Anis Djaad fait du cinéma ! Il suffit de voir ou de revoir Le Hublot par lequel il s’est fait connaître de la critique il y a deux ans pour se rendre compte que ce réalisateur transpire de créativité pour les films qu’il fait. Il faut aussi regarder son dernier cour-métrage, Passage à niveau, actuellement en compétition au festival du film maghrébin d’Alger – et qu’il faut absolument voir – pour comprendre que ce réalisateur poursuit un travail d’écriture scénaristique et cinématographique. Et qu’il développe, d’un « court » à un autre, un regard désabusé, mais profond d’authenticité et d’intelligence sur la société à partir de laquelle il bâtit ses fictions et « tire ses idées » comme il dit. Entretien.
Reporters : Avant de faire du cinéma, vous avez fait du journalisme que vous continuez, quand vous ne tournez pas, de pratiquer à travers le reportage. Comment ce passage d’un métier à l’autre s’est-il effectué ?
Anis Djaad : Je suis venu au cinéma avant la presse. En 1997, j’étais engagé comme stagiaire à la réalisation sur le film França ya França de Djamel Beloued. C’est en fait la dissolution de l’ENPA qui a fait que je déserte le cinéma qui n’était plus un. C’est aussi mon amour pour l’écriture qui a fait que j’ai embrassé la carrière de journaliste. Toutefois, j’ai gardé un lien fort avec le cinéma à travers un apprentissage de l’écriture scénaristique en pur autodidacte. Il faut rappeler que le scénario du long métrage Au bout du tunnel a été sélectionné à Medafilms en 2006. J’ai à mon actif cinq scénarios de long-métrage et six de court-métrage.
Le journalisme aide-t-il à faire du cinéma ?
En plus de l’exercice purement rédactionnel, surtout en ce qui concerne le reportage, le métier de journaliste vous forge nécessairement un esprit critique. Ce qui fait qu’on n’aborde plus l’écriture scénaristique de la même manière. Sans même le vouloir, on se rabat sur des thèmes liés directement à ce que vit le petit peuple au jour le jour.
On sait que vous êtes féru de littérature et grand amateur de la nouvelle. Ce goût pour le texte court vous a-t-il poussé à faire du court-métrage ?
Pas forcément. Certes, je cultive un amour des plus profonds pour tous les genres littéraires, la nouvelle en particulier, mais si mon choix s’est porté sur le court-métrage, c’est aussi par souci d’apprendre le métier de réalisateur. Un tout autre métier que celui d’auteur, il s’agit de la maîtrise de la mise en scène, de la direction d’acteurs… Le court-métrage est la meilleure école, d’autant qu’il vous apprend à travailler en équipe, contrairement au travail solitaire du scénariste.
Avant Passage à niveau, vous vous êtes distingué par Le hublot, film primé et bien reçu par la critique. Comment l’idée vous en est venue ?
Elle m’est venue sur un balcon d’un appartement lugubre dans la banlieue ouest d’Alger. Je me suis mis dans la peau de jeunes de ce quartier qui, à force d’oisiveté, n’avaient pas autre chose à faire si ce n’est « superviser » les travaux d’un chantier d’une tour de luxe qui continue de se construire jusqu’à ce jour. En fait, je pense que j’ai eu beaucoup de chance vu l’engagement de mon producteur qui avait décidé de s’engager à produire Le hublot à la première lecture du scénario. La conception proprement dite n’a pas été de tout repos d’autant que le dépôt du scénario au FDATIC avait coïncidé avec « Tlemcen capitale islamique » d’où, en partie, le retard pris avant le lancement du tournage. Il est nécessaire de rappeler que Le hublot a été tourné avec les fonds propres des Films de la Source puisque, en ce temps-là, nous n’avions pas encore reçu l’aide du ministère de la Culture plafonnée à trois millions de dinars. Nous avons dû batailler très dur pour obtenir un million et demi de plus, contrairement à d’autres jeunes producteurs et réalisateurs.
Ahmed Bedjaoui, qu’on ne présente plus, avait confié à quelques journalistes à propos de votre film, Le Hublot, qu’il était porté par un vrai travail de création scénaristique et de réalisation. Cela vous flatte-t-il ?
La confidence de Monsieur Ahmed Bedjaoui, que je remercie au passage pour son soutien franc et sincère, est vraie. Sans prétention aucune, j’ai pris le temps qu’il faut pour bien ficeler le scénario et bien préparer le tournage, notamment avec plus d’une dizaine de répétitions avec les comédiens. Je n’ai rien voulu laisser au hasard bien qu’on a dû sacrifier une dizaine de plans en raison de conditions climatiques désastreuses. Les aléas du tournage. Cependant, en compagnie de toute l’équipe, on a poussé la recherche de cette même esthétique aux limites de ce qui était possible. Le cinéma demeure un art à l’imagination sans borne, mais exige également de la discipline et de la rigueur. Le respecter, c’est aussi aller au bout de cette quête du parfait, même s’il reste utopique de l’atteindre. Une œuvre quelle qu’elle soit ne sera jamais aboutie. Pourquoi Le hublot ? Tout simplement parce qu’on peut regarder à travers sans pouvoir l’ouvrir et moins encore passer de l’autre côté. Ce qui n’est nullement un regard « défaitiste » comme ont dit certains.
L’une des questions qui ne sont toujours pas réglées pour le cinéma dans notre pays reste celle de la désaffection du public et de sa grande réticence à se rendre dans les salles…
Le fait que nos films soient vus par une poignée de journalistes et par un public restreint est plus que frustrant. Je dirai même que c’est une atteinte intolérable au cinéma algérien en général et à toute cette liberté d’expression et d’engagement qu’il est censé véhiculer. D’où ce paradoxe incompréhensible de notre politique cinématographique qui consiste à aider des films, voire les financer entièrement, sans cette volonté affichée de les diffuser par la suite à un large public. On verra bien si les salles obscures, nouvellement rafraîchies, vont recouvrir leur seule et unique vocation, la projection de films, algériens en particulier.
Vous êtes quelqu’un qui n’hésite pas à aller voir les films des autres, un réflexe de moins en moins présent chez les gens de votre métier. C’est important de suivre ce que font les autres ?
Il est indispensable de regarder ce que font les autres, loin des rivalités de bas étage. Une nécessité absolue si l’on veut que le cinéma algérien évolue. Il est même urgent d’instaurer un climat de concurrence sain et surtout équitable entre jeunes réalisateurs aussi bien en matière d’aides et de financements qu’en matière de promotion des films ici et ailleurs.
Aujourd’hui, et pour le festival du film maghrébin qui se tient en ce moment à Alger, vous revenez pour la compétition avec un autre court métrage, Passage à niveau, que je trouve très beau par l’idée qui le nourrit comme par la forme dans laquelle il est fait. Mais restons dans l’idée…
L’idée m’est venue lors de mon voyage en train en me rendant au festival du cinéma d’Oran en 2012. Le décor m’a tout de suite pris les yeux : une maisonnette délabrée, mais belle d’un cheminot. Un point froid à 500 ms… J’ai aussitôt été saisi par ce lieu qui m’a donné l’envie de faire ce film sur un aiguilleur, un garde-barrière comme on dit, un homme en fin de carrière et de parcours aussi dans un monde qu’il ne comprend plus et le dépasse désormais.
Il y a dans Passage à niveau et chez le personnage du gardien joué par Rachid Benallal une très grande solitude… Vous êtes-vous rendu compte du lien entre Le hublot (où des jeunes exclus qui ne pensent qu’au départ) et le passage à niveau où un homme d’une génération ancienne se trouve lui aussi exclu ?
Bien que le sujet soit différent, du moins sur le plan générationnel, il est vrai que l’exclusion revient dans les deux films. « La tour de séparation » dans Le hublot qui va séparer les deux jeunes de leur seule échappatoire est omniprésente dans Passage à niveau incarnée dans ce pont qui va éloigner le garde-barrière de toute une vie passée sur son lieu de travail. Le passage à niveau fait office de frontière d’ailleurs. Le plan large où l’ivrogne part acheter du vin démontre qu’il y a un autre monde où tout est différent de la vie solitaire du garde-barrière.
Vous posez un regard sur la société…
Pas plus noir que la société ne l’est réellement. On est dans un pays et une société en plein bouleversement, cataclysmique même : des choses disparaissent, d’autres surgissent. Parmi ces choses qui disparaissent, il y en a qui ne le devraient pas. Leur engloutissement nous fait jeter à la face un monde nouveau, souvent cruel, dans lequel des valeurs se perdent, les relations humaines se délitent…
Hormis Rachid Benallal, qui a déjà un parcours important dans le cinéma algérien depuis le début des années soixante-dix, vous travaillez plus souvent avec des amateurs, voire des anonymes…
Je connais et apprécie Rachid Benallal. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui et je trouve qu’il restitue bien le désarroi dans lequel se trouve ce cheminot aiguilleur en fin de carrière. Pour mon goût pour les comédiens non professionnels, j’espère travailler avec eux à chaque film pour sortir un peu du jeu télévisuel de beaucoup de nos comédiens.
Le tournage du film a duré une semaine pleine. Et son montage ?
Un mois en tout. Il y avait assez de matière pour en faire un moyen métrage. On a dû faire des choix et au passage sacrifier des plans, ce qui n’est pas une mince affaire pour un réalisateur amoureux de chaque seconde qu’il tourne.
Quel sera votre prochain film ?
Sans vous, le dernier court-métrage pour respecter la règle. On attend l’avis de la commission de lecture qui a jugé la fin du scénario choquante. Mais je ne vous en dirai pas plus à ce propos.
REPORTERS.DZ
Reporters : Avant de faire du cinéma, vous avez fait du journalisme que vous continuez, quand vous ne tournez pas, de pratiquer à travers le reportage. Comment ce passage d’un métier à l’autre s’est-il effectué ?
Anis Djaad : Je suis venu au cinéma avant la presse. En 1997, j’étais engagé comme stagiaire à la réalisation sur le film França ya França de Djamel Beloued. C’est en fait la dissolution de l’ENPA qui a fait que je déserte le cinéma qui n’était plus un. C’est aussi mon amour pour l’écriture qui a fait que j’ai embrassé la carrière de journaliste. Toutefois, j’ai gardé un lien fort avec le cinéma à travers un apprentissage de l’écriture scénaristique en pur autodidacte. Il faut rappeler que le scénario du long métrage Au bout du tunnel a été sélectionné à Medafilms en 2006. J’ai à mon actif cinq scénarios de long-métrage et six de court-métrage.
Le journalisme aide-t-il à faire du cinéma ?
En plus de l’exercice purement rédactionnel, surtout en ce qui concerne le reportage, le métier de journaliste vous forge nécessairement un esprit critique. Ce qui fait qu’on n’aborde plus l’écriture scénaristique de la même manière. Sans même le vouloir, on se rabat sur des thèmes liés directement à ce que vit le petit peuple au jour le jour.
On sait que vous êtes féru de littérature et grand amateur de la nouvelle. Ce goût pour le texte court vous a-t-il poussé à faire du court-métrage ?
Pas forcément. Certes, je cultive un amour des plus profonds pour tous les genres littéraires, la nouvelle en particulier, mais si mon choix s’est porté sur le court-métrage, c’est aussi par souci d’apprendre le métier de réalisateur. Un tout autre métier que celui d’auteur, il s’agit de la maîtrise de la mise en scène, de la direction d’acteurs… Le court-métrage est la meilleure école, d’autant qu’il vous apprend à travailler en équipe, contrairement au travail solitaire du scénariste.
Avant Passage à niveau, vous vous êtes distingué par Le hublot, film primé et bien reçu par la critique. Comment l’idée vous en est venue ?
Elle m’est venue sur un balcon d’un appartement lugubre dans la banlieue ouest d’Alger. Je me suis mis dans la peau de jeunes de ce quartier qui, à force d’oisiveté, n’avaient pas autre chose à faire si ce n’est « superviser » les travaux d’un chantier d’une tour de luxe qui continue de se construire jusqu’à ce jour. En fait, je pense que j’ai eu beaucoup de chance vu l’engagement de mon producteur qui avait décidé de s’engager à produire Le hublot à la première lecture du scénario. La conception proprement dite n’a pas été de tout repos d’autant que le dépôt du scénario au FDATIC avait coïncidé avec « Tlemcen capitale islamique » d’où, en partie, le retard pris avant le lancement du tournage. Il est nécessaire de rappeler que Le hublot a été tourné avec les fonds propres des Films de la Source puisque, en ce temps-là, nous n’avions pas encore reçu l’aide du ministère de la Culture plafonnée à trois millions de dinars. Nous avons dû batailler très dur pour obtenir un million et demi de plus, contrairement à d’autres jeunes producteurs et réalisateurs.
Ahmed Bedjaoui, qu’on ne présente plus, avait confié à quelques journalistes à propos de votre film, Le Hublot, qu’il était porté par un vrai travail de création scénaristique et de réalisation. Cela vous flatte-t-il ?
La confidence de Monsieur Ahmed Bedjaoui, que je remercie au passage pour son soutien franc et sincère, est vraie. Sans prétention aucune, j’ai pris le temps qu’il faut pour bien ficeler le scénario et bien préparer le tournage, notamment avec plus d’une dizaine de répétitions avec les comédiens. Je n’ai rien voulu laisser au hasard bien qu’on a dû sacrifier une dizaine de plans en raison de conditions climatiques désastreuses. Les aléas du tournage. Cependant, en compagnie de toute l’équipe, on a poussé la recherche de cette même esthétique aux limites de ce qui était possible. Le cinéma demeure un art à l’imagination sans borne, mais exige également de la discipline et de la rigueur. Le respecter, c’est aussi aller au bout de cette quête du parfait, même s’il reste utopique de l’atteindre. Une œuvre quelle qu’elle soit ne sera jamais aboutie. Pourquoi Le hublot ? Tout simplement parce qu’on peut regarder à travers sans pouvoir l’ouvrir et moins encore passer de l’autre côté. Ce qui n’est nullement un regard « défaitiste » comme ont dit certains.
L’une des questions qui ne sont toujours pas réglées pour le cinéma dans notre pays reste celle de la désaffection du public et de sa grande réticence à se rendre dans les salles…
Le fait que nos films soient vus par une poignée de journalistes et par un public restreint est plus que frustrant. Je dirai même que c’est une atteinte intolérable au cinéma algérien en général et à toute cette liberté d’expression et d’engagement qu’il est censé véhiculer. D’où ce paradoxe incompréhensible de notre politique cinématographique qui consiste à aider des films, voire les financer entièrement, sans cette volonté affichée de les diffuser par la suite à un large public. On verra bien si les salles obscures, nouvellement rafraîchies, vont recouvrir leur seule et unique vocation, la projection de films, algériens en particulier.
Vous êtes quelqu’un qui n’hésite pas à aller voir les films des autres, un réflexe de moins en moins présent chez les gens de votre métier. C’est important de suivre ce que font les autres ?
Il est indispensable de regarder ce que font les autres, loin des rivalités de bas étage. Une nécessité absolue si l’on veut que le cinéma algérien évolue. Il est même urgent d’instaurer un climat de concurrence sain et surtout équitable entre jeunes réalisateurs aussi bien en matière d’aides et de financements qu’en matière de promotion des films ici et ailleurs.
Aujourd’hui, et pour le festival du film maghrébin qui se tient en ce moment à Alger, vous revenez pour la compétition avec un autre court métrage, Passage à niveau, que je trouve très beau par l’idée qui le nourrit comme par la forme dans laquelle il est fait. Mais restons dans l’idée…
L’idée m’est venue lors de mon voyage en train en me rendant au festival du cinéma d’Oran en 2012. Le décor m’a tout de suite pris les yeux : une maisonnette délabrée, mais belle d’un cheminot. Un point froid à 500 ms… J’ai aussitôt été saisi par ce lieu qui m’a donné l’envie de faire ce film sur un aiguilleur, un garde-barrière comme on dit, un homme en fin de carrière et de parcours aussi dans un monde qu’il ne comprend plus et le dépasse désormais.
Il y a dans Passage à niveau et chez le personnage du gardien joué par Rachid Benallal une très grande solitude… Vous êtes-vous rendu compte du lien entre Le hublot (où des jeunes exclus qui ne pensent qu’au départ) et le passage à niveau où un homme d’une génération ancienne se trouve lui aussi exclu ?
Bien que le sujet soit différent, du moins sur le plan générationnel, il est vrai que l’exclusion revient dans les deux films. « La tour de séparation » dans Le hublot qui va séparer les deux jeunes de leur seule échappatoire est omniprésente dans Passage à niveau incarnée dans ce pont qui va éloigner le garde-barrière de toute une vie passée sur son lieu de travail. Le passage à niveau fait office de frontière d’ailleurs. Le plan large où l’ivrogne part acheter du vin démontre qu’il y a un autre monde où tout est différent de la vie solitaire du garde-barrière.
Vous posez un regard sur la société…
Pas plus noir que la société ne l’est réellement. On est dans un pays et une société en plein bouleversement, cataclysmique même : des choses disparaissent, d’autres surgissent. Parmi ces choses qui disparaissent, il y en a qui ne le devraient pas. Leur engloutissement nous fait jeter à la face un monde nouveau, souvent cruel, dans lequel des valeurs se perdent, les relations humaines se délitent…
Hormis Rachid Benallal, qui a déjà un parcours important dans le cinéma algérien depuis le début des années soixante-dix, vous travaillez plus souvent avec des amateurs, voire des anonymes…
Je connais et apprécie Rachid Benallal. J’ai beaucoup aimé travailler avec lui et je trouve qu’il restitue bien le désarroi dans lequel se trouve ce cheminot aiguilleur en fin de carrière. Pour mon goût pour les comédiens non professionnels, j’espère travailler avec eux à chaque film pour sortir un peu du jeu télévisuel de beaucoup de nos comédiens.
Le tournage du film a duré une semaine pleine. Et son montage ?
Un mois en tout. Il y avait assez de matière pour en faire un moyen métrage. On a dû faire des choix et au passage sacrifier des plans, ce qui n’est pas une mince affaire pour un réalisateur amoureux de chaque seconde qu’il tourne.
Quel sera votre prochain film ?
Sans vous, le dernier court-métrage pour respecter la règle. On attend l’avis de la commission de lecture qui a jugé la fin du scénario choquante. Mais je ne vous en dirai pas plus à ce propos.
REPORTERS.DZ
