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« Desperate Housewives », la régression enchantée

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  • lala-moulati
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    suite et fin

    Potiches ou boniches Retour à la table des matières

    Cette vision correspond sans aucun doute à une certaine réalité sociale. Mais cette réalité, si étriquée soit-elle, n’est en rien remise en cause par la série, au contraire. Faisant intervenir par intermittence, selon un mécanisme typique des feuilletons grand public (voir aussi Grey’s Anatomy), un grand moment d’émotion où tout le monde s’explique, se réconcilie et se dit qu’il s’aime, Desperate Housewives en vient fatalement à accréditer l’idée que, en dernier ressort, tout va pour le mieux dans ce meilleur des mondes féminins.

    La sixième saison a même marqué une accentuation très nette de cette vision rétrograde. D’abord, par le traitement de la grossesse de Lynette, survenant au moment précis où le couple, qui a déjà quatre enfants, dont des jumeaux qui viennent d’atteindre leur majorité, pensait pouvoir enfin se consacrer à des projets professionnels longtemps différés. Apprenant qu’elle attend à nouveau des jumeaux, Lynette est assommée ; pourtant, la possibilité d’interrompre sa grossesse n’est jamais seulement évoquée.

    On avait déjà vu, au cours de la quatrième saison, la façon dont Bree avait géré la grossesse de sa fille : elle avait éloigné l’adolescente durant quelques mois, tout en simulant elle-même une grossesse, afin de pouvoir ensuite prétendre que l’enfant était le sien. Le stratagème était énorme, mais cohérent avec son personnage de bigote. Cette fois, c’est une conversation à cœur ouvert avec Susan, dont la fille est hospitalisée après une agression, qui remplira Lynette de honte pour ses propres sentiments et lui fera comprendre, face à cette autre mère qui risque de perdre le sien – comme si les expériences étaient interchangeables –, quel merveilleux cadeau ce nouvel enfant représente en réalité…

    C’est malheureux pour la défense d’un droit dont certains indices suggèrent qu’il aurait bien besoin de quelques avocats de poids, mais cette frilosité n’a rien d’exceptionnel, comme l’avait déjà fait remarquer le blog Le Monde des séries (« L’IVG, sujet délicat des séries US », 24 février 2010). Cependant, elle est ici poussée à l’extrême. Toujours dans cette sixième saison, Gabrielle, découvrant que sa nièce, qui vit sous son toit, a un petit ami, s’affole à l’idée de se retrouver avec un bébé sur les bras. Elle soudoie donc la jeune fille pour qu’elle s’abstienne de toute relation sexuelle aussi longtemps qu’elle habitera chez elle, avant de l’expédier précipitamment à New York (où, faut-il le préciser, elle deviendra mannequin, et pas avocate ou pompière…) : une manière pour le moins radicale de « prendre ses précautions ». Non seulement le recours de l’IVG ne semble pas exister, mais la contraception non plus : il va de soi que deux adolescents ne peuvent même pas espérer avoir une vie sexuelle sans que survienne une grossesse non désirée ; et cela, dans la tête d’un personnage qui n’a elle-même rien d’un modèle de vertu.

    C’est en fait la célébration du modèle familial qui domine plus que jamais cette saison. On a droit, en guise de repoussoir, à un personnage secondaire figurant une sorte de diable, ou plutôt de diablesse incarnée : une mère célibataire qui, après le départ de son mari, a sombré dans l’alcoolisme, le stupre et la fornication, et dont le fils deviendra tueur en série ! Que ce soit chez Gabrielle, mère indigne de deux fillettes, ou chez Lynette, poussée à bout par une progéniture remarquablement ingrate, toutes les joyeuses transgressions verbales exprimant le ras-le-bol et le désabusement sont autorisées, à condition que tout se termine par la réaffirmation des joies inégalables de la vie de famille.

    Dans un épisode emblématique, Gabrielle, chassée de chez elle par la contagion, l’une de ses filles ayant la rubéole, se réfugie chez Bob et Lee, le couple de voisins gay. Elle est si enthousiaste de retrouver la vie insouciante des gens sans enfants et de passer son temps à faire la fête que, une fois sa fille guérie, elle prétexte une intoxication alimentaire pour prolonger un peu son séjour. Mais un soir, se trompant de porte, elle découvre dans la maison une nurserie décorée avec amour. Bob lui confie que lui et Lee ne rêvent que d’avoir un enfant, et que, si elle envie leur existence, eux, c’est la sienne qu’ils envient. Elle rentre alors chez elle, pleine de remords et de pensées attendries pour ses filles…

    Des femmes réduites au rôle de potiches ou de boniches, soumises à la pression morale et religieuse, engluées dans un idéal fallacieux de bonheur domestique : finalement, la vision offerte par Desperate Housewives ressemble de façon troublante à celle que donne une autre série, le somptueux Mad Men, de la condition des Américaines quarante-cinq ans plus tôt. Sauf que là où Mad Men, brossant le tableau sans pitié de l’Amérique machiste, homophobe et raciste du début des années 1960, présente cette vision comme une réalité sociale, susceptible de varier ou d’être contestée, Desperate Housewives la présente comme un fait de nature, éternel, invincible, dont il vaut mieux s’accommoder, d’autant qu’il peut finalement se révéler plein de charmes ; comme une oppression confortable, et, pour tout dire : désirable.

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  • lala-moulati
    a crée une discussion « Desperate Housewives », la régression enchantée

    « Desperate Housewives », la régression enchantée

    Femmes au foyer désespérantes


    par Mona Chollet

    Au moment où s’achève aux Etats-Unis la diffusion de la sixième saison de Desperate Housewives, il y a de quoi rester rêveur en se rappelant avec quels délires louangeurs la presse, à l’époque de son débarquement en fanfare sur Canal+, en 2005, avait déroulé le tapis rouge au feuilleton créé par Marc Cherry. Celui-ci apparaissait alors comme l’un des fleurons de cette nouvelle génération de séries tantôt grand public (24 heures chrono, Lost…), tantôt plus avant-gardistes (Les Soprano, A la Maison Blanche, Six Feet Under, Oz, The Wire…), qui commençaient à conquérir le monde.

    Il est vrai que le scénario de départ avait de quoi séduire : à Wisteria Lane, avenue résidentielle idyllique de la banlieue cossue (et fictive) de Fairview, le suicide brutal d’une mère de famille, Mary Alice Young, laissait soudain penser que tout n’était pas si rose dans la vie de ces ménagères aisées et apparemment épanouies. On pouvait s’attendre à ce que Desperate Housewives pose un regard ironique sur cet idéal de l’American way of life, voire à ce qu’elle le dynamite, d’autant que la voix off qui commentait l’intrigue était celle de la défunte, continuant depuis l’au-delà d’observer ses amies, les quatre héroïnes de la série.

    Cinq ans plus tard, il faut se rendre à l’évidence : quand une production américaine mainstream promet de montrer les dessous peu reluisants d’un milieu social favorisé, elle abandonne rapidement les velléités subversives qu’elle aura pu manifester dans l’enthousiasme des débuts. Très vite, les turpitudes révélées au spectateur ne sont plus que strictement individuelles, et d’une portée tout anecdotique. Une fois résolus les conflits que ces turpitudes ont suscités, tout rentre dans l’ordre, et le propos tourne à la célébration décomplexée de ce que le cadre et le mode de vie des personnages ont, au fond, de suprêmement enviable. La leçon vaut pour les habitants de Wisteria Lane, mais aussi, par exemple, pour ceux du richissime Upper East Side, à New York, où se déroule Gossip Girl, la série à succès pour adolescents lancée en 2007.

    Ainsi, Desperate Housewives se contente de mettre en scène un mélange d’intrigues policières, souvent à base de secrets de famille, et de gentilles péripéties engendrées par des malentendus ou des rivalités entre voisines : mélange divertissant, certes, mais très consensuel. La série a-t-elle usurpé la réputation novatrice qui la précédait ? A l’usage, la réponse pourrait être : non pour la forme, oui pour le fond. La forme est enlevée, efficace, et souvent très drôle. La saison 6 nous aura sans doute offert la réplique la plus désopilante de l’année, lorsque Susan, découvrant Robin la stripteaseuse plongée dans la lecture d’un roman entre deux tours de piste, s’étonne : « Moby Dick ?! », et s’attire cette réponse : « Oh non, ce n’est pas du tout ce que vous croyez : c’est l’histoire d’une baleine ! »

    Quant au fond, il est devenu, au fil des saisons, de plus en plus ouvertement réactionnaire. Le principal et douteux mérite de la série aura été de repeindre aux couleurs d’une modernité pimpante les pires clichés rétrogrades et misogynes. A cet égard, le personnage de Bree Van De Kamp, la républicaine psychorigide, est sans doute le plus inoffensif, car se donnant d’emblée pour ce qu’il est. Il n’y a pas beaucoup à attendre non plus de Gabrielle Solis, la poule de luxe frivole et égoïste, que l’on a par exemple vue cette saison accueillant son mari en lingerie affriolante parce qu’elle a repéré un chalet à vendre à Aspen, avant de refermer sèchement son peignoir lorsqu’elle se voit opposer un refus. Il est toutefois remarquable qu’en six saisons, ces deux personnages n’aient pas évolué d’un iota. Certes, Bree, femme de devoir, s’est bien laissée aller à une aventure passionnée avec Karl, l’ex-mari de Susan ; mais le scénario l’a promptement punie en faisant mourir son amant et en la laissant seule avec un mari paralysé…

    Le personnage le plus problématique est peut-être celui de Susan Mayer, présentée comme l’artiste de la bande. Distraite, maladroite, censée incarner la fantaisie, elle ne poursuit en réalité que des rêves hyperconformistes. Toute sa vie est d’abord tendue vers le seul but de se faire épouser par Mike, le beau voisin, et de le mettre hors de portée de ses rivales potentielles ou avérées. Une fois parvenue à ses fins, elle se lance dans une autre quête, tout aussi ambitieuse : elle et Gabrielle se livrent une compétition féroce pour assurer le succès et la popularité de leur progéniture à l’école, multipliant les manœuvres mesquines et les crêpages de chignon – auxquels la série recourt très fréquemment comme ressort narratif et comique, semblant les considérer comme l’alpha et l’oméga du comportement féminin. Elle tente aussi de faire croire à sa riche voisine que son nouveau piano est un achat, et non un héritage, afin de l’impressionner. Mariage, argent, réussite sociale des enfants : on a vu des idéaux plus originaux… Entre trucs de beauté et célébration de la maternité, GetHatched, le blog de « conseils aux femmes » que vient de lancer Teri Hatcher, l’interprète de Susan, en partenariat avec DisneyFamily.com, confirme d’ailleurs la pauvreté de l’univers du personnage – et de la série.

    On notera aussi, en passant, que les quatre héroïnes correspondent physiquement à des critères dont ces propos tenus un jour par Felicity Huffman, l’interprète de Lynette Scavo, laissent deviner toute la rigueur : « Le jour où l’on a choisi les vêtements de nos personnages, quand j’ai constaté que j’étais la seule à faire du 38 – Marcia Cross (Bree) fait du 36, Teri Hatcher (Susan) et Eva Longoria (Gabrielle) du 34 –, je me suis accrochée aux portants pour ne pas tomber tellement je me suis sentie grosse et moche [1]. »

    Comme le titre l’indique, les Desperate Housewives se définissent avant tout par leur fonction domestique. Lynette, l’executive woman devenue mère de famille nombreuse, ne retourne plus que par intermittence sur le marché du travail. Les autres, quand elles travaillent, se cantonnent au périmètre professionnel traditionnellement dévolu aux femmes : Gabrielle a été mannequin ; Bree édite des livres de cuisine et monte sa propre entreprise de traiteur en vendant à des consommateurs nostalgiques son image de fée du logis ; Susan, après avoir été vaguement auteure de livres pour enfants, devient enseignante de dessin dans l’école privée de son fils. Feu Eddie Britt, la blonde fatale et célibataire incarnée par Nicollette Sheridan (qui intente aujourd’hui un procès à Marc Cherry pour « licenciement abusif et coups et blessures »), était agent immobilier, ce qui restait encore un métier lié à l’univers domestique…
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