Artistes – hommes d’Etat : « La politique peut être renforcée par la musique, mais la musique a une puissance qui défie la politique » Nelson Mandela
L’art et la politique font-ils bon ménage ? Des artistes politiciens, il y en eu à toutes les époques, depuis l’antiquité. La politique irriguait les arts et inversement.
Ce sont les deux faces d’une même pièce, pour ainsi dire. Pas une cause n’a été épargnée par la poésie, la musique, le théâtre, la peinture, le cinéma, la littérature. Là où on fait la politique, l’art n’est pas loin. Et s’il existe une esthétique, ils la partagent tous les deux. Ils se complètent, se défient, s’entrechoquent, s’opposent et ne peuvent exister l’un sans l’autre. Un homme d’Etat est d’une certaine façon artiste, Cicérone, bien avant notre ère, ne disait-il pas « On naît poète on devient orateur » suivi par Aimé Césaire, plus d’une vingtaine de siècles plus tard, « La justice écoute aux portes de la beauté » et de Habib Bourguiba « Le théâtre est le témoin de la conscience nationale ». En fait, on compte bien des poètes, des musiciens, des plasticiens, des romanciers, des dramaturges dans cette corporation aux talents reconnus. Et il y en a de toutes les races et de toutes les origines. On peut en citer les plus connus, toutes époques confondues, comme Mao Tsé Toung, Léopold Sédar Senghor, Jean El Mouhouv Amrouche, Kateb Yacine, Mustapha Lachraf, Lamartine, Sénèque, Aimé Césaire, Dr Agostinho Neto et tant d’autres.
Civilisation occidentale
"Des tôles clouées à des poteaux
Fixés au sol
Font la maison
Les chiffons complètent
Le paysage intime
Le soleil qui s'infiltre par les fentes
Réveille l'occupant
Après douze heures de travail
D'esclave
Casser les pierres
Charrier les pierres
Casser les pierres
Charrier les pierres
Au soleil
Sous la pluie
Casser les pierres
Charrier les pierres
La vieillesse vient vite
Une natte dans les nuits noires
Lui suffit pour mourir
Reconnaissant et affamé »,
Agostinho Neto. Ce poète et ex président de l’Angola déçu par le fait que sa mère ne saura par lire ou comprendre ses poèmes, s’écrie : « Et j’écris des poèmes que tu ne comprends pas, imagines-tu mon angoisse ? »
De son coté le premier chef d’Etat du Sénégal, plus sarcastique dans sa « Lettre à mon frère blanc », Léopold Sédar Senghor, s’interroge sur qui mérite le mieux le qualificatif d’homme de couleur
« Cher frère blanc,
Quand je suis né, j'étais noir,
Quand j'ai grandi, j'étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je suis malade, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.
Tandis que toi, homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
Quand tu as froid, tu es bleu,
Quand tu as peur, tu es vert,
Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.
Alors, de nous deux,
Qui est l'homme de couleur ? »
Deux cris, deux hurlements, une même douleur. Le premier indigné, exacerbé, nu et l’autre ironique, subtil, mais qui donne cependant à réfléchir. Ils ont tous deux une dimension politique indéniable. Aimé Césaire, lui, le Martiniquais a pris conscience très tôt de son état irrémédiable de colonisé. Il a défini, comme personne, la colonisation dans ses poèmes, dans ses pièces de théâtre, dans ses discours qui ne sont que le prolongement de sa pensée multidimensionnelle :"Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent. Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s'affairent, les prisons s'emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
On s'étonne, on s'indigne. On dit : "Comme c'est curieux ! Mais, Bah! C'est le nazisme, ça passera !" Et on attend, et on espère; et on se tait à soi-même la vérité, que c'est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c'est du nazisme, oui, mais qu'avant d'en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l'a supporté avant de le subir, on l'a absous, on a fermé l'oeil là-dessus, on l'a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s'était appliqué qu'à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l'a cultivé, on en est responsable, et qu'il est sourd, qu'il perce, qu'il goutte, avant de l'engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. Oui, il vaudrait la peine d'étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que s'il vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est que l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique.
Et c'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme : d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'Homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste.(...)"
Il va sans dire que la politique ne peut pas se faire sans poètes, sans chansons, sans danses, sans caricatures, sans théâtre et…sans tribunes d’expression. Mao Tsé-Toung, le président poète de la Chine populaire, a composé le poème suivant dédié À LI SHU YI daté du 11 mai 1957
« J’ai perdu mon orgueil le peuplier Yang vous avez perdu Liu ce saule pleureur flottant et montant droit au neuvième ciel interrogeant Wu Gang
ils reçoivent l’eau de vie aux fleurs de cannelle solitaire la déesse Chang E déploie largement ses manches dans le grand espace un moment elle danse pour les patriotes morts soudain on annonce : dans le monde humain le tigre est dompté sur le champ comme des torrents ses larmes volantes. »
Ces extraits, leur contexte mis à part, sont déterminant de la part du verbe dans la politique. Le mot est la matière première, le terreau, la base essentielle, le point de départ et d’arrivée, l’alpha et l’oméga de cette « chose » si subtile et parfois si cruelle. La culture, à cet égard, est par delà les présupposés qu’elle implique la première pourvoyeuse d’hommes politiques. Ils s’en nourrissent, s’en servent bien ou mal, elle leur est aussi utile que l’air qu’ils respirent. On ne peut imaginer, ne serait ce qu’une seconde, un monde sans politique et sans esthétique. Bien entendu, l’esthétique au sens où nous le soutenons n’implique pas stricto sensu le beau, mais aussi le laid, l’affreux, l’immonde, le cruel. C’est à partir de ce matériau qu’est la culture, voire les arts, que nous pouvons donner un sens à une voie politique à travers sa finalité bonne ou mauvaise.
Par S. Aït Hamouda- La Dépêche de kabylie
Sénèque (artiste dramaturge homme d’Etat philosophe)
J’ai rêvé d’un monde de soleil dans la fraternité
de mes frères aux yeux bleus. Léopold Sédar senghor
Le théâtre est le témoin de la conscience nationale Habib Bourguiba
La justice écoute aux portes de la beauté Aimé Césaire
On naît poète, on devient orateur Cicérone
L’art et la politique font-ils bon ménage ? Des artistes politiciens, il y en eu à toutes les époques, depuis l’antiquité. La politique irriguait les arts et inversement.
Ce sont les deux faces d’une même pièce, pour ainsi dire. Pas une cause n’a été épargnée par la poésie, la musique, le théâtre, la peinture, le cinéma, la littérature. Là où on fait la politique, l’art n’est pas loin. Et s’il existe une esthétique, ils la partagent tous les deux. Ils se complètent, se défient, s’entrechoquent, s’opposent et ne peuvent exister l’un sans l’autre. Un homme d’Etat est d’une certaine façon artiste, Cicérone, bien avant notre ère, ne disait-il pas « On naît poète on devient orateur » suivi par Aimé Césaire, plus d’une vingtaine de siècles plus tard, « La justice écoute aux portes de la beauté » et de Habib Bourguiba « Le théâtre est le témoin de la conscience nationale ». En fait, on compte bien des poètes, des musiciens, des plasticiens, des romanciers, des dramaturges dans cette corporation aux talents reconnus. Et il y en a de toutes les races et de toutes les origines. On peut en citer les plus connus, toutes époques confondues, comme Mao Tsé Toung, Léopold Sédar Senghor, Jean El Mouhouv Amrouche, Kateb Yacine, Mustapha Lachraf, Lamartine, Sénèque, Aimé Césaire, Dr Agostinho Neto et tant d’autres.
Civilisation occidentale
"Des tôles clouées à des poteaux
Fixés au sol
Font la maison
Les chiffons complètent
Le paysage intime
Le soleil qui s'infiltre par les fentes
Réveille l'occupant
Après douze heures de travail
D'esclave
Casser les pierres
Charrier les pierres
Casser les pierres
Charrier les pierres
Au soleil
Sous la pluie
Casser les pierres
Charrier les pierres
La vieillesse vient vite
Une natte dans les nuits noires
Lui suffit pour mourir
Reconnaissant et affamé »,
Agostinho Neto. Ce poète et ex président de l’Angola déçu par le fait que sa mère ne saura par lire ou comprendre ses poèmes, s’écrie : « Et j’écris des poèmes que tu ne comprends pas, imagines-tu mon angoisse ? »
De son coté le premier chef d’Etat du Sénégal, plus sarcastique dans sa « Lettre à mon frère blanc », Léopold Sédar Senghor, s’interroge sur qui mérite le mieux le qualificatif d’homme de couleur
« Cher frère blanc,
Quand je suis né, j'étais noir,
Quand j'ai grandi, j'étais noir,
Quand je suis au soleil, je suis noir,
Quand je suis malade, je suis noir,
Quand je mourrai, je serai noir.
Tandis que toi, homme blanc,
Quand tu es né, tu étais rose,
Quand tu as grandi, tu étais blanc,
Quand tu vas au soleil, tu es rouge,
Quand tu as froid, tu es bleu,
Quand tu as peur, tu es vert,
Quand tu es malade, tu es jaune,
Quand tu mourras, tu seras gris.
Alors, de nous deux,
Qui est l'homme de couleur ? »
Deux cris, deux hurlements, une même douleur. Le premier indigné, exacerbé, nu et l’autre ironique, subtil, mais qui donne cependant à réfléchir. Ils ont tous deux une dimension politique indéniable. Aimé Césaire, lui, le Martiniquais a pris conscience très tôt de son état irrémédiable de colonisé. Il a défini, comme personne, la colonisation dans ses poèmes, dans ses pièces de théâtre, dans ses discours qui ne sont que le prolongement de sa pensée multidimensionnelle :"Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé et qu'en France on accepte, une fillette violée et qu'en France on accepte, un Malgache supplicié et qu'en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent. Et alors un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s'affairent, les prisons s'emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.
On s'étonne, on s'indigne. On dit : "Comme c'est curieux ! Mais, Bah! C'est le nazisme, ça passera !" Et on attend, et on espère; et on se tait à soi-même la vérité, que c'est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c'est du nazisme, oui, mais qu'avant d'en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l'a supporté avant de le subir, on l'a absous, on a fermé l'oeil là-dessus, on l'a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s'était appliqué qu'à des peuples non européens ; que ce nazisme là, on l'a cultivé, on en est responsable, et qu'il est sourd, qu'il perce, qu'il goutte, avant de l'engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne. Oui, il vaudrait la peine d'étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXème siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que s'il vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est que l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les Arabes d'Algérie, les coolies de l'Inde et les nègres d'Afrique.
Et c'est là le grand reproche que j'adresse au pseudo-humanisme : d'avoir trop longtemps rapetissé les droits de l'Homme, d'en avoir eu, d'en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste.(...)"
Il va sans dire que la politique ne peut pas se faire sans poètes, sans chansons, sans danses, sans caricatures, sans théâtre et…sans tribunes d’expression. Mao Tsé-Toung, le président poète de la Chine populaire, a composé le poème suivant dédié À LI SHU YI daté du 11 mai 1957
« J’ai perdu mon orgueil le peuplier Yang vous avez perdu Liu ce saule pleureur flottant et montant droit au neuvième ciel interrogeant Wu Gang
ils reçoivent l’eau de vie aux fleurs de cannelle solitaire la déesse Chang E déploie largement ses manches dans le grand espace un moment elle danse pour les patriotes morts soudain on annonce : dans le monde humain le tigre est dompté sur le champ comme des torrents ses larmes volantes. »
Ces extraits, leur contexte mis à part, sont déterminant de la part du verbe dans la politique. Le mot est la matière première, le terreau, la base essentielle, le point de départ et d’arrivée, l’alpha et l’oméga de cette « chose » si subtile et parfois si cruelle. La culture, à cet égard, est par delà les présupposés qu’elle implique la première pourvoyeuse d’hommes politiques. Ils s’en nourrissent, s’en servent bien ou mal, elle leur est aussi utile que l’air qu’ils respirent. On ne peut imaginer, ne serait ce qu’une seconde, un monde sans politique et sans esthétique. Bien entendu, l’esthétique au sens où nous le soutenons n’implique pas stricto sensu le beau, mais aussi le laid, l’affreux, l’immonde, le cruel. C’est à partir de ce matériau qu’est la culture, voire les arts, que nous pouvons donner un sens à une voie politique à travers sa finalité bonne ou mauvaise.
Par S. Aït Hamouda- La Dépêche de kabylie
Sénèque (artiste dramaturge homme d’Etat philosophe)
J’ai rêvé d’un monde de soleil dans la fraternité
de mes frères aux yeux bleus. Léopold Sédar senghor
Le théâtre est le témoin de la conscience nationale Habib Bourguiba
La justice écoute aux portes de la beauté Aimé Césaire
On naît poète, on devient orateur Cicérone