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La Méditerranée est le centre-ville de la planète

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  • La Méditerranée est le centre-ville de la planète

    Jean-Paul Guilloteau

    Dominique Baudis, président de l'Institut du monde arabe.

    Dans son dernier roman, Les Amants de Gibraltar, Dominique Baudis, également président de l'Institut du monde arabe, ausculte la cohabitation des civilisations en Méditerranée. Une fiction qui éclaire aussi les interrogations du présent.

    Constant et souriant, Dominique Baudis, qui préside aux destinées de l'Institut du monde arabe, affiche la sérénité d'un sultan. Il mène de front son rôle de diplomate de la culture et une carrière d'écrivain adepte du roman historique. Le dernier paru, Les Amants de Gibraltar (Grasset), raconte une intrigue stratégique autour du basculement central des civilisations en Méditerranée. Espionnage et théologie, choc des empires, mélange des cultures et amours tumultueuses au coeur d'un Moyen Age décisif. Baudis explique à L'Express où et comment il puise sa source d'inspiration. Et comment il dissocie fiction et réalité au service d'une même passion du dialogue.

    Dans votre dernier roman, Les Amants de Gibraltar, vous vous embarquez de nouveau vers l'Orient, alors que vous y baignez déjà dans vos fonctions. Pourquoi préférez-vous le roman à l'essai?

    Par goût, avant tout. Je lis beaucoup de romans et j'aime en écrire. Je trouve beaucoup de plaisir à me plonger dans une époque précise, avec ses figures historiques réelles, et à y introduire des personnages de fiction afin que le lecteur visite les lieux et les siècles en partageant les rebonds d'une aventure humaine. Les Amants de Gibraltar est un roman d'espionnage qui raconte comment des services secrets, au VIIIe siècle, ont contribué à modifier le cours de l'Histoire et à façonner pour des siècles le destin de la Méditerranée. J'aime l'inventivité qu'offre cet exercice et je trouve du bonheur à écrire, alors que je craindrais d'ennuyer le lecteur en signant un essai. Cela dit, je ne perds jamais de vue que la toile de fond historique permet de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Tous mes romans se sont inscrits dans le monde méditerranéen parce que je suis très attaché à la dialectique Orient-Occident, monde musulman-monde chrétien.

    Est-ce pour cela que, cette fois, vous remontez aux origines mêmes de la séparation entre ces deux civilisations?

    L'action se situe effectivement à un moment historique crucial, au début du VIIIe siècle, à une époque où l'Empire byzantin, avec Constantinople pour capitale, est confronté au tout jeune empire musulman, dont le pouvoir central siège à Damas. En l'espace de trois quarts de siècle, l'islam a conquis des territoires extrêmement vastes, de l'Arabie au Caucase, et du Maghreb à l'Indus. Les Arabes sont en Asie, en Afrique, mais pas encore sur le troisième continent connu de l'Antiquité. Leur objectif est donc d'entrer en Europe, à la fois pour la convertir et pour la conquérir.

    Mais il y a deux portes possibles. La première, la grande, c'est Constantinople; le calife omeyyade veut soumettre la cité de Justinien parce qu'elle commande le passage d'Asie en Europe. C'est aussi l'héritière de l'Empire romain, une ville riche et glorieuse. Pour se défendre, les Byzantins, qui ont laissé une réputation de ruse et d'intelligence, imaginent de détourner l'invasion en la déviant vers la deuxième porte de l'Europe, l'autre détroit, à l'autre bout de la Méditerranée. Ce sont les colonnes d'Hercule, entre le Maroc et l'Espagne d'aujourd'hui. Un agent secret, Angelos, qui est le personnage central de mon roman, va mener à bien ce projet avec l'accord de l'empereur byzantin. Suit une série d'intrigues qui vise à amener les musulmans à se diriger vers Gibraltar pour entrer en Europe. C'est ce qui va se produire et modifier le paysage de la Méditerranée, jusqu'à aujourd'hui.

    Rétrospectivement, le plan byzantin n'a pas servi à grand-chose...?

    Si, quand même. Les musulmans vont rester sept siècles en Espagne. Par une convergence historique étonnante, au moment où ils seront chassés de la péninsule Ibérique, les Turcs prendront Constantinople. On peut donc penser que l'entrée des musulmans en Espagne a accordé à l'Empire byzantin un sursis de sept cents ans.

    Aujourd'hui, où la place de l'islam fait débat dans toute l'Europe, on a tendance à oublier que sa présence est en fait très ancienne...?

    La traversée du détroit de Gibraltar s'inscrit dans l'Histoire comme la première entrée des musulmans en Europe. Je voulais savoir par quel concours de circonstances cet événement s'est produit. Or, en effectuant mes recherches, j'ai découvert que ce n'était pas le plan initial du calife omeyyade, à Damas. Il m'a paru important de le rappeler et d'enrouler mon récit autour de ce fait historique majeur.

    L'idée d'un "choc des civilisations" ne date pas d'hier...?

    Il faut voir les choses autrement. Historiquement, le monde méditerranéen est un véritable "continent liquide", comme l'a dit Fernand Braudel. C'est un lieu d'échanges permanents et, forcément, un point de friction entre les civilisations. Aujourd'hui, à l'heure du village global, les Méditerranéens habitent le même quartier de la planète.

    La Méditerranée est porteuse de sacré, donc d'absolu. On le voit à travers le conflit israélo-arabe ?

    Nous sommes tous voisins et, comme il se doit, il y a des périodes de rapprochement, mais aussi des troubles de voisinage, voire de sérieuses disputes d'un bord à l'autre. Notre quartier est tumultueux, mais il est, dans le village global, le centre-ville historique. C'est là que se sont accomplis les grands progrès de l'humanité: l'agriculture, la sédentarisation, l'urbanisation, l'écriture et les monothéismes. Ces civilisations ont ensuite essaimé sur le reste de la planète.

    Pourquoi la Méditerranée a-t-elle très tôt tenu ce rôle de "centre-ville", plutôt que d'autres régions du monde?

    Les hommes de l'Antiquité ne connaissent que trois continents: l'Asie, l'Afrique et l'Europe. Or ces trois continents s'articulent autour de la Méditerranée, qui compte un rivage sur chacun d'eux. Suivant en cela la tectonique des plaques, la Méditerranée sert de point d'articulation tout en enregistrant des secousses terribles.

    Quand on comptabilise les conflits qui perdurent au sein du monde méditerranéen, on est en droit de se demander pourquoi ils ne trouvent toujours pas de résolution au fil des siècles. Pourquoi cette persistance?

    La Méditerranée est porteuse de sacré, donc d'absolu. On le voit à travers le conflit israélo-arabe, dont le point paroxystique porte précisément sur Jérusalem et les lieux saints. On sait que, sur la question des colonies ou du tracé des frontières, un accord est un jour possible. En revanche, la plus grande difficulté demeure au sujet de Jérusalem. Le sacré ne se prête pas au compromis, d'autant moins que la discorde ne date pas de la création d'Israël. Dès l'origine de l'islam, et même du christianisme, le fossé se creuse.
    "La Méditerranée est le centre-ville de la planète"


    Du coup, dans la phase de mondialisation que nous connaissons, avec l'émergence de l'Asie, de l'Amérique latine, de l'Afrique du Sud, la Méditerranée semble s'inscrire à l'écart du monde, comme une sorte de conservatoire du passé où le temps a suspendu son vol...?

    Je ne crois pas que la Méditerranée soit à l'écart du monde. Tout événement qui s'y produit connaît un retentissement planétaire. Quand on enregistre une secousse politique à Jérusalem, son écho se fait entendre dans tout le monde musulman, jusqu'au Pakistan, en Amérique du Nord et du Sud, sans parler de l'Europe. Ensuite, pour des raisons préoccupantes, l'avenir de la Méditerranée a des répercussions constantes sur toute la communauté internationale.

    La présence de 40 000 soldats turcs dans le nord de Chypre, la fermeture de la frontière entre l'Algérie et le Maroc depuis plus de dix ans, l'avenir même de cette mer - qui représente moins de 1% de la surface liquide du globe, mais 35% du commerce maritime mondial et plus de 30% des migrations touristiques estivales - sont autant de sujets qui dépassent largement les limites géographiques du bassin méditerranéen. D'où, d'ailleurs, l'impulsion du processus de Barcelone, lancé en 1995, qui a été amplifié par l'initiative prise par Nicolas Sarkozy dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée (UPM).

    Initiative freinée par le conflit israélo-arabe, comme le fut, avant elle, le processus de Barcelone...?

    Depuis le succès de la réunion de Paris et le lancement de l'UPM, en juillet 2008, il y a eu le bombardement de Gaza et l'arrivée au pouvoir, en Israël, d'une coalition gouvernementale Netanyahou-Lieberman, particulièrement intransigeante. Mais on peut espérer qu'à un moment ou à un autre de tels obstacles finiront par être surmontés. L'Union pour la Méditerranée n'est pas morte; elle est enlisée. Il faut travailler à sa relance. C'est ce que nous faisons au sein de l'Institut du monde arabe, puisque l'un des volets de la démarche euro-méditerranéenne repose sur le dialogue interculturel. Chez nous, ce n'est pas une simple phrase; un million de visiteurs annuels peuvent découvrir, au bord de la Seine, ce qu'est la civilisation arabe ou musulmane. Il existe un vrai désir de connaître l'autre, même s'il est certain qu'il y aura toujours des forces qui tireront en sens inverse.
    « Ça m'est égal d'être laide ou belle. Il faut seulement que je plaise aux gens qui m'intéressent. »
    Boris Vian

  • #2
    la suite ...

    Face à l'émergence de l'Asie ou aux grandes évolutions du monde contemporain, pourquoi le monde arabe donne-t-il l'impression de rester à l'écart?

    Sur le monde arabe pèse de lourds handicaps. D'abord, une forte dispersion géographique: on parle d'un ensemble de pays qui ont des horizons, et des intérêts, divergents. De la Mauritanie au nord de l'Irak, les préoccupations changent. Des sous-ensembles régionaux présentent des caractéristiques très différentes: Maghreb, Machrek, Golfe, Corne de l'Afrique... Ensuite, il existe une très grande disparité de richesse. Parmi les 22 pays membres de la Ligue arabe, certains font partie des pays les plus riches du monde, d'autres figurent parmi les plus pauvres. On trouve la Somalie au plus bas du classement mondial, et le Qatar ou Abou Dhabi en tête de liste du revenu par habitant. Mais cela ne doit pas faire oublier les atouts.

    Lesquels?

    La communauté de langue, qui définit d'ailleurs le critère d'appartenance. C'est ce qui permet au monde arabe d'accéder à une visibilité médiatique planétaire. Depuis une dizaine d'années, des chaînes telles qu'Al-Jazira ou Al-Arabiya ont acquis un rayonnement impressionnant, qui s'étend sur tous les continents. C'est un instrument d'influence tout à fait nouveau qui repose sur une remarquable maîtrise des technologies les plus avancées. Souvenez-vous que, pendant la première guerre du Golfe, il n'existait que CNN. Il n'y a pas que cela.

    Sur la crise du Proche-Orient, il existe désormais un plan de paix - sur la proposition du roi d'Arabie saoudite, Abdallah - accepté par tous les pays arabes. Ces derniers sont prêts à reconnaître l'Etat d'Israël en échange de la restitution des territoires occupés en 1967. C'est une base sérieuse qui coïncide avec l'approche européenne et avec les positions prises par le président Obama, sitôt après son élection: un Etat israélien, un Etat palestinien, chacun des deux ayant Jérusalem pour capitale.

    Enfin, certains pays arabes participent de manière décisive à la mondialisation économique. Du fait de leur richesse pétrolière, les Etats du Golfe sont devenus des acteurs disposant d'une expertise financière décisive qui n'a rien à envier à celles des grands intervenants asiatiques. Je constate que, Dubaï mis à part, les pays du Golfe résistent plutôt bien à la crise.

    Reste à mesurer l'état réel des sociétés civiles...

    Là aussi, les choses changent. Jusqu'à présent, les acteurs majeurs étaient les pouvoirs politiques ou l'armée, en l'absence de corps intermédiaires suffisamment significatifs. Désormais, on voit apparaître des structures associatives qui s'imposent comme de véritables interlocuteurs des pouvoirs publics. J'ai découvert le monde arabe au début des années 1970 et il n'existait que peu d'échelons représentatifs entre les appareils politiques et le peuple.

    L'Union pour la Méditerranée n'est pas morte; elle est enlisée. Il faut travailler à sa relance

    Ce n'est plus vrai aujourd'hui. La condition de la femme évolue de manière rapide et profonde, ce que la question du voile, qui nous occupe tant en ce moment, occulte complètement. Dans le Golfe, le rôle des femmes s'est transformé et les businesswomen comme les épouses d'émir donnent le ton. C'est très visible dans les domaines de l'éducation, de la santé et de la culture. Les femmes arabes prennent des initiatives de plus en plus nombreuses et s'expriment au niveau international.

    J'ajoute qu'une ouverture d'esprit sans précédent est en train de s'effectuer à travers des projets culturels comme le Louvre d'Abou Dhabi. Ce sont des choix politiques extrêmement importants de la part des régimes en place. Car s'ouvrir à la culture universelle est pour ces pays un investissement coûteux. Ils auraient pu avoir d'autres préférences. Or ils ont décidé de s'adresser aux Occidentaux dans leur volonté de transmettre un nouveau savoir et une nouvelle sensibilité. Il est à noter que l'ouverture de l'antenne du Louvre à Abou Dhabi a suscité beaucoup plus de débats à Paris que sur place.

    Et l'islam?

    Le fondamentalisme musulman est un problème qui ne date pas d'aujourd'hui. De tout temps, il a existé au sein de l'islam une lutte féroce entre les tenants de l'obscurantisme et les partisans de l'ouverture. Cette réalité se double d'une autre constatation : avant même de constituer une menace en Europe, les tendances radicales de l'islam menacent les gouvernements des pays d'où elles sont issues. Mais attention aux termes choisis. En Turquie, un gouvernement démocratiquement élu s'appuie sur un parti baptisé islamiste. Cet exemple démocratique s'oppose aux mouvements, également nommés islamistes, qui sévissent dans d'autres pays en rejetant toute forme de démocratie. En réalité, la vraie menace, ce sont les djihadistes, qui veulent imposer une vision rétrograde de l'islam en recourant à la violence. Ceux-là rêvent de faire de l'islam un mode de gouvernement et une règle de vie en société. C'est la raison pour laquelle je pense que nous avons raison, en France, de nous acheminer vers une loi interdisant le port du voile intégral.

    Vous soutenez le projet de loi gouvernemental?

    Je n'ai pas d'état d'âme à ce sujet. J'estime qu'il faut faire preuve d'une très grande fermeté. D'une part, le port du voile intégral n'est pas une prescription religieuse; c'est une coutume dans certains pays d'influence wahhabite - qui n'est pas d'usage en Egypte, ni au Liban ou en Syrie, ni au Maghreb. Cela instaure un rapport dissymétrique dans la mesure où une personne peut vous voir sans que vous la voyiez ; elle n'existe pas en tant qu'individu mais en tant que membre d'une communauté.

    Si l'on veut partager les ressemblances, on ne peut que refuser le port du voile intégral

    D'autre part, en France, cette question détermine le choix de société que nous faisons pour l'avenir en matière de diversité. L'un des grands problèmes du monde à venir est précisément la gestion de la diversité, qui s'impose à tous les pays du xxie siècle. Le fait de vivre ensemble à partir de provenances diverses se résume à deux options: le communautarisme, qui vise à exalter tout ce qui nous différencie les uns des autres, ou l'intégration, qui vise à rechercher et à valoriser tout ce qui peut nous rapprocher. Si l'on veut partager les ressemblances et non exacerber les différences, on ne peut que refuser catégoriquement le port du voile intégral. Il faut être très clair dès maintenant.

    Comment fixer la frontière entre le "bon" et le "mauvais" islam?

    La réponse est complexe et relève en grande partie des évolutions mêmes de l'islam. Mais il me semble qu'il faut en tout cas veiller au respect de deux critères démocratiques déterminants : le respect des minorités et les droits des femmes.

    l'express
    « Ça m'est égal d'être laide ou belle. Il faut seulement que je plaise aux gens qui m'intéressent. »
    Boris Vian

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    • #3
      Je n'ai jamais apprécie ce logocentrisme méditerranéen. Beaucoup de civilisations ont vu le jour loin de la mer sacrée!

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