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Prisons :La nouvelle loi du milieu

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    Prisons :La nouvelle loi du milieu

    Les figures du grand banditisme ont longtemps tenu le haut du pavé dans les établissements pénitentiaires. Comme le montre le dernier film Le Prophète de Jacques Audiard, leur influence se trouve contestée par une génération de détenus venus des cités.
    La prison, il ne l'avait vue qu'à l'écran. "Je n'étais pas préparé à vivre une telle expérience", témoigne ce promoteur immobilier. Mis en examen dans une affaire financière, ce chef d'entreprise arrive au beau milieu de la nuit à la Santé, à Paris. "Mes deux premiers compagnons de cellule, un cambrioleur et un trafiquant d'armes, m'ont protégé comme un enfant perdu. Tout a dégénéré en cour de promenade. Deux Tunisiens voulaient me faire la peau si je ne leur versais pas de l'argent. J'ai dû payer environ 15 000 euros en deux fois." Seule l'intervention de détenus juifs, comme lui, rassemblés au même étage de la prison, mettra fin au racket...
    Les chefs de clan et les caïds font-ils la loi en prison, comme le suggère le film de Jacques Audiard, Un prophète? Des épisodes douloureux comme celui vécu par ce promoteur immobilier il y a quelques années, bon nombre d'ex-détenus en racontent. L'ampleur du phénomène est nié par l'administration pénitentiaire (AP), confrontée à la délicate gestion d'une population de 62 420 personnes, dont environ 14 000 condamnés à des peines supérieures à cinq ans. Quant aux surveillants, ils insistent sur la difficulté d'identifier les vrais caïds, rarement en première ligne dans la vie carcérale.
    Quelques signes, réservés aux initiés, ne trompent guère. En prison comme à la ville s'imposent des "règles de préséance". "Qui aura le premier accès à la douche? Qui engagera la partie de foot? Ces détails en disent long", décode un gardien. L'utilisation du téléphone mobile, interdite en prison, fournit un autre indice. Des "porteurs", souvent rémunérés, se chargent de cacher, l'un la puce, l'autre l'appareil. Ce qui met le caïd, utilisateur privilégié, à l'abri d'une fouille de l'administration et d'un éventuel envoi au quartier disciplinaire, le fameux mitard.
    La cour demeure l'endroit le plus craint des surveillants
    L'aura des grands noms du banditisme précède leur arrivée en détention. Reportages télévisés et "radio prison" font et défont les réputations. Marc Hornec, considéré par les policiers comme l'un des parrains du milieu parisien, est l'objet d'une cour assidue depuis son arrestation par le GIGN en février 2008. "Pendant la promenade, raconte un témoin, il est bien vu de faire un tour avec lui. C'est une sorte d'honneur."
    La cour, seul endroit de la prison où tous les détenus peuvent se croiser, est le lieu où se manifeste et s'exerce le pouvoir des clans et de leurs chefs. "C'est comme la place du village en Corse ou le rond-point du quartier", résume Me Jean-Yves Liénard, avocat de plusieurs figures du banditisme.
    Selon une étude de l'AP de juillet 2007, le nombre de détenus issus du grand banditisme national a augmenté de 5,83 % en trois ans. Le nombre de personnes incarcérées pour terrorisme subit une hausse encore plus forte - Corses (+ 20 %), Basques (+ 96 %). Le chiffre des islamistes écroués reste en revanche stable. Ces "détenus particulièrement signalés" se rassemblent par affinités. "La promiscuité de la détention parvient même à réunir des personnes qui, sur l'île, auraient pu s'entre-tuer", raconte Me Eric Barbolosi, avocat de militants nationalistes.
    Dans ces conditions, la cour demeure l'endroit le plus craint des surveillants. "Les analyses conduites montrent qu'il y a des lieux de violence (certains angles des cours de promenade, les douches)" ainsi que "des moments de violences (en fin de journée, après la relève des personnels)", précise le document de la pénitentiaire cité plus haut.
    Ces rapports de force, voire ces affrontements, sont souvent liés aux trafics internes. Gabriel Mouesca, ancien militant séparatiste basque et ex-président de l'Observatoire international des prisons (OIP), une ONG qui se consacre aux droits des prisonniers, a passé dix-sept années derrière les barreaux. Il y a été le témoin direct de ces frictions: "Un jour, à Arles, un arrivant a tenté d'installer son réseau de shit alors qu'il y en avait déjà un. Les caïds de la place ont manipulé des pauvres types. Ceux-ci ont passé l'intrus à tabac avec des chaussettes remplies de boîtes de thon." L'année dernière, dans les prisons françaises, 464 "actes de violence" ont été commis entre détenus. Trois d'entre eux en sont morts. Une statistique préoccupante, mais bien inférieure à celles enregistrées aux Etats-Unis ou au Brésil.
    Des cellules surpeuplées
    -Après avoir connu un pic en 2008, le nombre de détenus a légèrement diminué ces derniers mois. Mais, en majorité, les 194 prisons françaises restent surpeuplées. Au 1er août, 62 420 personnes, dont 733 mineurs, étaient incarcérées. Environ un quart d'entre elles se trouvaient en attente de jugement alors que les trois quarts purgeaient leur peine.
    -Les 111 maisons d'arrêt sont conçues pour accueillir principalement des personnes en détention provisoire. Les maisons centrales sont, elles, destinées aux condamnés définitifs, et, plus généralement, aux individus jugés dangereux.
    -Le projet de loi pénitentiaire adopté en mars par le Sénat doit être discuté à l'Assemblée nationale à la mi-septembre. Il s'agit de mettre en conformité les prisons françaises avec les normes européennes en matière de respect de la dignité des détenus. Selon les projections du ministère de la Justice, la population carcérale pourrait atteindre 80 000 personnes en 2017...

    La règle commune adaptée à la tête du client
    Pour autant, il ne faut pas voir la main des caïdsderrière chaque incident. Leur principal souci reste leur tranquillité, qui passe par la paix sociale dans la prison. Au temps de sa splendeur, Francis Vanverberghe, dit "le Belge", avait imposé son ordre à Nice (Alpes-Maritimes), où il était incarcéré. L'ancien proxénète, abattu à Paris en septembre 2000, régnait alors sur le milieu dans le sud de la France. "Il avait à son service exclusif un homme de ménage et un cuisinier", se rappelle un enquêteur de la police judiciaire. "Menaçant de semer le désordre, le Belge avait même obtenu de la direction le droit de se regrouper avec ses amis au rez-de-chaussée de l'établissement", assure un avocat.


    Y aurait-il une forme de cogestion? La tranquillité de la détention tient-elle seulement à quelques passe-droits? Une promenade plus longue, des portes de cellules ouvertes en journée ou la possibilité de faire l'amour avec sa compagne au parloir sans être interrompu...
    "En théorie, le même règlement doit s'appliquer partout et pour tous", affirme Patrick Marest, délégué général de l'OIP. "Mais localement, regrette-t-il, les surveillants verront toujours des avantages à adapter la règle commune à la tête du client. La marge de pouvoir du caïd est là." Gabriel Mouesca va encore plus loin : "L'administration sait qui trafique, quelle quantité et combien cela rapporte. Et pourtant elle ferme les yeux."
    "La tentation de déléguer au caïdat un soupçon de pouvoir a pu exister dans un passé lointain. Mais c'est une vision datée de trente ans! Il n'y a pas de réseaux mafieux en prison", s'insurge Jean-François Beynel, directeur adjoint de l'AP. "De plus, l'administration a profondément changé. Les conditions de détention sont meilleures. Les surveillants ont un niveau de formation plus élevé et ont acquis des compétences professionnelles renforcées. Quant aux détenus, ils ne fonctionnent plus selon les usages qui étaient ceux de la criminalité d'antan."
    Administration et associations tombent d'accord sur un point: la forte augmentation de jeunes de 18 à 35 ans et, en parallèle, la multiplication des incidents violents. Ce qui entraîne des conflits de générations et de voisinage. "A la centrale de Poissy arrivent de plus en plus de jeunes qui, âgés d'une vingtaine d'années, ont déjà une renommée dans leur cité et un profil criminogène lourd. La cohabitation ne va pas de soi, car ils veulent recréer la banlieue en prison", explique Jean-Jacques Racamy, l'un des responsables du syndicat Ufap-Paris. Les revendications de ces nouveaux entrants sont aussi plus individualistes. Témoin, dans un établissement de la région parisienne, cette grogne récente contre l'interdiction de l'usage des jeux électroniques.
    Avec ces jeunes, un incident aussi bénin, en apparence, que le bruit d'une radio nuit et jour sur le bord de la fenêtre d'une cellule peut rapidement dégénérer. Même les usages traditionnels volent en éclats, comme la règle non écrite de ne jamais frapper un gardien de peur de la punition collective. "Les codes de conduite qui étaient en vigueur, même dans la marginalité, s'estompent", constate l'avocat parisien Léon-Lef Forster.
    Dedans comme dehors, les caïds, à l'image de Cesar Luciani, un des héros du film Un prophète, déclinent. Ils cèdent du terrain aux bandes issues des cités et à leurs chefs. Les parrains de demain.
    Source : L’express
    Mieux vaut un cauchemar qui finit qu’un rêve inaccessible qui ne finit pas…
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