LA MARINE ET LA GUERRE DE COURSE
QUELQUES CONSIDERATIONS GENERALES :
QUELQUES CONSIDERATIONS GENERALES :
ANCIENNETÉ DE LA COURSE.
La piraterie est sans doute aussi vieille que la navigation maritime. Un texte d'Ibn-Khaldoun sur les pirates de Bougie nous rappelle que la guerre de course n'a jamais cessé sur les côtes d'Afrique du Nord durant le Moyen Age.
De son côté, le P. Dan affirme que « les corsaires de Barbarie étaient en grand crédit dès l'an 1390. et troublaient déjà fort bien le commerce sur mer, et le repos de la Chrétienté ».
LA COURSE FUT-ELLE L'APANAGE DES SEULS MUSULMANS ?
Selon l'historien de Mas-Latrie, « les meilleurs auteurs sont tous d'accord pour reconnaître que la piraterie s'est développée aussi bien chez les Chrétiens que chez les Musulmans ». D'ailleurs, dans la Méditerranée orientale les Chevaliers de Saint-Jean ne rançonnaient-ils pas les Turcs à partir de Rhodes ?
D'abord justifiée par des prétextes religieux, la course devint rapidement une entreprise de brigandage.
PIRATES ET CORSAIRES.
Selon les usages et conventions, il convient de distinguer le pirate qui « court les mers pour son du compte sans y être autorisé par le gouvernement d'un État et qui n'est qu'un brigand à main armée », et le « corsaire » qui est au contraire un combattant régulier, en quelque sorte « le franc-tireur » de l'océan. Il attaque les navires ennemis de la nation dont il détient une commission régulière et dont il doit battre pavillon ». (On trouvera de nombreux renseignements complémentaires, dans l'ouvrage si documente de M. Coindreau : Les Corsaires de Salé - Paris 1948).
Pour ceux d'Alger, la distinction paraît délicate à établir, étant donné qu'ils étaient les agents d'un État corsaire.
COMMENT DEVENAIT-ON PIRATE ?
On ne saurait imaginer les pirates barbaresques comme des volontaires débarquant sur les quais d'Alger pour contracter un engagement dans la marine de la Régence.
Bien des voies conduisaient à la piraterie :
- Les enfants enlevés sur les côtes d'Espagne ou d'Italie pouvaient être formés à l'école des corsaires. Ex. : Hassan, fils adoptif de Khaïr ed-Dîn, qui défendit Alger contre Charles-Quint, avait été enlevé tout enfant à sa Sardaigne natale.
Hassan Veneziano , mousse à bord d'un navire vénitien, esclave du renégat Euldj Ali qui l'affranchit, fit carrière comme Pacha d'Alger puis Amiral de la flotte ottomane.
- Les marins capturés par les corsaires pouvaient acheter leur liberté moyennant une conversion et devenir corsaires à leur tour. Ils apportaient aux Barbaresques leur expérience et de précieuses connaissances techniques. Eudj Ali, la plus grande figure de la Régence après Khaïr ed-Dîn, était Calabrais. Après avoir ramé quatorze ans sur les galères du Sultan, il se convertit à l'Islam, devint Beylerbey d'Alger, puis Amiral de la flotte ottomane. Cervantès qui fut son esclave en a laissé un portrait intéressant.
Les corsaires européens venus délibérément en Afrique du Nord furent la minorité. Citons les Anglais Édouard et Uvert, et surtout l'étonnante aventure de Simon Dansa, ce Flamand, qui vint en Alger vers 1606, enseigna aux corsaires de la Régence la construction de nouveaux types de navires et sa carrière de corsaire terminée, rentra en France avec l'autorisation de Henri IV, ramenant avec lui dix Jésuites qu'il avait « rachetés ». On peut donc dire que la course renouvelait elle-même son personnel.
CARACTÈRES COMMUNS AUX CORSAIRES ALGÉRIENS.
Cette société cosmopolite était étrangère au pays où elle exerçait son activité. La grande majorité des corsaires étaient en effet des renégats chrétiens.
« En 1588, à Alger, 24 galiotes sur 35 étaient commandées par des renégats représentant presque toutes les nations chrétiennes ». (Gosse). Tels furent ceux qui méritèrent le surnom de « Turcs de profession ».
Les capitaines de vaisseaux ou Raïs, étaient groupés dans une association ou Taïfa qui ne tarda pas à prendre dans les affaires de la Régence une place prépondérante. Elle grandit encore avec le développement de la course.
ORGANISATION DE LA COURSE
LES NAVIRES - LES ARMATEURS.
LES NAVIRES - LES ARMATEURS.
Au XVIème siècle, les corsaires utilisaient surtout :
- le chébec, petit bâtiment à trois mâts et 30 avirons jaugeant moins de 200 tonneaux, monté par un équipage de 30 à 200 hommes, armé de 4 à 24 canons.
- la galiote ou petite galère de 12 à 19 bancs, 20 à 130 hommes, 2 à 10 pièces d'artillerie.
- le brigantin, navire de transition entre les navires à rames et les voiliers ; un seul mât, 8 à 16 rameurs avec un seul homme par aviron.
En 1581, selon Haëdo, Alger possédait 35 galiotes et 25 frégates, (petits navires à rames). C'est seulement vers la fin du XVIème siècle que la galère fera son apparition en Afrique du Nord.
Origine des capitaux investis dans la course.
D'après l'historien de Grammont « les grands étaient armateurs, les petits marchands et les Baldis (Citadin d'Alger) se cotisaient pour acheter et équiper un navire à frais commun, les femmes elles-mêmes, selon le vice-consul Chaix, vendaient leurs bijoux pour prendre part à ces fructueuse opérations ».
L'ÉQUIPAGE ET LA DISCIPLINE À BORD.
L'État-major d'un navire (galère en particulier), comprenait :
le Capitaine ou Raïs et ses lieutenants.
des techniciens tels que :
le pilote - nocher, qui dirigeait la manœuvre des voiles,
le maître de hache ou charpentier,
le calfat,
le maître canonnier et les servants de bouches à feu,
le chirurgien et
l'écrivain (sorte de commissaire aux comptes), tous renégats.
L'équipage, était composé en majeure partie d'esclaves chrétiens.
Les uns étaient chargés de la manœuvre des voiles, les autres constituaient la chiourme des rameurs rivés à leur banc. Depuis longtemps, le travail de l'aviron avait cessé d'être une activité d'homme libre ; la plupart des marines européennes comptaient des esclaves sur leurs galères, en plus des condamnés.
La vie sur ces bagnes flottants était aussi épouvantable chez les Chrétiens que chez les Musulmans. Il suffit pour s'en convaincre, de comparer les textes du P. Dan et la relation d'un Protestant français condamné aux galères. La compagnie d'abordage, formée généralement de Janissaires, armés de cimeterres, de haches, et de pistolets. Étrangers à la vie du bord, ils se réservaient pour l'abordage.
Remarque : Les équipages des navires corsaires comptaient peu d'autochtones, ceux-ci ayant généralement été peu attirés par les activités maritimes.
LA DISCIPLINE.
Comme dans toutes les marines, le Capitaine ou Raïs, était « maître après Dieu » sur son navire. « Ils sont si soigneux de l'ordre, de la propreté et de l'aménagement de leurs navires, déclare le Bénédictin espagnol Haëdo, qu'ils ne pensent pas autre chose… il n’est pas permis à personne fût-ce le fils du Pacha lui-même, de changer de place, ni de bouger du lieu où il est. »
LES VIVRES.
On embarquait généralement pour 50 jours de vivres : biscuits, huile, vinaigre et autres légumes. Tous les occupants du navire, du Raïs aux hommes d'équipage, subissaient un régime sévère.
Voici, à titre indicatif, l'ordinaire de certains repas :
- Petit déjeuner, du pain et des olives,
- Déjeuner , de la viande préparée de la façon suivante : D'abord séchée au soleil, puis cuite à 1 huile et enfin conservée dans un mélange de graisse et d'huile et mise en jarres. Cette préparation s'appelle « kheli ».
- Souper , couscous aux pois chiches.
- Boisson , de l'eau en principe, mais comme elle était vite polluée, les corsaires algériens usaient largement de vin et même d'eau-de-vie.
LE « SALAIRE. » DU CORSAIRE.
L'État-major et l'équipage ne touchaient aucun salaire, mais étaient rétribués sur les prises, « afin, dit le P. Dan, de les encourager au combat, à quoi ils ne se portaient pas si volontiers, s'ils avaient une paie assurée ».
Si les corsaires rentraient au port sans capture. ils avaient donc seulement été nourris.
LE COMBAT PRISE DE CONTACT ET ABORDAGE.
Leurs navires étant plus légers, plus rapides et mieux armés que les vaisseaux auxquels ils s'attaquaient, leur tactique résidait dans l'exploitation de l'effet de surprise, et comportait de multiples ruses :
- usage de faux pavillons destinés à rassurer leurs victimes lors de la prise de contact,
- visite des navires, soi-disant pour en contrôler la cargaison, attaque au petit matin, toutes voiles baissées.
— Noter le rôle important de la vigie, qui de son « nid de pie », au sommet du mât principal fouillait l'horizon. L'adversaire, réduit à l'impuissance par l'intimidation et la surprise du coup de canon de semonce, subissait alors l'abordage.
LES ZONES D'OPÉRATIONS.
Sans cesser complètement l'hiver, les campagnes des corsaires se déroulaient surtout d'Avril à Octobre. Selon leur durée ou l'éloignement des « théâtres d’opérations », on peut les classer en trois catégories :
— Les coups de mains sur les côtes d'Espagne, d'Italie, de Sardaigne :
« De paisibles villages endormis voyaient soudain surgir des gens en culotte rouge et cape blanche qui leur criaient : « chiens, rendez-vous ! ». Tous les habitants sans distinction prenaient le chemin de la captivité. » (D'après R. Coindreau).
Les pêcheurs étaient également des proies faciles et recherchées. Ces descentes de pirates furent l'un des soucis constants du règne de Charles-Quint, aucune mesure de sécurité ne pu en venir à bout.
Les croisières en haute mer - En Méditerranée occidentale et à la sortie du détroit de Gibraltar, les corsaires croisaient par petits groupes de deux ou trois navires, prêts à se porter main forte.
Les expéditions lointaines, inaugurées sans doute par le Raïs Mourad en 1585 avec une rare témérité. Avec trois galiotes, il passa en effet dans l'Atlantique, relâcha à Salé (Maroc), qui s'organisait pour la course, et mit a sac les Canaries, capturant trois cents personnes, dont la femme du Gouverneur. Ces expéditions connaîtront un succès grandissant au siècle suivant avec les progrès de l'art nautique chez les corsaires algériens.
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