin…
Laure et moi nous efforçons d’être les plus discrètes possible, dans une pièce minuscule. Collins est francophone, la sage-femme pas vraiment. Naturellement, je reste près de la future maman pendant tout l’accouchement, lui tenant parfois la main, la rassurant, traduisant les conseils de la sage-femme.
L’accouchement se déroule en quelques minutes, sans aucune complication. Heureusement !
Cette naissance est une première à bord des bateaux de secours des migrants en Méditerranée.
Émue, je le suis, profondément, tout comme Laure et tout l’équipage, lorsque Divane vient au monde et pousse son premier cri, un peu comme un miracle.
Les dernières images, inoubliables, que je garderai, sont encore incroyables à mes yeux : Collins debout, deux heures après son accouchement, le visage radieux, devant son nouveau-né à qui la sage-femme mettait un gilet de sauvetage pour embarquer sur un navire de la Guardia Civil. Collins nous confie alors qu’elle vient « de donner un deuxième prénom à son bébé…le nom du bateau : Dignity…pour qu’il se souvienne que c’est ici qu’il est né ». Comme un hommage à ceux qui ont fait basculer sa vie et celle de son enfant, de l’enfer à l’espoir. Nous regardons Collins et Divane-Dignity s’éloigner dans le bateau de la Guardia Civil. Une autre histoire les attend alors… Et cette histoire, MSF ne la connaitra jamais, car les migrants, une fois sauvés et emmenés en Italie pour la plupart, l’ONG n’en a plus aucune nouvelle. Je garderai de Collins l’image d’une femme d’un courage et d’une dignité extraordinaire. Une leçon de vie, de survie bouleversante…
3 QUESTIONS À ANNE-CORINNE MORAINE
Thalassa était à bord du Dignity One, l’un des deux navires de secours de Médecins Sans Frontières qui patrouillent en Méditerranée pour porter secours à ceux qui fuient des guerres ou la misère économique.
Ils sont souvent plus de 120, entassés dans des bateaux pneumatiques de 9 mètres de long… A chaque sauvetage, tout l’équipage se mobilise pour accueillir et soigner des femmes, des enfants, des hommes. Pour Thalassa, la journaliste Anne-Corinne Moraine revient sur ce tournage un peu spécial.
QUELLE ÉTAIT L'AMBIANCE À BORD DE DIGNITY ONE ?
MSF nous avait donné rendez-vous dans le port de La Valette, à Malte. C’est là, dans un chantier naval, que leur navire de secours, le Dignity One, subissait ses dernières révisions avant une nouvelle mission de sauvetage en Méditerranée. Nous embarquons pour une mission qui, habituellement, dure maximum 10 jours. Mais l’automne pointe son nez. Sur la Méditerranée, une belle houle commençait à se soulever et la météo est de moins en moins propice au départ des migrants. Laure Linot, ma camerawoman, et moi attendons à bord près d’une semaine sans aucune embarcation à l’horizon. Faute de sauvetage possible, la capitaine du Dignity One décide alors de rentrer à Malte pour une rotation de techniciens. Nous demandons à MSF d’embarquer pour une deuxième mission. Accordé !
Cap au large des eaux libyennes. 24 heures après notre arrivée sur zone, l’équipe de MSF accomplit deux sauvetages de bateaux pneumatiques successifs. Les migrants du premier sont transférés sur un navire de la Guardia Civil espagnole, et ceux du second, emmenés directement en Sicile. Au total, nous avons passé près de trois semaines à bord du navire de secours de MSF.
À bord se mêlent harmonieusement équipe médicale, marins, logisticiens, coordinateur de secours.Venus d’horizons professionnels différents, du monde entier, ils semblent tous soudés autour d’une même cause. Certains consacrent quelques mois à MSF, d’autres leur carrière. Des acteurs humanitaires dans l’âme qui parlent le même langage, en anglais, espagnol, grec ou français. Cela se voit et s’entend. Entre les sauvetages, ils apprennent peu à peu à se connaître, dans la joie et la bonne humeur.
Pendant les sauvetages, la solidarité est omniprésente. Tout le monde est sur le pont. Même le cuisinier, les marins et mécaniciens aident les migrants épuisés à monter à bord. Sur leurs visages, des sourires, et dans leurs gestes, des manifestations d’empathie profonde à l’égard de tous ces hommes, femmes et enfants qui viennent de vivre l’enfer en mer.
Et nous nous sommes intégrés au milieu de l’équipage, au même titre que tous. Avec le sentiment d’en faire presque partie…
DANS VOTRE REPORTAGE, ON ASSISTE AU SAUVETAGE D'UNE CENTAINE DE RÉFUGIÉS DÉRIVANT SUR UN CANOT PNEUMATIQUE. ÉTAIT-CE COMPLIQUÉ DE TOURNER DANS LES CONDITIONS D'UNE MISSION HUMANITAIRE D'URGENCE ?
Lors des sauvetages, Laure et moi devons être omniprésentes pour filmer des actions rapides, multiples et simultanées. C'est le cas, lorsqu'est signalé au loin un canot dérivant avec une centaine de migrants à son bord.
Après le briefing de la capitaine sur la passerelle, avec tout l’équipage, la machine humanitaire est en route.
Laure doit embarquer très vite avec les premières équipes de MSF qui partent dans des canots pneumatiques apporter aux migrants les premiers gilets de sauvetage. Elle doit se faire la plus petite possible pour ne pas gêner les secours, tout en témoignant de la réalité de ce sauvetage délicat.
Une fois à bord du Dignity One, nous filmons l’accueil de plus de 120 migrants traumatisés, éreintés, hissés parfois difficilement … Les hommes les plus vaillants sont installés sur les ponts inférieurs et supérieurs, les femmes et les enfants à l’intérieur du bateau. L’équipe de l’ONG leur distribue des rations alimentaires, des combinaisons pour pouvoir changer leurs vêtements mouillés.
Nous voulons être les témoins de ces actions humanitaires à bord, à travers certains membres de l’équipe de MSF, capitaine, infirmière et sage-femme… Nous suivrons également deux migrants. Parce que leur histoire nous émeut, parce qu’ils sont ce jour-là , parmi les plus vulnérables.
Nous passerons beaucoup de temps avec l’équipe médicale du navire, notamment aux côtés d’un jeune ghanéen inanimé, et de son ami qui nous raconte leur périple infernal… Nous nous attachons à eux pendant tout le voyage de retour vers l’Europe. Jour et nuit. Pendant près d’une semaine de sauvetage, nous sommes sur le pont 20 heures sur 24...
QUEL EST LE SOUVENIR LE PLUS FRAPPANT QUE VOUS GARDEREZ DE CE TOURNAGE ?
Je me souviendrai toute ma vie de cette jeune camerounaise débarquant du canot pneumatique, enceinte de 9 mois. Elles étaient 6 ce jour-là, enceintes, à prendre tous les risques pour traverser la Méditerranée.
Collins a fui comme beaucoup d’autres la terreur et l’horreur des actions du groupe islamiste terroriste Boko Haram dans son pays. Quand elle monte à bord de Dignity One, elle est sur le point d'accoucher.
Immédiatement, Collins est allongée dans la salle médicale. Deux heures de travail, avec à ses côtés, Astride, la sage-femme de MSF, Noelia l’infirmière et Javier le médecin…
Laure et moi nous efforçons d’être les plus discrètes possible, dans une pièce minuscule. Collins est francophone, la sage-femme pas vraiment. Naturellement, je reste près de la future maman pendant tout l’accouchement, lui tenant parfois la main, la rassurant, traduisant les conseils de la sage-femme.
L’accouchement se déroule en quelques minutes, sans aucune complication. Heureusement !
Cette naissance est une première à bord des bateaux de secours des migrants en Méditerranée.
Émue, je le suis, profondément, tout comme Laure et tout l’équipage, lorsque Divane vient au monde et pousse son premier cri, un peu comme un miracle.
Les dernières images, inoubliables, que je garderai, sont encore incroyables à mes yeux : Collins debout, deux heures après son accouchement, le visage radieux, devant son nouveau-né à qui la sage-femme mettait un gilet de sauvetage pour embarquer sur un navire de la Guardia Civil. Collins nous confie alors qu’elle vient « de donner un deuxième prénom à son bébé…le nom du bateau : Dignity…pour qu’il se souvienne que c’est ici qu’il est né ». Comme un hommage à ceux qui ont fait basculer sa vie et celle de son enfant, de l’enfer à l’espoir. Nous regardons Collins et Divane-Dignity s’éloigner dans le bateau de la Guardia Civil. Une autre histoire les attend alors… Et cette histoire, MSF ne la connaitra jamais, car les migrants, une fois sauvés et emmenés en Italie pour la plupart, l’ONG n’en a plus aucune nouvelle. Je garderai de Collins l’image d’une femme d’un courage et d’une dignité extraordinaire. Une leçon de vie, de survie bouleversante…
Un reportage de Anne-Corinne Moraine et Laure Linot
Une production France3 - Thalassa