Insoumise et charismatique, Kahina la berbère a presque changé le cours de l’Histoire en freinant l’avancée des arabes omeyyades lors de l’expansion islamique en Afrique du Nord, au VIIe siècle. Son épopée reste pourtant en grande partie méconnue.
Kahina l’insoumise et son destin tragique ont inspiré nombre de romanciers. L’écrivain algérien Kateb Yacine lui a dédié un poème-hommage dans son recueil La guerre des deux mille ans, et nombre de romancières et essayistes féministes se sont approprié la figure de la Kahina pour sa charge symbolique, la décrivant comme l’une des premières féministes de l’Histoire. Huit siècles avant Jeanne d’Arc, cette chef berbère a dirigé des armées contre l’envahisseur. Une femme dans un monde d’hommes, une femme guerrière qui a tenu en échec les troupes arabes pendant plusieurs années.
Nous sommes au VIIe siècle, l’empire byzantin affaibli est vulnérable tandis que la dynastie omeyyade progresse. Son objectif ? Conquérir et islamiser l’Afrique du Nord occupée par les Byzantins et peuplée par des tribus berbères. En 688, le général arabe Hassan Ibn Nouaman El Ghissani entre à Kairouan et, de là, il fond sur Carthage d’où il chasse les derniers Byzantins. Mais à l’est, dans la région montagneuse des Aurès, une femme se dresse. Du haut du Rocher des Aigles, un pic à Thumar (capitale de l’Aurès), elle entre en rébellion contre l’envahisseur arabe. Cette femme, c’est la Kahina. Elle est le dernier obstacle qui se dresse encore contre l’avancée des musulmans vers l’ouest.
De l’Histoire à la légende
S’appelait-elle Diyha, Dayha ou Damina ? On ne sait pas… L’Histoire n’a retenu que son surnom : El Kahina, ce qui signifierait « prophétesse », « prêtresse » ou « sorcière », car on lui prêtait le pouvoir de lire l’avenir. Dans son Histoire des Berbères, Ibn Khaldoun évoque ses « connaissances surnaturelles que ses démons familiers lui avaient enseignées ». La Kahina aurait-elle été diabolisée par certains historiens arabes ? C’est en tous cas la thèse de certains analystes contemporains. C’est aussi celle de l’auteur Kateb Yacine, qui prête à la reine des Berbères ces paroles : « Les Arabes m’appellent Kahina, la sorcière. Ils savent que je vous parle, et que vous m’écoutez … Ils s’étonnent de vous voir dirigés par une femme. C’est qu’ils sont des marchands d’esclaves. Ils voilent leurs femmes pour mieux les vendre. Pour eux, la plus belle fille n’est qu’une marchandise. (…) II ne faut surtout pas qu’elle parle, qu’on l’écoute. Une femme libre les scandalise, pour eux je suis le diable ».
Alors que sait-on vraiment de la Kahina ? D’abord qu’elle était une Berbère zénète (une tribu également appelée Zenata) des Aurès (du tamazight « awras », signifiant « massif »), une région qui s’étendait du nord de l’actuelle Algérie à la pointe Est de la Tunisie actuelle et à l’ouest de l’actuel Maroc jusqu’à la Moulouya. La Kahina appartenait à cette terre du Maghreb Oriental, peuplée depuis la Préhistoire par des tribus berbères. Cette terre, c’est l’antique royaume de Numidie. La Kahina (dont la date de naissance n’est pas connue) serait la fille unique de Tabat Ibn Tifan, seigneur de la puissante tribu des Jarawa, une tribu qui selon Ibn Khaldoun aurait fourni des chefs à tous les Berbères des Aurès. Descendante d’une très ancienne lignée amazighe, la Kahina a succédé à Koceila, mort au combat dans une bataille contre les successeurs du général arabe Oqba. Son pouvoir lui fut vraisemblablement attribué par un conseil de tribus, ce qui était courant à l’époque.
Guerrière et stratège
Une chose est sûre, la Kahina maîtrisait parfaitement l’art de la guerre. Cavalière émérite, elle tirait à l’arc et maniait la lance. Pendant que Koceila et son armée berbère affrontaient les forces arabes autour de Kairouan, la Kahina attendait, observait et galopait sur son cheval barbe, sillonnant les Aurès, du mont Chélia aux forêts de cèdres de Belezma (au nord-est de l’Algérie actuelle). Perpétuellement menacées, les tribus berbères devaient se déplacer en permanence et se cacher dans les vallées étroites et le paysage tourmenté des Aurès.
Nommée chef par un conseil de tribus pour succéder à Koceila, la Kahina commence son combat en fédérant les Berbères dans une alliance contre les arabes. Avant de brandir le cimeterre, elle doit convaincre, faire adhérer et unir. Avec éloquence et fermeté, elle organise un regroupement des tribus en s’appuyant sur le soutien des Jarawa et des Banou Ifren. Après avoir rassemblé ses troupes, elle les galvanise et les prépare au combat. Son adversaire sera le général arabe Hassan Ibn Nouaman El Ghissani, qui entre au Maghreb en 693. Sa mission : briser la résistance de la rebelle. Ayant confiance en ses forces, il part à l’assaut et affronte la Kahina dans le Constantinois, près de la rivière Miskiyâna (entre Tebessa et Aïn Beïda, à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie). C’est la première bataille de la Kahina. Et elle la gagne. En véritable stratège, elle a dissimulé une partie de son armée pendant la nuit, pour prendre en embuscade les troupes arabes. Au crépuscule, l’amazone berbère peut crier victoire. Son armée a mis en déroute les forces arabes qui se replient en Tripolitaine (province occidentale de l’actuelle Libye). Grâce à son esprit stratège, appuyé par la force des cavaliers Banou Ifren, la reine des Aurès a écrasé l’armée omeyyade. Passant en revue ses prisonniers, la Kahina identifie Khaled Ibn Yazid, le neveu du général Hassan Ibn Nouaman. Magnanime, ou peut-être simplement émue par la beauté et la jeunesse du prisonnier, la Kahina décide non seulement de lui laisser la vie sauve mais, suivant une vieille coutume berbère, l’anaïa (protection), elle l’adopte alors qu’elle a déjà deux fils : Ifran et Yezdigan.
Kahina l’insoumise et son destin tragique ont inspiré nombre de romanciers. L’écrivain algérien Kateb Yacine lui a dédié un poème-hommage dans son recueil La guerre des deux mille ans, et nombre de romancières et essayistes féministes se sont approprié la figure de la Kahina pour sa charge symbolique, la décrivant comme l’une des premières féministes de l’Histoire. Huit siècles avant Jeanne d’Arc, cette chef berbère a dirigé des armées contre l’envahisseur. Une femme dans un monde d’hommes, une femme guerrière qui a tenu en échec les troupes arabes pendant plusieurs années.
Nous sommes au VIIe siècle, l’empire byzantin affaibli est vulnérable tandis que la dynastie omeyyade progresse. Son objectif ? Conquérir et islamiser l’Afrique du Nord occupée par les Byzantins et peuplée par des tribus berbères. En 688, le général arabe Hassan Ibn Nouaman El Ghissani entre à Kairouan et, de là, il fond sur Carthage d’où il chasse les derniers Byzantins. Mais à l’est, dans la région montagneuse des Aurès, une femme se dresse. Du haut du Rocher des Aigles, un pic à Thumar (capitale de l’Aurès), elle entre en rébellion contre l’envahisseur arabe. Cette femme, c’est la Kahina. Elle est le dernier obstacle qui se dresse encore contre l’avancée des musulmans vers l’ouest.
De l’Histoire à la légende
S’appelait-elle Diyha, Dayha ou Damina ? On ne sait pas… L’Histoire n’a retenu que son surnom : El Kahina, ce qui signifierait « prophétesse », « prêtresse » ou « sorcière », car on lui prêtait le pouvoir de lire l’avenir. Dans son Histoire des Berbères, Ibn Khaldoun évoque ses « connaissances surnaturelles que ses démons familiers lui avaient enseignées ». La Kahina aurait-elle été diabolisée par certains historiens arabes ? C’est en tous cas la thèse de certains analystes contemporains. C’est aussi celle de l’auteur Kateb Yacine, qui prête à la reine des Berbères ces paroles : « Les Arabes m’appellent Kahina, la sorcière. Ils savent que je vous parle, et que vous m’écoutez … Ils s’étonnent de vous voir dirigés par une femme. C’est qu’ils sont des marchands d’esclaves. Ils voilent leurs femmes pour mieux les vendre. Pour eux, la plus belle fille n’est qu’une marchandise. (…) II ne faut surtout pas qu’elle parle, qu’on l’écoute. Une femme libre les scandalise, pour eux je suis le diable ».
Alors que sait-on vraiment de la Kahina ? D’abord qu’elle était une Berbère zénète (une tribu également appelée Zenata) des Aurès (du tamazight « awras », signifiant « massif »), une région qui s’étendait du nord de l’actuelle Algérie à la pointe Est de la Tunisie actuelle et à l’ouest de l’actuel Maroc jusqu’à la Moulouya. La Kahina appartenait à cette terre du Maghreb Oriental, peuplée depuis la Préhistoire par des tribus berbères. Cette terre, c’est l’antique royaume de Numidie. La Kahina (dont la date de naissance n’est pas connue) serait la fille unique de Tabat Ibn Tifan, seigneur de la puissante tribu des Jarawa, une tribu qui selon Ibn Khaldoun aurait fourni des chefs à tous les Berbères des Aurès. Descendante d’une très ancienne lignée amazighe, la Kahina a succédé à Koceila, mort au combat dans une bataille contre les successeurs du général arabe Oqba. Son pouvoir lui fut vraisemblablement attribué par un conseil de tribus, ce qui était courant à l’époque.
Guerrière et stratège
Une chose est sûre, la Kahina maîtrisait parfaitement l’art de la guerre. Cavalière émérite, elle tirait à l’arc et maniait la lance. Pendant que Koceila et son armée berbère affrontaient les forces arabes autour de Kairouan, la Kahina attendait, observait et galopait sur son cheval barbe, sillonnant les Aurès, du mont Chélia aux forêts de cèdres de Belezma (au nord-est de l’Algérie actuelle). Perpétuellement menacées, les tribus berbères devaient se déplacer en permanence et se cacher dans les vallées étroites et le paysage tourmenté des Aurès.
Nommée chef par un conseil de tribus pour succéder à Koceila, la Kahina commence son combat en fédérant les Berbères dans une alliance contre les arabes. Avant de brandir le cimeterre, elle doit convaincre, faire adhérer et unir. Avec éloquence et fermeté, elle organise un regroupement des tribus en s’appuyant sur le soutien des Jarawa et des Banou Ifren. Après avoir rassemblé ses troupes, elle les galvanise et les prépare au combat. Son adversaire sera le général arabe Hassan Ibn Nouaman El Ghissani, qui entre au Maghreb en 693. Sa mission : briser la résistance de la rebelle. Ayant confiance en ses forces, il part à l’assaut et affronte la Kahina dans le Constantinois, près de la rivière Miskiyâna (entre Tebessa et Aïn Beïda, à la frontière entre l’Algérie et la Tunisie). C’est la première bataille de la Kahina. Et elle la gagne. En véritable stratège, elle a dissimulé une partie de son armée pendant la nuit, pour prendre en embuscade les troupes arabes. Au crépuscule, l’amazone berbère peut crier victoire. Son armée a mis en déroute les forces arabes qui se replient en Tripolitaine (province occidentale de l’actuelle Libye). Grâce à son esprit stratège, appuyé par la force des cavaliers Banou Ifren, la reine des Aurès a écrasé l’armée omeyyade. Passant en revue ses prisonniers, la Kahina identifie Khaled Ibn Yazid, le neveu du général Hassan Ibn Nouaman. Magnanime, ou peut-être simplement émue par la beauté et la jeunesse du prisonnier, la Kahina décide non seulement de lui laisser la vie sauve mais, suivant une vieille coutume berbère, l’anaïa (protection), elle l’adopte alors qu’elle a déjà deux fils : Ifran et Yezdigan.
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